Après les manifestations partout en France contre la proposition de loi (PPL) sur la sécurité globale, qui ont réuni entre 133.000 et 500.000 personnes, quel avenir pour le texte ? Emmanuel Macron a réuni les ministres concernés ce midi à l’Elysée, avant qu’en fin d’après-midi, les présidents des groupes de la majorité à l’Assemblée annoncent « remettre à plat » l’article 24, qui fait polémique. Ce sera même « une réécriture totale » selon Christophe Castaner, patron des députés LREM, faisant mine d’oublier que le texte part maintenant au Sénat… Au gouvernement de voir « quel est le meilleur véhicule (législatif) : savoir s’il porte cela devant le Sénat ou s’il choisit d’autres véhicules » dit-il sans préciser, alors que l’article 25 du texte sur le séparatisme porte sur une disposition similaire. Précision utile : ce texte devrait être examiné par les députés avant que le Sénat n’examine la PPL sur la sécurité globale. De quoi permettre de griller la politesse aux sénateurs…
« Conformément à la Constitution, la réécriture de l’article 24 dépend désormais du Sénat » rappelle Bruno Retailleau
Cette proposition de réécriture, qui devra assurer la protection des policiers et la liberté de la presse, pourra « enrichir les débats au Sénat, (qui pourront) s’inspirer de la proposition que nous proposerons » ajoute Yaël Braun-Pivet, présidente LREM de la commission des lois. Les sénateurs devraient apprécier. Olivier Becht, président du groupe Agir ajoute : « Rien n’interdit le Parlement et le gouvernement d’insérer la nouvelle rédaction de cet article dans un autre véhicule législatif, pour répondre rapidement à ce questionnement, et éviter que le débat ne dure ». Les sénateurs devraient là encore apprécier pareille attention…
Petit rappel de droit parlementaire de base : l’article 24, qui a été adopté la semaine dernière par les députés, ne peut pas être suspendu, ni supprimé maintenant. Il ne s’agit que d’un simple effet d’annonce. La navette parlementaire suit maintenant son cours, avec l’arrivée du texte à la Haute assemblée. Ce que la sénatrice PS, Laurence Rossignol, et Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, ne se sont pas fait prier de le rappeler sur Twitter.
« C’est panique à bord au gouvernement »
« Ce n’est pas parce que c’est panique à bord au gouvernement sur cette affaire, qu’ils ont gérée comme des amateurs depuis le début, qu’ils ne doivent pas respecter la Constitution » lance pour sa part Marc-Philippe Daubresse, co-rapporteur LR du texte au Sénat. Il ajoute : « S’il y a des propositions à faire, on nous les fera parvenir via un amendement de LREM au Sénat. Mais c’est sur notre texte désormais qu’il faudra débattre, et non sur un nouveau texte bricolé du gouvernement ».
Un peu plus mesuré, le sénateur UDI Loïc Hervé, l’autre co-rapporteur du texte, souligne que « toutes les propositions sont bonnes à prendre. On va l’étudier. Mais c’est le Sénat qui décidera ce qu’on retient ». S’étonnant cependant que « ce sont les mêmes qui ont écrit l’article 24, qui vous expliquent une semaine plus tard qu’ils vont le réécrire », le centriste ajoute:
On n’est pas une chambre d’enregistrement de la majorité de l’Assemblée nationale. Ils peuvent proposer, mais c’est nous qui tenons la plume maintenant.
« Il faut que la référence à la loi de 1881 soit supprimée » selon François Patriat
Invité de Public Sénat, François Patriat, président du groupe RDPI (LREM) du Sénat, a apporté quelques précisions sur les portes de sortie qui s’ouvrent pour le gouvernement (voir la vidéo). « Je n’oublie pas qu’il y a un autre véhicule législatif, qui traite de problèmes similaires, c’est la loi sur le séparatisme, avec son article 25 » confirme le sénateur LREM. Quant à l’article 24, le « gouvernement peut apporter un amendement ». « Il faut que la référence à la loi de 1881 soit supprimée, qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Ça va être cela le processus maintenant » ajoute François Patriat. Soit ce que propose la majorité sénatoriale (lire plus loin).
Loi sécurité globale : l'article 24 ne doit plus toucher à la loi de 1881, selon François Patriat
En revanche, voir « la majorité sénatoriale qui s’offusque, c’est un peu à côté de la plaque » lance le président du groupe RDPI. Réponse de la sénatrice UDI Françoise Gatel : « Sur ce texte, c’est le gouvernement qui est à côté de la plaque dans la méthode ».
Examen du texte au Sénat en février voire mars
Pour l’heure, le texte continue donc son processus législatif. « Ce texte n’est ni fai , ni à faire. Il a été écrit avec les pieds » avait lancé sur Public Sénat le sénateur LR Philippe Bas, ancien président de la commission des lois. Comment les sénateurs comptent-ils le réécrire ? « Avec les mains » sourit aujourd’hui Philippe Bas.
La proposition de loi ne sera pas inscrite à l’ordre du jour avant le début de l’année prochaine. La fin de l’année est occupée notamment par le budget. Puis le texte sur le report des régionales en juin devra passer début janvier. Le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse se tient prêt pour un examen en commission le 20 janvier pour un passage en séance fin janvier. Mais ce week-end, dans le JDD, le ministre en charge des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, a rappelé qu’il y avait encore « des mois de travail » avant son adoption définitive. « La proposition de loi sera examinée au Sénat au 1er trimestre 2021 » a-t-il affirmé, soit un examen qui pourrait arriver au Sénat en février ou mars.
« Cet article 24, c’est un chewing-gum collé à la godasse du gouvernement et du ministre de l’Intérieur »
L’article 24 de la proposition de loi des députés LREM Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, celui au cœur de la controverse, sera évidemment examiné de près. Il vise à punir la diffusion d’images de forces de l’ordre dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. Mais pour beaucoup, il porte aussi atteinte, dans son écriture, à la liberté d’informer et de la presse. « Cet article 24, c’est un chewing-gum à la godasse du gouvernement et du ministre de l’Intérieur » lance le sénateur UDI Loïc Hervé.
« L’article 24 est juridiquement incertain et politiquement désastreux, on a vu la démonstration avec les manifestations ce week-end » constate Marc-Philippe Daubresse. Les problèmes posés par cet article sont multiples. « Le dispositif adopté par l’Assemblée est tellement flou, que ce serait très difficile pour un magistrat de procéder à des condamnations sur cette base » souligne Philippe Bas. « Comment un juge peut caractériser un délit d’intention psychologique ? Tel qu’il est écrit, l’article est inapplicable. Il a des risques certains d’inconstitutionnalité » ajoute Marc-Philippe Daubresse, qui souligne aussi un problème de « proportionnalité ». S’il reste en l’état, une censure du Conseil constitutionnel, que le premier ministre Jean Castex compte saisir, semble bien possible.
Protéger les fortes de l’ordre sans « porter atteinte à la liberté d’informer »
Dans ces conditions, Marc-Philippe Daubresse prévient : « Nous allons réécrire complètement l’article 24 ». Il l’affirmait déjà mercredi dernier, soit bien avant les annonces de Christophe Castaner. Les députés s’alignent donc sur les sénateurs, qui partiront d’une nouvelle page blanche sur cet article. Reste que sur le fond, la droite sénatoriale partage l’ambition du gouvernement. « Il faut protéger les policiers et gendarmes des menaces qui seraient lancées avec l’appui de la diffusion d’images d’intervention » souligne Philippe Bas, qui ne veut « pas laisser sans protection les forces de l’ordre ». Mais en même temps, « il ne s’agit pas de porter atteinte à la liberté d’informer ». Certains plaident carrément pour la suppression de l’article 24, car la loi protège déjà les policiers. « Le Code pénal prévoit les appels à la haine et à la violence, qui sont déjà punis » reconnaît Philippe Bas, « mais je comprends qu’il y ait une attente de mieux protéger. C’est plutôt une question de modalité ».
Explications du rapporteur : « On n’ira pas chercher la législation sur la presse pour trouver les moyens de sanctionner les personnes. Donc on ira rechercher les choses au travers du Code pénal. On ne touchera pas du tout, même par un petit article, à la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Il ne sera plus fait référence à la loi de 1881. Les journalistes n’auront plus de soucis à se faire » assure Marc-Philippe Daubresse, qui craint que la version sortie de l’Assemblée amène les journalistes à « s’autocensurer ». Les dispositions de l’article 24 s’appuient en effet sur une modification de la loi de 1881. Le ministre insiste :
Il faut sacraliser la liberté d’expression et la liberté de la presse.
Côté protection des forces de l’ordre, il faut en revanche « un arsenal juridique plus fort pour éviter de montrer du doigt des policiers sur les réseaux sociaux » soutient le sénateur LR du Nord, qui est prêt à « aller plus loin », en « protégeant mieux aussi les policiers municipaux, ceux qui ont des missions de sécurité ». Loïc Hervé évoque pour sa part un « élargissement » encore plus conséquent. « Est-ce qu’un professeur d’histoire-géographie, un douanier, n’est pas légitime à bénéficier de ce genre de protection ? Un Samuel Paty n’aurait pas pu en bénéficier ? » s’interroge le sénateur de la Haute-Savoie.
Sur les drones et le reste de la loi, le rapporteur Loïc Hervé tient « beaucoup à ce que le Sénat consulte la Cnil »
Si l’article 24 concentre tous les débats, le texte porte sur de nombreux autres sujets, dont le recours aux drones, à son article 22. Il permet l’utilisation des caméras embarquées sur des drones lors des manifestations, les images pouvant être transmises en direct au poste de commandement, mais aussi dans de nombreux autres cas : la recherche, constatation ou poursuite des infractions pénales, la prévention d’actes de terrorisme, la protection des bâtiments publics, la régulation des flux de transport, la surveillance des littoraux et des frontières ou encore le secours aux personnes. De nombreux cas qui peuvent interroger. La constatation des infractions, qui se produisent partout en ville et tous les jours, n’ouvre-t-elle pas la porte à un usage large et extensif du recours aux drones ?
Selon le texte, le public doit être informé du dispositif, « sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis »… Les images doivent être réalisées « de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées ».
« Un cadre protecteur des libertés » et de « la vie privée » pour les drones
Par cet article, le ministère de l’Intérieur compte donner un cadre légal à ce que pratique déjà, en réalité, la préfecture de police de Paris depuis des mois. De là à dire que le préfet Lallement était dans l’illégalité… « En France, il n’y avait pas de cadre légal. Evidemment, il faut encadrer tout ça, dans l’équilibre des pouvoirs et en évitant de toucher aux libertés publiques » explique Marc-Philippe Daubresse. « Je ne dirai pas qu’il y avait un usage illégal par la préfecture de police, car ce qui n’est pas interdit est autorisé » ajoute Loïc Hervé, « mais c’est mieux d’avoir une base législative ». Si le centriste n’a « pas d’objection de principe à utiliser les drones en manif, il faut un cadre serré, protecteur des libertés. On est en France, pas dans un régime totalitaire ». Loïc Hervé, lui-même membre de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil), « tient beaucoup à ce que le Sénat consulte la Cnil sur le sujet, comme sur la loi ». Philippe Bas résume :
II faut être attentif de ne pas faire intrusion par les drones dans les jardins des Français.
Pour le sénateur de la Manche, « la vidéoprotection aux abords des gares ou des points sensibles est une nécessité, tandis que les drones peuvent surprendre des scènes qui relèvent purement et simplement de la vie privée des Français. Il faut que la rédaction soit là aussi respectueuse de la vie privée ».
Le texte prévoit encore d’autres dispositions, comme l’extension des compétences pour les polices municipales de plus de 20 policiers. Les sénateurs ne seront « pas contre sur le principe » précise Marc-Philippe Daubresse. Autres points sur lesquels le Sénat aura à se prononcer : l’encadrement de la sécurité privée (comme dans les aéroports ou les vigiles des supermarchés), les caméras piétons portées par les policiers ou un autre sujet « sensible », dit Philippe Bas : la possibilité pour les forces de l’ordre d’entrer dans les lieux recevant du public avec leur arme de service.
« Le Sénat ne légifère pas sous pression »
Les sénateurs de la commission des lois ont déjà commencé leurs auditions sur la proposition de loi. Elles vont s’accélérer la semaine prochaine. La Haute assemblée compte bien exercer pleinement ses pouvoirs, après la crise causée par la commission de réécriture de l’article 24, lancée par Jean Castex, avant de rétropédaler (lire ici). « C’est la navette parlementaire qui détermine les textes de loi, et non une commission du gouvernement » rappelle Philippe Bas, qui y a vu « un manque de respect du fonctionnement normal de nos institutions démocratiques ».
Loïc Hervé prévient : la Haute assemblée compte « prendre le temps de réfléchir ». « Pourquoi le Sénat devrait tenir à ce point compte de la manifestation ou des syndicats de policiers ? Il y a un contexte, mais il ne légifère pas sous pression » insiste le centriste.
Le gouvernement compte s’appuyer sur le Sénat « pour que la pression descende »
Ironie du sort, après le haut niveau de tension des derniers jours, le gouvernement, dont les relations sont souvent difficiles avec la Chambre haute, a aujourd’hui tout intérêt à s’appuyer sur elle pour trouver une porte de sortie. Et les sénateurs sont prêts à jouer le jeu. « On est totalement disponibles pour faire baisser la pression, trouver des améliorations au texte. C’est vraiment le rôle du Sénat d’être cette chambre de tempérance, de raison, où on va trouver un meilleur équilibre. Dans cette affaire, ça peut être un vrai plus du Sénat » soutient Loïc Hervé.
Ça tombe bien, la vision semble plutôt partagée du côté de l’exécutif, malgré les déclarations des députés en fin de journée. « C’est pas mal qu’il y ait quelque mois, un peu de temps pour que la pression descende et que l’examen du texte soit plus serein » glisse un conseiller ministériel. « C’est le principe même du bicamérisme, c’est permettre d’examiner un texte dans des conditions sereines. Vu que là, c’est monté un peu dans les tours, on ne peut que se réjouir de l’existence des deux chambres » ajoute le même. L’exécutif qui se réjouit de l’existence du Sénat, cette proposition de loi sur la sécurité globale réserve décidément des surprises.