Scandale des faux steaks : un rapport du Sénat pointe « une triple défaillance de l’État »

Scandale des faux steaks : un rapport du Sénat pointe « une triple défaillance de l’État »

Deux mois après l’éclatement du scandale de faux steaks hachés livrés à des associations caritatives, payés avec des fonds publics, un rapport du sénateur communiste Fabien Gay a identifié plusieurs dysfonctionnements dans le respect du marché public mais aussi dans la chaîne de contrôle.
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Le scandale éclate le 7 juin 2019. Ce jour-là, RTL révèle que 780 tonnes de steaks hachés surgelés non conformes ont été livrées à des associations caritatives (Croix Rouge, Les Restos du Cœur, le Secours Populaire Français, et la Fédération française des banques alimentaires) venant en aide aux personnes en situation de grande précarité. Ce sont les associations elles-mêmes qui se sont aperçues de la supercherie, en constant des traces suspectes, de la moisissure ou encore des qualités gustatives suspectes.

De trace de viande de bœuf, ces produits n’en contenaient aucune. Les contrôles ont révélé que les steaks non conformes étaient fabriqués à base d’amidon, de soja, et surtout de gras en grande quantité, ainsi que d'abats provenant d’organes tels que les amygdales. Le tout enrobé d'épices. Comment ces produits ont-ils pu se retrouver dans les assiettes des consommateurs alors qu’ils ne répondaient ni au cahier des charges de la commande, ni à la réglementation européenne.

L’achat groupé – dont les premières livraisons débutent en juillet 2018 – portait en réalité sur une quantité de 1436 tonnes, pour un montant de 5,2 millions d’euros. L’appel d’offres a été réalisé par une agence du ministère de l’Agriculture, FranceAgriMer, dans le cadre d’une dotation du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD).

Pourquoi ces anomalies n’ont-elles pas été détectées

Cet été, la commission des Affaires économiques du Sénat a tenté de faire la lumière sur cette affaire. Comme dans d’autres dossiers, le but n’est pas d’établir la culpabilité ou non d’une entreprise (une enquête est en cours) mais de repérer les principaux dysfonctionnements qui ont conduit à cette situation. « Que les administrations concernées n’aient pas pu détecter les anomalies plus en amont est une question qu’il apparaît légitime de poser », explique le sénateur Fabien Gay, auteur d’un rapport publié ce mercredi 24 juillet. Son travail cerne plusieurs insuffisances dans les procédures, et dresse une série de 18 recommandations.

Le sénateur de Seine-Saint-Denis relève « une triple défaillance » de la part de l’État : sur l’architecture des marchés publics, sur les contrôles, et enfin sur le manque d’accompagnement des associations flouées.

D’où vient la viande de bœuf ? Personne ne sait

Le premier enseignement est saisissant : impossible de savoir d’où provient la même viande de bœuf utilisée par l’industriel polonais Biernacki, mis en cause dans cette affaire. « Croyez-le ou non, sur un marché public intra-européen, nous sommes incapables de dire d’où viennent les 10 000 pièces qui ont servi aux 1400 tonnes produites . On ne sait pas si c’est du bœuf polonais, ukrainien canadien ou brésilien », relate Fabien Gay, un peu sidéré.

Partant de ce constant, le feu vert des députés à la ratification du CETA, hier, inquiète le sénateur, dans la mesure où les bovins peuvent être nourris avec certaines farines d’origine animale au Canada. « On dit que le marché intra-européen est sûr, tracé. C’est absolument faux ! Il y a un énorme trou dans la raquette », prévient Fabien Gay.

Le rapport préconise d’imposer des critères de qualité et des critères de responsabilité sociale et environnementale dans les marchés publics. Mais pas seulement. L’entreprise polonaise n’était pas la seule impliquée dans l’appel d’offres : c’est une autre société qui a directement répondu à la commande. Un intermédiaire les a également mis en relation. Le rapport préconise de séparer à l’avenir (dans le cadre d’une expérimentation) la production de la logistique dans les appels d’offres, mais aussi de favoriser des contrats sur plusieurs années, pour une meilleure lisibilité, notamment sur les prix. « Les négociants-traders empochent les marchés. C’est la course au prix au détriment de la qualité. Ils savent qu’ils livrent de la piètre qualité à nos associations […] Il faut casser ce marché des traders-négociants qui n’ont aucun lien avec les fabricants », dénonce Fabien Gay.

Faux steaks : le sénateur Fabien Gay pointe « une triple défaillance de l’État »
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Le sénateur Fabien Gay pointe « une triple défaillance de l’État » (Images : Adrien Develay)

Selon le rapport sénatorial, le coût de la matière première de ces steaks hachés frauduleux s’élevait à trois euros le kilo. Les transformations en usine, le coût de transport et les marges donnent un prix final compris entre 3,5 et 3,8 euros le kilogramme, selon FranceAgriMer. « Si les prix n’ont pas considérablement évolué depuis quelques années, cela signifie que l’inflation a été absorbée par les industriels, qui ont, mécaniquement, dû la compenser par un moyen ou un autre afin de conserver leurs marges », indique le rapport.

« Pourquoi FranceAgriMer n’a pas été sur place, comme elle le fait pour 60% des fabricants ? »

Voilà pour la fabrication, mais qu’en est-il de l’assurance d’un produit fabriqué dans les normes ? Fabien Gay insiste sur la « défaillance » des contrôles. « Depuis 2013, l’entreprise Biernacki, qui a emporté un ou deux lots du Fonds européen d’aide aux plus démunis, n’a jamais été contrôlée par les autorités ! En 2015, elle a fourni des steaks avec de la salmonelle […] On peut au moins se dire qu’en 2016, si on repasse un marché public à cette entreprise, au minimum on va la contrôler, c’est du bon sens », s’exclame Fabien Gay. « Pourquoi FranceAgriMer n’a pas été sur place, comme elle le fait pour 60% des fabricants ? »

Pour ne plus que ces manquements ne se reproduisent, le sénateur recommande de renforcer la fréquence et la régularité des contrôles impromptus menés par FranceAgriMer, quitte à prioriser les contrôles sur les denrées sensibles comme la viande ou le poisson. Autre piste : rétablir les contrôles gustatifs.

« Il a fallu attendre quatre mois que l’État se réveille, c’est un scandale »

Dernier élément mis en lumière par le travail des sénateurs : les associations se sont retrouvées isolées dans la gestion au début de cette crise. « Elles ont relevé elles-mêmes en février qu’il y avait des problèmes, elles ont elles-mêmes payé des tests. L’État les a laissées seules. La demande de contrôles n’a eu lieu qu’à la fin du mois de mai. Il a fallu attendre quatre mois que l’État se réveille, c’est un scandale », fulmine le sénateur communiste. Le rachat de véritables steaks pour nourrir les bénéficiaires, mais aussi le stockage des produits incriminés à échanger, a engendré des surcoûts importants pour les associations victimes de ce marché. Le rapporteur évalue la note à 400.000 euros. Il demande aujourd’hui au gouvernement de débloquer une aide d’urgence pour ces quatre structures, déjà fragilisées par la baisse des dons. Les crédits sont déjà disponibles selon lui, et ne demandent qu’à être débloqués (programme 309 de la loi de finances pour 2019).

Actuellement, le Fonds européen d’aide aux plus démunis finance 30 % des denrées alimentaires distribuées en France. Sa place est devenue centrale car le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a doublé depuis 2009. Dans un contexte de menace de réduction de ce programme, les recommandations sénatoriales entendent apporter des garanties. C’est une « démarche constructive visant à améliorer les procédures actuellement en place pour garantir une efficacité irréprochable du dispositif afin, justement, d’en renforcer la pérennité », explique le rapport.

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