Transmise au Sénat le 26 novembre, après son adoption à l’Assemblée nationale, la proposition de loi relative à la sécurité globale, portée par plusieurs députés de la majorité présidentielle comme Jean-Michel Fauvergue, sera examinée au Sénat au mois de mars. En plein cycle d’auditions depuis trois semaines, les deux rapporteurs sur texte désignés par la majorité sénatoriale, Marc-Philippe Daubresse (LR) et Loïc Hervé (Union centriste), ont présenté leur première analyse du texte ce 16 décembre 2020. A leurs côtés, le président de la commission des lois, François-Noël Buffet a regretté la « situation d’impréparation » dont a fait preuve l’exécutif, lui qui n’a « pas caché avoir tenu la plume ». Le texte ayant été déposé par des parlementaires, il n’a bénéficié ni d’une étude d’impact, ni d’un avis du Conseil d’Etat.
Or, la proposition de loi touche à des domaines qualifiés de « sensibles », par le sénateur Buffet, loin de se réduire au controversé article 24. Ce point inflammable du texte, à l’origine de nombreuses manifestations dans le pays, pénalise l’utilisation malveillante d’images faisant apparaître des forces de l’ordre. Les rapporteurs ont confirmé qu’ils se dirigeaient une nouvelle rédaction afin de préserver la liberté d’information. Les sénateurs ont regretté la « focalisation excessive » sur ce point, qui a éclipsé le reste du texte dans le débat public, dont François-Noël Buffet a estimé qu’il s’agissait « l’une des plus importantes réformes de sécurité intérieure depuis la dernière Loppsi de 2011 », la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
La CNIL saisie par les sénateurs sur la proposition de loi
La proposition de loi aborde notamment la question de l’utilisation des nouvelles technologiques dans la vidéosurveillance, ou encore la montée en puissance des polices municipales ou les entreprises de sécurité privées. L’état actuel des articles introduisant pour certaines communes un élargissement des prérogatives des policiers municipales – contestation de certains délits et recueil d’acte d’enquêtes – ne satisfait pas le sénateur Marc-Philippe Daubresse. « Nous sommes sceptiques sur l’opérationnalité de ce dispositif », a expliqué le parlementaire, qui veut éviter les éventuels problèmes de constitutionnalité. Le rapporteur devrait se montrer attentif à la question du contrôle de l’autorité judiciaire et de la formation des agents, qui se révèle « insuffisante » en l’état actuel des choses pour les nouvelles missions envisagées. Il juge également que le cadre de l’expérimentation doit être « beaucoup plus rigoureux ».
Au chapitre de la vidéo surveillance, avec le développement des caméras piéton et l’usage de drones, pour lesquels le texte entend donner une base législative, là aussi la vigilance est de mise. Si le co-rapporteur Loïc Hervé ne se dit « pas hostile » par principe aux évolutions technologiques, il tient à garantir un « meilleur équilibre » entre sécurité et libertés publiques et individuelles. Au printemps, le Conseil d’Etat avait donné un coup d’arrêt à leur utilisation dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Et plusieurs voix se sont élevées contre les dangers de la proposition de loi sécurité globale, à l’instar de la Défenseuse des droits. « Les drones permettent une surveillance très étendue et particulièrement intrusive, contribuant à la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel », avait notamment indiqué Claire Hédon. François-Noël Buffet estime que la base juridique offerte par le texte en cours d’examen est « peut-être trop large ». La commission nationale informatique et libertés (CNIL) a été saisie sur l’ensemble de la proposition de loi. Elle présentera son avis devant les sénateurs au mois de janvier.
Article 24 : « nous essayons de mettre de l’ordre dans le désordre »
Reste l’article 24. Sur ce point, les sénateurs ont répété ce qu’ils annoncent depuis trois semaines, à savoir qu’ils s’orienteraient vers une « réécriture complète ». « Nous essayons de mettre de l’ordre dans le désordre », a résumé Marc-Philippe Daubresse, qui veut en finir avec l’intentionnalité posée par l’article et sur un dispositif qui « porte atteinte à la liberté d’information », selon lui (voir son interview dans la matinale de Public Sénat). Le sénateur veut notamment sanctuariser la loi de 1881 sur la liberté de la presse, et passer par le Code pénal, en garantissant à la fois l’exercice du métier des journalistes, tout en protégeant mieux les forces de l’ordre d’une utilisation malveillante de leur image.
Le sénateur du Nord a surtout fait part de son désarroi, constatant que plus d’un texte abordait la protection des individus à travers la pénalisation de la diffusion d’informations personnelles dans le but de nuire. L’article 18 (ex-article 25) du projet de loi confortant les principes républicains est assez proche. « Personne ne peut s’y retrouver. Essayons de trouver une solution rationnelle », a-t-il demandé. « Il ne peut pas y avoir deux textes concurrents », a renchéri François-Noël Buffet. L’idée du Sénat serait de prendre l’article 24, réécrit par leurs soins, pour servir de base à l’article 18, et éviter ainsi la multiplication des incriminations différentes dans la législation.
Quant aux entreprises de sécurité privées, que la proposition de loi tente de réorganiser et de professionnaliser davantage, le rapporteur Loïc Hervé s’est dit « en phase avec les objectifs », tout en espérant des « améliorations » éventuelles sur l’encadrement de la sous-traitance dans le secteur. Les auditions doivent se poursuivre, sur ce thème, et sur d’autres, en décembre et encore durant tout le mois de janvier.