Après un dernier vote des députés jeudi, la proposition de loi sur la sécurité globale a été définitivement adoptée par le Parlement. Comme les sénateurs la semaine dernière, l’Assemblée a voté pour les conclusions de la commission mixte paritaire, où députés et sénateurs avaient réussi à trouver un accord sur ce texte polémique. La gauche a déjà annoncé son intention de saisir le Conseil constitutionnel.
La gauche dénonce « les dérives de ce texte sur les questions de liberté »
Ce sera notamment « autour de l’article 24 » précise Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, sans en dire plus pour l’heure. « On va le faire en lien avec le groupe communiste et écologiste » précise-t-il. Il faut 60 sénateurs ou 60 députés pour saisir le Conseil constitutionnel.
« On a montré pendant les débats les dérives de ce texte sur les questions de liberté : liberté de la presse, libertés publiques, libertés individuelles. On rogne en permanence sur les libertés. Il y a une dérive globale dans ce pays, avec une vraie dérive sur un quasi-contrôle politique de l’expression citoyenne » dénonce Guillaume Gontard, président du groupe écologiste de la Haute assemblée. Il pointe aussi « la question des drones et l’ouverture à une surveillance de masse. La reconnaissance faciale est interdite pour les drones. Mais dans ce cas, il faut l’interdire partout. Et on nous a répondu que ce n’était pas nécessaire… »
Le gouvernement a su utiliser à son avantage le bicamérisme
Des dizaines de manifestations ont marqué l’examen de la proposition de loi des députés LREM Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, dont l’article 24 avait concentré les critiques et les craintes pour la liberté de la presse.
Mais le gouvernement a su utiliser à son avantage le bicamérisme et la navette parlementaire. D’autant que la majorité de droite et du centre de la Haute assemblée partageait avec l’exécutif les grands objectifs du texte. Les deux corapporteurs du Sénat, Marc-Philippe Daubresse (LR) et Loïc Hervé (UDI), ont en effet travaillé en bonne entente avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour revoir en partie le texte.
Article 24 : une protection des policiers sans toucher à la loi sur la liberté de la presse
A commencer par l’article 24, que le Sénat a complètement réécrit. Toute référence à la loi sur la liberté de la presse de 1881 a été supprimée. A la place, un nouveau délit de « provocation à l’identification » des policiers « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à (leur) intégrité physique ou psychique » a été créé. Il permet de répondre à l’objectif initial de l’article : protéger les policiers.
Globalement, la proposition de loi instaure un « continuum de sécurité », de la police municipale, qui voit ses pouvoirs renforcés – tout comme la sécurité privée, mieux encadrée – à la police nationale, qui profite de nouveaux moyens.
Des policiers municipaux aux pouvoirs largement renforcés
Les policiers municipaux auront maintenant de multiples prérogatives. Ils pourront saisir des armes et de la drogue, immobiliser des véhicules, sanctionner la vente à la sauvette comme la conduite sans permis ou le non-port de la ceinture. Ils pourront aussi verbaliser l’usage des stupéfiants, l’occupation illicite de terrains et l’occupation agressive de halls d’immeuble. Ils pourront même utiliser des drones, comme l’a voulu le Sénat. Last but not least : la police municipale fera son arrivée à Paris. Une première historique.
Un cadre légal pour l’utilisation des drones
La question des drones, autre sujet polémique du texte, avec l’article 22, est une petite révolution à elle toute seule. La loi vient donner un cadre à leur utilisation. Cadre qui n’existait pas jusqu’ici. Ce qui n’a pas empêché le préfet de police de Paris, Didier Lallement, de faire voler ses engins… Comme on l’a déjà vu pour le renseignement, la loi vient ainsi légaliser des pratiques qui s’exerçaient déjà dans l’illégalité, ou plutôt en dehors de tout cadre légal.
Concrètement, le cadre d’utilisation des drones est pour le moins large. Outre la surveillance des manifestations, des frontières ou des côtes, les drones pourront être utilisés aussi pour le constat des crimes ou délits, mais seulement ceux punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à cinq ans. Restriction apportée par les sénateurs. Ils ont aussi voulu souligner que la reconnaissance faciale est interdite, tout comme la captation de sons. Un contrôle se fera par un magistrat ou par le préfet. Les images des drones pourront être utilisées en direct depuis la salle de commandement. Elles pourront aussi être conservées le temps de leur exploitation dans une procédure judiciaire. La Cnil, auditionnée par le Sénat, avait émis des interrogations sur l’usage des drones.
Port d’arme autorisé pour les policiers hors service dans les lieux culturels
Autre mesure qui a fait débat : les policiers et gendarmes seront autorisés à entrer avec dans un établissement recevant du public avec leur arme de service. Ils pouvaient déjà le faire mais on pouvait leur refuser l’entrée. Ce ne sera plus le cas. La mesure a engendré une levée de boucliers des milieux culturels. Ils soulignent la difficulté voire l’impossibilité de contrôler l’identité d’un policier à l’entrée d’un concert ou d’un festival par exemple, et le risque d’accident ou de bavure dans ces cadres festifs. Les auteurs de la proposition de loi défendent au contraire l’utilité de cette mesure, qui permettra aux policiers d’agir en cas d’attaque terroriste, comme au Bataclan.
Pas de « bataille des images » pour les policiers
Pour éviter une « bataille des images », les sénateurs ont refusé que les vidéos tournées lors des manifestations par les caméra-piétons des forces de l’ordre puissent être diffusées au public. Les images pourront cependant être transmises en direct pour les opérations de commandement ou pour une procédure.
Fin des réductions de peines pour les détenus coupables de violences contre les policiers
L’article 23 prévoyait lui de mettre fin au bénéfice des crédits de réduction de peines automatiques pour les détenus coupables d’infractions sur les forces de sécurité intérieure. Là encore, les sénateurs ont limité la portée de la mesure. Ils l’ont jugé non proportionné et l’ont recentré sur les infractions les plus graves (meurtre, tortures, actes de barbaries). Lors de la CMP, le nombre de victimes potentielles a été élargi aux magistrats et aux personnes dépositaires de l’autorité publiques, pour que la mesure ne se limite pas aux policiers.