Mercredi soir entre 19h et 19h45, le garde des Sceaux s’est entretenu avec Nicolas Sarkozy à la prison de la Santé. Gérald Darmanin avait annoncé qu’il y irait rendre visite à l’ancien chef de l’Etat condamné à 5 ans de prison pour association de malfaiteurs dans l’affaire du financement occulte de sa campagne présidentielle de 2007.
Cette visite a conduit au dépôt d’une plainte par un collectif d’avocats mené par Me Jérôme Karsenti. Dans la plainte que Public Sénat a pu consulter, les avocats citent les déclarations du garde des Sceaux sur France Inter, le 20 octobre dernier, où il fait part de sa tristesse » pour Nicolas Sarkozy dont il a été « le collaborateur ». Une interview dans laquelle il annonce également sa visite à la prison de la Santé.
« Le seul soutien public du ministre est réservé au délinquant Nicolas Sarkozy »
Pour le collectif d’avocats, « ces déclarations « suivies » de sa « visite rendue à la prison de la Santé », sont « susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires ».
« Suite à la condamnation de Nicolas Sarkozy, des magistrats ont été menacés. Mis à part un post sur X à l’attention des magistrats visés, le seul soutien public du ministre est réservé au délinquant Nicolas Sarkozy. Gérald Darmanin oublie la fonction qu’il exerce. Il est gardien de l’impartialité des décisions rendues. Surtout, il est le supérieur hiérarchique des procureurs qui vont requérir sur la demande de mise en liberté de Nicolas Sarkozy et dans le procès en appel », insiste Jérôme Karsenti auprès de publicsenat.fr.
La plainte a été déposée auprès de la commission des requêtes de la Cour de Justice de la République, seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Sans préjuger du fondement de cette plainte, François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation, observe que l’attitude de Gérald Darmanin « pose quand même un problème ». Le garde des Sceaux est, certes, un politique qui est là pour porter des idées en lien avec son parti, mais il est aussi le chef de l’administration de la justice et de l’administration pénitentiaire. Et il doit s’assurer que l’indépendance et la sérénité de la justice tout comme « la dignité des prisonniers soient respectées ».
L’attitude de Gérald Darmanin avait aussi suscité l’émoi du successeur de François Molins. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y a vu un « risque d’obstacle à la sérénité » et donc « d’atteinte à l’indépendance des magistrats ».
« S’assurer de la sécurité d’un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n’atteint en rien à l’indépendance des magistrats, mais relève du devoir de vigilance du chef d’administration que je suis », s’était déjà défendu Gérald Darmanin sur X.
« J’espère que Gérald Darmanin a bien réfléchi »
François Molins rappelle, quant à lui, et à juste titre que le dossier « fait l’objet d’appel ». « J’espère que Gérald Darmanin a bien réfléchi. Il y avait peut-être d’autres moyens de s’assurer que M. Sarkozy était bien traité. J’imagine que le garde des Sceaux est en lien étroit avec le directeur de la prison de la Santé », observe-t-il avant de conclure : « Ce n’est pas courant qu’un ministre rende visite à une personne condamnée en prison. Je crois que c’est une première. Une telle visite peut être interprétée par certains comme une forme de pression par rapport aux juges qui vont être amenés à réexaminer le dossier », souligne-t-il.
Dans leur plainte, les avocats dénoncent « une infraction pour prise illégale d’intérêt », par le ministre de la Justice dans l’exercice de ses fonctions. Une infraction punie de 5 ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende. « Du fait de son lien amical et personnel avec Nicolas Sarkozy qu’il a lui-même évoqué avant d’annoncer vouloir lui rendre visite en détention, Gérald Darmanin a pris un intérêt moral », font valoir les avocats dans leur plainte. Ils rappellent, enfin, que depuis 2013, l’article 30 du code de procédure pénale, interdit au garde des Sceaux d’adresser des instructions au parquet dans les affaires individuelles.
La cour d’appel de Paris examinera le 10 novembre la demande de mise en liberté de Nicolas Sarkozy.