La ressemblance entre les deux accidents est presque troublante. Mélodie Cauffet, 25 ans, meurt le 19 février dernier sur un chemin de randonnée de l’Aveyron, touchée par la balle d’une jeune chasseuse qui croyait viser un sanglier. Le 2 décembre 2020, Morgan Keane, 25 ans, coupe du bois dans son jardin lorsqu’il est touché au thorax par un chasseur qui l’aurait confondu… avec un sanglier. Comme Mélodie, le jeune homme décède quelques minutes plus tard des suites de sa blessure.
Libération de la parole
Chasse: Zoé revient sur la mort de son ami d'enfance.
La tristesse de ses amis a vite laissé place à la colère. Regroupés dans le collectif « Un jour un chasseur », ils collectent sur les réseaux sociaux des récits d’accidents de chasse venus de toute la France. « On ne s’attendait pas à autant de témoignages » se souvient Zoé, une amie de Morgan Keane. « On s’est dit que ces personnes-là avaient besoin de parler, et qu’on allait être leur relais avec la place publique, pour montrer qu’il y a un véritable problème dans les campagnes, que les gens n’osent pas parler ».
Marche blanche pour Morgan Keane à Cajarc (Lot), 4 décembre 2021
Cette libération de la parole des ruraux leur inspire l’idée d’une pétition sur le site du Sénat pour obtenir un durcissement des règles encadrant la chasse. Pour que les sénateurs se saisissent du sujet, il faut récolter 100 000 signatures en six mois. L’objectif est atteint en moins de deux mois. En décembre 2020, un an après la mort de Morgan Keane, le Sénat décide donc de lancer une mission d’information sur la sécurisation de la chasse. Leur but : examiner les cinq propositions listées dans la pétition. A commencer par la plus emblématique : l’interdiction de la chasse le mercredi et le dimanche au niveau national, sans aucune possibilité de dérogation.
Promeneurs du dimanche
Léa Jaillard et Mila Sanchez, membres du collectif « Un jour un chasseur » auditionnées au Sénat le 7 décembre 2021
« Il y a un million de chasseurs. Il y en a effectivement qui travaillent, et le dimanche c’est leur seule possibilité de chasser », admet Mila Sanchez, membre du collectif. « Mais c’est pareil pour les gens qui veulent se promener dans la nature, les familles, les enfants ». Les signataires de la pétition demandent également un renforcement de la formation des chasseurs, l’instauration d’une distance de sécurité égale à la portée des armes autour des habitations, un meilleur suivi des armes en circulation, un durcissement des sanctions pour les auteurs de délits, et une reconnaissance des victimes de la chasse par l’Etat.
« Il faut qu’on aille au bout »
Vaste programme pour les dix-neuf sénateurs en charge du dossier. « Le but de cette mission c’est d’avoir des préconisations, et derrière il peut tout à fait y avoir une loi », espère Daniel Salmon, sénateur écologiste membre de la mission sénatoriale sur la sécurisation de la chasse. « On ne peut pas s’arrêter au milieu du gué, il faut qu’on aille au bout. Il y a une attente sociétale, et je pense qu’on est en capacité ici au Sénat de dépasser un certain nombre de passions, il en va de l’intérêt de tout le monde ».
Ce n’est pas par hasard que le Breton a rejoint ce groupe de travail. Partisan d’une réglementation plus stricte, il est aussi l’élu d’un département qui a récemment vécu un accident traumatique. Le 30 octobre dernier, sur l’une des routes les plus fréquentées d’Ille-et-Vilaine, un automobiliste est tué d’une balle dans le cou, tirée à plusieurs centaines de mètres lors d’une battue. Dans les pas de Daniel Salmon, le documentaire « Un chasseur sachant chasser » plonge dans la complexité d’un débat passionnel sur le partage de la nature entre chasseurs et non chasseurs.
Balles perdues
Daniel Salmon aux côtés d’un chasseur lors d’une battue aux sangliers
Le Sénateur revient sur les lieux du drame, et découvre la puissance des carabines utilisées pour le gros gibier, des armes capables de tirer des balles mortelles jusqu’à quatre kilomètres, qui finissent parfois leur course dans le toit d’une chambre d’enfant. Sur le terrain, il découvre aussi les règles d’une battue aux sangliers dans l’Ain, ou celles de la chasse à la bécasse dans la mythique forêt de Brocéliande, aux côtés de passionnés qui ne s’imaginent pas ranger leurs armes le dimanche, seul jour de la semaine où personne ne travaille. « C’est terriblement discriminatoire » s’insurge André Douard, président de la fédération de chasse d’Ille-et-Vilaine. « Les accidents de voiture, c’est le week-end qu’ils ont lieu. Alors si on veut régler le problème, il faudra peut-être interdire la circulation de voitures le week-end ? ».
Comment partager la nature entre chasseurs et promeneurs en toute sécurité ? La mission d’information du Sénat a six mois pour prendre position. Daniel Salmon, lui, reste persuadé que la solution passe par des journées sans chasse. Mais le Sénat, réputé proche du milieu des chasseurs, ira-t-il jusque-là ? « Un chasseur sachant chasser », documentaire réalisé par Samia Dechir, à voir samedi à 18h30 sur Public Sénat.