C’est à l’origine, une simple vérification. En janvier 2024, le sénateur centriste et président de la commission de la culture Laurent Lafon décide de lancer une mission d’information pour « vérifier les objectifs de la loi sur la démocratisation du sport », adoptée deux ans plus tôt. Il nomme alors comme rapporteur le sénateur LR Michel Savin, président du groupe d’études pratiques sportives et de grands évènements sportifs du Sénat.
Le football en crise
Dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, cette mission d’information vise à lever les doutes des deux sénateurs sur la ligue professionnelle de football (LFP). En cause ? La création, permise par la loi sur la démocratisation du sport, d’une société commerciale de la LFP (LFP Media), chargée de vendre les droits TV du championnat de France. Quelque temps après cette création, la LFP fait face à une crise majeure des clubs professionnels liés notamment à la crise Covid et au fiasco Mediapro, le groupe audiovisuel espagnol diffuseur de la Ligue 1 en 2020 qui n’a pas tenu ses engagements.
La Ligue décide alors de céder des parts de LFP Media au fonds d’investissement luxembourgeois CVC Capital Partners à hauteur de 13 % pour un montant de 1,5 milliard d’euros. Mais très vite, plusieurs accusations tombent sur le nouvel actionnaire. Le « contrat à vie » conclu avec la LFP est vivement critiqué et certains clubs pointent une répartition inique des 1,5 milliard d’euros entre les clubs. Le club du Havre a même saisi la justice. « Nous voulons savoir quelle plus-value cette société apporte pour les clubs d’un point de vue commercial, technique et dans le développement de l’attractivité du championnat de France à l’étranger », expliquait Laurent Lafon auprès de Public Sénat en janvier 2024. Le 4 avril suivant, la commission d’enquête commençait ses travaux.
« Un contrôle sur pièces et sur place »
Dès lors, les auditions vont se succéder. Présidents de club, directeur de la LFP, président de la CVC, spécialiste des droits TV, vont être interrogés par les sénateurs. En parallèle de ces auditions, la société commerciale de la LFP ne parvient pas à trouver de diffuseur pour la saison prochaine. Finalement, le 14 juillet, la LFP annonce avoir conclu un accord avec le site de streaming anglais DAZN et la chaîne qataris beIN Sports, pour un montant de 500 millions d’euros, bien loin du milliard espéré par Vincent Labrune, le président de la LFP.
Acculés, la LFP et son président sont au plus mal. C’est alors que le rapporteur de la commission d’enquête, Michel Savin, décide de déclencher un contrôle de leurs locaux. Le 12 septembre, le sénateur se rend au siège de la LFP pour faire la lumière sur les accords passés entre la LFP et le fonds d’investissement CVC. « Un contrôle sur pièces et sur place », souligne-t-il. A cette occasion, il interroge également « les représentants de la LFP et de LFP Media sur leurs frais de fonctionnement et leur gouvernance, ainsi que sur les conséquences de l’attribution récente des droits TV du championnat à un prix très inférieur à celui espéré ».
« Il y a urgence à ce que le football français arrête de vivre au-dessus de ses moyens »
A partir de là, la commission d’enquête va prendre une autre tournure. Ce n’est plus tant la relation entre la LFP Media et le fonds d’investissement qui est en jeu, mais l’ensemble de la gouvernance de la LFP. Au cours de leur visite, les sénateurs ont constaté un luxueux « train de vie » des dirigeants de la LFP qu’ils ont tout de suite mis en comparaison avec la situation critique des clubs de football. Dans les locaux « flambant neufs » de la Ligue, les sénateurs ont pu avoir accès à l’ensemble des documents demandés.
Entre l’acquisition d’un nouveau siège à 131 millions d’euros, d’un doublement de la masse salariale et du triplement du salaire de Vincent Labrune passant de 400 000 euros à 1,2 million d’euros accompagné d’un bonus de trois millions d’euros, le constat est implacable : la Ligue vit au-dessus de ses moyens.
« La Ligue doit rapidement engager des réformes de fond sur sa gouvernance, son fonctionnement, sur sa transparence, sur son train de vie et sur les évolutions à mettre en place », martèle Michel Savin. « Il y a urgence à ce que le football français arrête de vivre au-dessus de ses moyens et retrouve une gouvernance professionnelle ! »
« Une gestion plus équilibrée du football est désormais nécessaire »
Également interrogée par la commission d’enquête, l’ancienne ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra a reconnu une « forme d’emballement dans le train de vie de la Ligue de football professionnel ». Si la ministre a dit croire en la « prise de conscience sincère » des dirigeants, elle a indiqué que « la part variable des rémunérations, pour toute organisation de droit privé ou public, soit en relation avec le contexte économique ».
Le 30 octobre 2024, la commission d’enquête rend son rapport au titre révélateur : « Football-business : stop ou encore ? » Si le rapport entend viser toutes les ligues sportives, c’est essentiellement la LFP qui est pointée par les 35 recommandations émises par Michel Savin. Parmi elles : encadrement des salaires des dirigeants, contrôle du budget des ligues par la Cour des comptes, contrôle par la HATVP, encadrement de la gouvernance des ligues… « Une gestion plus équilibrée du football est désormais nécessaire », a souligné Michel Savin lors du compte rendu de ses conclusions.
Complément d’enquête s’en mêle
Alors que les sénateurs sont en train de préparer une proposition de loi essentiellement calquée sur le rapport de la commission d’enquête, le sujet du foot business va passer des fauteuils rouges du Sénat aux fauteuils rouges de l’émission Complément d’enquête. Pour un portrait réalisé sur le président du Paris Saint-Germain (PSG), Nasser al-Khelaïfi, l’émission d’investigation de France 2 va révéler un document datant de juillet 2024 soit deux mois avant la visite des sénateurs dans les locaux de la LFP. Ce document est une réunion en visioconférence des présidents de club de Ligue 1 et de Vincent Labrune. Lors de cette réunion, le président de la LFP se montre particulièrement reconnaissant avec le président du PSG pour sa contribution à l’achat du match du dimanche soir de la Ligue 1 via la chaîne qataris beIN Sport, dont il est aussi le président. Ce conflit d’intérêts évident met en rage les présidents de club présents à la réunion. Plusieurs accusations sont lancées avant que Nasser al-Khelaïfi en vienne à être menaçant. « Le Complément d’enquête le montre parfaitement. On voit qu’il y a un dysfonctionnement énorme au sein de la ligue de football », s’est inquiété Laurent Lafon auprès de Public Sénat.
Complément d’enquête donne alors un coup de projecteur important sur le travail des sénateurs, venus témoigner dans l’émission. Le 19 mars, la proposition de loi est présentée. Comme précisé dans le rapport, les sénateurs apportent une exigence d’éthique avec la question de la rémunération. Ils recommandent aussi une lutte contre le piratage et une régulation des sociétés commerciales. La Cour des comptes doit désormais effectuer un contrôle strict des « sociétés commerciales créées par une ligue ». Une régulation à l’entrée au capital d’actionnaires et une limitation de la durée de l’exploitation sont aussi inscrites.
Vincent Labrune réagit dans Les Echos
Mais une mesure cristallise les tensions. L’article 2 de la PPL insiste sur le rôle de « subdélégation de service public », autrement dit la fédération peut potentiellement retirer aux ligues, en cas de non-respect de leurs prérogatives, le droit d’exploitation du service public. Pour Vincent Labrune c’en est trop. Dans un entretien accordé au journal Les Echos le mercredi 26 mars, le président de la LFP fustige cette nouvelle disposition : « L’article 2 donne potentiellement un droit de vie ou de mort aux fédérations sur toutes les ligues professionnelles », souligne-t-il. Michel Savin lui répond alors : « Ce n’est pas une question de vie ou de mort, mais plutôt que la fédération puisse avoir son mot à dire ».
Tout le long du parcours législatif, les sénateurs ont indiqué vouloir une proposition de loi transpartisane qui soit soutenue par le plus grand nombre. Le 10 juin, lors de l’examen du texte en séance, leur vœu a été exaucé. A la quasi-unanimité, la proposition de loi est adoptée par les sénateurs. En conclusion, Laurent Lafon a appelé à ce que son texte « poursuive son chemin dans les meilleurs délais ». Le gouvernement a aussi engagé une procédure accélérée sur le texte, mais ce dernier n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. A suivre lors de la saison prochaine.