Scandale des eaux en bouteille : « Le dispositif global interministériel a sous-estimé la profondeur de cette affaire », estime l’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne

Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale, Aurélien Rousseau est revenu sur sa connaissance du scandale de Nestlé Waters et l’implication des pouvoirs publics. S’il reconnaît avoir pris la décision autorisant la filtration en dessous de 0,8 micron, l’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne écarte tout conflit d’intérêts.
Henri Clavier

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C’était la dernière audition avant la présentation du rapport de la commission d’enquête sur le scandale des eaux en bouteille, le 19 mai. Une dernière audition particulièrement importante puisqu’il s’agissait de celle d’Aurélien Rousseau, directeur de cabinet d’Élisabeth Borne de mai 2022 à juillet 2023 et ministre de la Santé entre juillet et décembre 2023  ,désormais député. L’occasion pour la commission d’enquête de revenir sur l’implication des pouvoirs publics dans le scandale des eaux en bouteille. 

Pour rappel, le groupe Nestlé Waters est mis en cause par une enquête du Monde et de Radio France et est accusé d’avoir traité illégalement – avec des filtres à charbon et à UV – ses eaux minérales naturelles.

 En août 2021, le groupe a dévoilé de lui-même ces pratiques interdites au gouvernement. Mais, dans ce contexte, il est aussi accusé d’avoir poussé – à coup de lobbying auprès de plusieurs ministères, mais aussi de la présidence de la République – pour une évolution de la réglementation sur la filtration des eaux minérales. La production d’eau minérale fait l’objet d’une réglementation particulière. Depuis 2001, l’Anses autorise la filtration des eaux minérales avec un filtre spécifique de 0,8 micron. En dessous de ce seuil, la filtration pourrait s’apparenter à une désinfection. Or, dans ses usines du Gard (Perrier) et des Vosges (Contrex, Vittel, Hépar), Nestlé utilise des filtres plus petits, à 0,2 micron. En février 2023, le gouvernement autorise finalement le groupe suisse à filtrer sous le seuil de 0,8 micron. 

« La note que j’ai sous les yeux me dit aussi qu’il n’y a pas de sujet de sécurité sanitaire » 

Après un bref exposé du fonctionnement du cabinet d’un Premier ministre, Aurélien Rousseau confie avoir pris connaissance du sujet à partir du 13 octobre 2022 dans une note des conseillers concurrence et santé de Matignon. Sur la base de cette note, qui fait remonter les positions du ministère de la Santé et du ministère de l’Industrie, Aurélien Rousseau autorise en février 2023 les industriels à effectuer un filtrage en dessous de 0,8 micron. 

Un choix que le député explique par l’absence de risque sanitaire. « La note me dit “Nestlé demande 0,2” et le ministère de la Santé considère que 0,2 n’est pas admissible car sinon c’est considéré comme de la désinfection. La note que j’ai sous les yeux me dit aussi qu’il n’y a pas de sujet de sécurité sanitaire », assure Aurélien Rousseau. Si le document autorise à aller en dessous de 0,8 micron, Aurélien Rousseau charge les Agences régionales de santé et les préfets de réaliser les contrôles nécessaires afin de s’assurer que le filtrage n’a pas d’effet sur le microbisme de l’eau. 

Une autorisation ambiguë 

Par ailleurs, pour Aurélien Rousseau, la décision de Matignon autorisait les industriels à aller en dessous de 0,8 mais n’autorisait pas à filtrer à 0,2. « Ne pas interdire, ce n’est pas autoriser », se défend Aurélien Rousseau. Un argument peu apprécié par le sénateur socialiste de Gironde, Hervé Gillé. « A partir du moment où l’on ne fixe pas de valeur minimale vous autorisez à descendre où on veut en dessous de 0,8, vous n’interdisez pas de dépasser une valeur minimale ! » s’indigne Hervé Gillé. 

Si l’ancien directeur de cabinet maintient ne pas avoir autorisé un filtrage à 0,2 micron, il reconnaît tout de même une forme de naïveté de la part des services de l’Etat. « Le dispositif global interministériel a sous-estimé la profondeur de cette affaire. Si le ministère de la Santé avait considéré que le risque existait et était majeur, j’aurais été alerté », assure Aurélien Rousseau. Une note du directeur général de la santé, Jérôme Salomon faisait pourtant état des « enjeux sanitaires » de la situation dès le 20 janvier 2023. « Le directeur général de la santé alerte, le ministre doit trancher c’est absolument normal », estime Aurélien Rousseau renvoyant la responsabilité sur le ministère de la Santé. 

Une naïveté qui s’est répétée à plusieurs reprises puisque l’ancien ministre de la santé confie ne pas avoir pris l’entière mesure de la fraude organisée par Nestlé Waters. « A la lecture de la note, j’ai pensé que Nestlé n’avait pas encore mis en œuvre ces filtrages à 0,2 micron », explique Aurélien Rousseau. Le groupe suisse avait pourtant déjà mis en place ces filtrages. Une manière aussi pour l’ancien ministre d’écarter tout soupçon au sommet de l’Etat. 

« Le sujet que nous évoquons aujourd’hui, je ne l’ai jamais évoqué avec la Première ministre et je ne l’ai jamais évoqué avec le Secrétaire général de l’Elysée 

« Je n’ai jamais eu de contact avec Nestlé Waters dans mes fonctions », affirme Aurélien Rousseau qui assure qu’il n’y a pas eu de conflit d’intérêts malgré l’importante campagne de lobbying réalisée par Nestlé Waters auprès de plusieurs ministères. Par ailleurs, l’ancien directeur de cabinet assure n’avoir eu aucun échange avec Élisabeth Borne à ce sujet. « J’aurais pu en parler à la Première ministre, mais plus comme information que comme une demande d’arbitrage, le dossier n’arrive pas avec un désaccord entre ministères », assure le député. « Le sujet que nous évoquons aujourd’hui, je ne l’ai jamais évoqué avec la Première ministre et je ne l’ai jamais évoqué avec le Secrétaire général de l’Elysée », poursuit Aurélien Rousseau.

Également au courant selon les révélations du Monde et de Radio France, Alexis Kohler a refusé de se présenter devant la commission d’enquête sénatoriale arguant notamment du respect de la séparation des pouvoirs. « Je ne crois pas qu’il pouvait y avoir en la matière de circuit parallèle de décision ou de validation », conclut Aurélien Rousseau en réponse au rapporteur de la commission d’enquête lui demandant son avis sur le refus d’Alexis Kohler de se présenter devant les sénateurs.

Après cette audition finale, le rapport sera présenté aux sénateurs le 15 mai en commission avant d’être publié le 19 mai. 

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