Sécheresse : faute de prévention, les assurances pourraient ne pas suivre

Sécheresse : faute de prévention, les assurances pourraient ne pas suivre

Un rapport du Sénat alerte sur l’impact de la sécheresse sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, et notamment des maisons fissurées. 10 millions d’habitations sont exposées à des risques de fissures, la moitié du territoire national est concernée. Faute de prévention, la soutenabilité du régime assurantiel est en péril.
Simon Barbarit

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C’est un phénomène naturel qui fait naître des fissures sur des maisons et il devrait se multiplier dans les prochaines années en raison du changement climatique. C’est ce qu’on appelle le risque « retrait gonflement des argiles » (RGA). Il désigne les mouvements liés à la rétractation des sols argileux en période de sécheresse, suivie par le gonflement de ces mêmes sols lorsque la pluie revient. 10 millions de maisons sont concernées, la moitié du territoire national est exposée à ce risque. Et en 2022, l’épisode de sécheresse a été tel que le coût du risque RGA est estimé entre 2,4 et 2,9 milliards d’euros, contre 445 millions d’euros annuels jusqu’en 2020, alerte un rapport du Sénat présenté la semaine dernière.

Cela fait maintenant quelques années que la chambre haute se penche sur le régime d’indemnisation des dommages liés aux catastrophes naturelles. En 2019, un rapport d’information de la sénatrice socialiste, Nicole Bonnefoy, avait conduit à une proposition adoptée à l’unanimité le 15 janvier 2020. Le gouvernement avait finalement repris la main. La loi « 3 DS » habilitait le gouvernement à légiférer par ordonnances pour « améliorer la prise en charge des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti » du risque RGA.

Comment fonctionne le régime CatNat ?

L’ordonnance a été présentée en Conseil des ministres le 8 février dernier et elle ne satisfait pas les élus de la Haute assemblée. Pour comprendre, il faut revenir au régime d’indemnisation existant. Le risque RGA est intégré depuis 1989 dans le régime CatNat. Ce régime est financé, d’une part, par les assurés via une surprime « catastrophe naturelle », prévue dans chaque contrat d’assurance contre les dommages aux biens. Les assurances privées se réassurent eux auprès de la caisse centrale de réassurance (CCR), qui bénéficie d’une garantie intégrale de l’Etat. En contrepartie de cette garantie, la CCR verse à l’Etat environ 100 millions d’euros par an.

Mais depuis quelques années, les dommages liés à la sécheresse ont pris une place majeure au sein du régime CatNat (37 %). L’équilibre de ce régime n’est pas menacé pour le moment, car pour obtenir une indemnisation en cas de fissures sur sa maison, un sinistré doit d’abord obtenir une reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. C’est la commune qui doit en faire la demande. Or, comme le rappelle Nicole Bonnefoy, « certaines communes ne font pas la demande car ça leur ferait une mauvaise publicité pour leur territoire ».

« Seul un sinistré sur quatre est indemnisé »

Le rapport de sa collègue Christine Lavarde note, de son côté, que « seules 50 % des communes parviennent à obtenir une reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, et 50 % seulement des dossiers déposés dans ces communes bénéficient d’une indemnisation. Donc, seul un sinistré sur quatre est indemnisé ».

Et l’ordonnance présentée le 8 février ne va pas arranger le sort des personnes sinistrées, selon la sénatrice des Hauts de Seine. « L’ordonnance sort de l’enveloppe indemnitaire les fissures esthétiques pour réserver les indemnisations aux sinistres les plus graves. C’est choquant et ça va générer beaucoup de contentieux. Tout va reposer sur l’expertise. Et on peut dire que ça change la logique assurantielle. Lorsque vous avez un dégât des eaux, votre assurance vous indemnise même pour quelques cloques aux plafonds, et pourtant c’est un dommage esthétique qui ne menace pas le bâti », compare-t-elle.

« Vous avez parfois des fissures modestes qui s’étendent sur toute une maison l’année suivante », complète Nicole Bonnefoy.

Le rapport du Sénat déplore également que l’ordonnance « n’aborde aucunement la problématique de la soutenabilité financière du régime » et « élude l’enjeu fondamental de la prévention ».

Christine Lavarde exclut plusieurs scénarios de financement. Le risque RGA ne peut pas être, selon elle, couvert par le seul secteur assurantiel privé de droit commun. « Compte tenu du niveau des primes, beaucoup de particuliers ne pourraient plus s’assurer », note-t-elle. « Mais cela pourrait être envisagé dans plusieurs années, pour les constructions nouvelles qui ont intégré les normes de constructions RGA. Le sinistré pourrait alors se retourner contre l’entrepreneur ».

« Il faut créer une filière de réparation durable »

La sénatrice exclut également la création « d’un fonds public ad hoc » pour indemniser les sinistrés, car trop pesant pour les finances publiques, alors que la caisse centrale de réassurance a déjà évalué à 420 millions d’euros le déficit annuel prévisionnel du régime CatNat en 2050.

Le rapport préconise en revanche de revoir le critère météorologique permettant de reconnaître l’état de catastrophe naturelle qui « pèche par son imprécision comme par la modélisation de son calcul qui ne tient pas compte des réalités observées ». Le Sénat propose aussi l’éligibilité automatique des communes limitrophes aux communes reconnues en état de catastrophe naturelle ou encore reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle en raison d’une succession de sécheresses.

Mais surtout, le rapport d’information demande la mise en place d’une véritable politique de prévention sur le bâti existant. Pour ce faire, il préconise de mobiliser le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », pour financer les expérimentations de techniques de prévention du risque RGA en vue de leur généralisation. « Il y a des techniques, comme l’injection de résine, ou l’installation de micropieux au niveau des fondations, qui ont prouvé leur efficacité. Mais la question qui reste en suspens, c’est avons-nous assez de savoir-faire ? Il faut créer une filière de réparation durable », conclut la sénatrice.

 

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