Sécurité globale : le Sénat vote une nouvelle version de l’article 24 qui fait encore débat

Sécurité globale : le Sénat vote une nouvelle version de l’article 24 qui fait encore débat

Le Sénat, à majorité de droite et du centre, a adopté une version « profondément remaniée » de l’article 24 du texte sur la sécurité globale, en excluant toute référence à la loi sur la liberté de la presse. Le ministre Gérald Darmanin compte s’appuyer sur cette nouvelle version, que la gauche juge toujours dangereuse et mal écrite.
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Il s’appelle toujours article 24 mais n’a plus grand-chose à voir avec le texte qui a mis des milliers de personnes dans la rue, à l’automne dernier. C’est un article 24 « profondément remanié » que le Sénat a adopté, ce jeudi, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi sur la sécurité globale.

Création d’un nouveau délit de « provocation à l’identification » d’un policier

Le texte d’origine, tel que voté par les députés, prévoyait de toucher à la loi sur la liberté de la presse de 1881 pour empêcher la diffusion du « visage » des forces de l’ordre dans le « but manifeste » de « porter atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ». Une manière de les protéger, notamment des attaques sur les réseaux sociaux. Mais l’ensemble des sociétés de journalistes y a vu potentiellement une atteinte grave à l’exercice de leur profession. Beaucoup y ont vu aussi une manière de cacher les violences policières, que le gouvernement ne saurait voir. Pour ne rien arranger, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a soufflé sur les braises. Face à la mobilisation, le premier ministre a finalement calmé le jeu. Après avoir annoncé une commission pour plancher à la réécriture, c’est finalement la navette parlementaire, avec le Sénat, qui a été l’occasion de faire redescendre la pression.

Après consultation de multiples juristes et de la CNIL, les sénateurs ont totalement réécrit l’article. Ils ont exclu toute référence à la loi de 1881 et ont créé un nouveau délit de « provocation à l’identification » d’un policier, tout en durcissant la peine, car passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

« L’article, tel qu’il est écrit, n’interdit évidemment pas à un journaliste de filmer, de diffuser »

Sur le fond, la majorité sénatoriale de droite et du centre est « d’accord avec l’intention » du gouvernement de « préserver l’identité des forces de l’ordre en opération », rappelle Marc-Philippe Daubresse, corapporteur LR du texte. Mais « nous avons reçu de l’Assemblée un texte imparfait, […] qui portait atteinte de façon significative à la Convention des droits de l’homme », souligne-t-il. Les sénateurs ont trouvé à la place une « rédaction équilibrée, respectueuse de la déclaration des droits de l’homme ».

« L’article, tel qu’il est écrit, n’interdit évidemment pas à un journaliste de filmer, de diffuser. Ça vaut pour les journalistes comme pour les personnes qui n’ont pas la carte de presse », précise Marc-Philippe Daubresse. « Si un journaliste met par exemple un numéro d’identification » d’un policier, sans volonté de nuire, « il n’est pas sous le coup du délit. Mais s’il est démontré que cette identification a été faite dans l’intention de nuire, et si des images, des données personnelles, données par des journalistes, sont reprises par d’autres avec une intention malveillante, là, il y a un délit » détaille le rapporteur.

« Si le Sénat n’existait pas, il faudrait l’inventer »

Pour le ministre de l’Intérieur, qui dès l’ouverture des débats, a assuré vouloir s’en remettre à « la sagesse » du Sénat, cette réécriture semble acceptable. Il a cependant souligné que le recours au Code pénal durcit le dispositif et « amènera à des comparutions immédiates et à la garde à vue ». Le ministre en a profité pour revenir sur la polémique de la fin d’année dernière, assurant qu’à « nul moment, dans l’esprit du gouvernement », l’idée était « d’interdire aux journalistes de filmer et diffuser ». Le texte n’était « pas disproportionné, ni contraire à la loi de 1881 », soutient Gérald Darmanin, mais il « comprend » la nécessité de « rerédiger ». Gérald Darmanin ajoute :

Il n’y a aucune antinomie entre l’amour de la liberté, et en singulier la liberté de la presse, et l’amour des forces de l’ordre.

Le passage par la Haute assemblée, avec qui les relations sont parfois tendues, tombe pour le coup bien pour l’exécutif. « Si le Sénat n’existait pas, il faudrait l’inventer », lance Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, qui salue le « bon équilibre » du texte.

Le délit de « provocation à l’identification » est « gélatineux » et « inapplicable »

Mais la gauche, qui a voté dans son ensemble contre l’article, n’a pu que dénoncer cette nouvelle écriture, qu’elle juge encore dangereuse et « juridiquement fragile ». Répliquant à Bruno Retailleau, le sénateur PS Jean-Pierre Sueur a raillé « l’espèce de mièvrerie – ce n’est pas habituel chez vous – avec laquelle vous vantez le point d’équilibre qui serait atteint ». Le socialiste souligne qu’il y a déjà « 10 articles de loi qui protègent les forces de l’ordre ».

Jean-Pierre Sueur met en garde contre le nouveau délit de « provocation à l’identification », qu’il juge « gélatineux », c’est-à-dire ouvert à toutes les interprétations et au final « inapplicable ». « Bon courage pour définir les intentions. Quelles sont vos intentions par exemple ? C’est une question qu’on pourrait se poser… » a encore opposé le sénateur PS du Loiret. Il ajoute :

Il y a une démission du Sénat. Ce seront les juges et la jurisprudence qui parleront des intentions.

La sénatrice PS Marie-Pierre de La Gontrie met elle en garde contre le risque de censure par le Conseil constitutionnel, à cause de la proximité avec l’article 18 du projet de loi sur le séparatisme. Son collègue socialiste, Jérôme Durain, salue l’absence de référence à la loi de 1881 mais il pointe « un climat qui empêche les journalistes de travailler dans de bonnes conditions : 200 ont été empêchés de travailler par des forces de l’ordre, il y a des gardes à vue, des autocensures ».

« L’impunité qui règne parfois, au sein des forces de l’ordre, rompt la confiance »

Pour le groupe communiste, sa présidente Éliane Assassi a appelé à « l’abrogation » de l’article 24. « La majorité sénatoriale a habilement reculé pour mieux sauter », estime la sénatrice PCF, qui souligne que le nouveau délit pourra « concerner les journalistes comme les citoyens ». Elle craint que la « rédaction » laisse ouverte encore des « menaces contre la liberté de la presse ».

Derrière cette question des images des forces de l’ordre, le débat sur les violences n’est pas loin. « L’impunité qui règne parfois, au sein des forces de l’ordre, rompt la confiance », interpelle la sénatrice EELV, Esther Benbassa. S’il faut « que nos forces de l’ordre soient protégées », le président du groupe PS, Patrick Kanner, a rappelé qu’on avait dénombré « 2.500 blessés chez les Gilets Jaunes, et 1.800 chez les policiers ». Et de conclure :

Le niveau de monopole de la violence légitime est établi par l’Etat. […] L’Etat se doit d’être exemplaire.

La sénatrice GRS (Gauche républicaine et socialiste, membre du groupe communiste), Marie-Noëlle Lienemann, faisant référence à des propos du préfet de police de Paris, Didier Lallement, met en garde : « Renforcer l’idée qu’il y a d’un côté un soutien aveugle aux forces de l’ordre et que ceux qui manifestent ne seraient pas dans le même camp, c’est une menace grave pour la République ».

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