Sécurité globale : sur l’usage des drones, Gérald Darmanin s’oppose à l’autorisation préalable voulue par le Sénat
Des divergences entre le Sénat et le gouvernement sont apparues dans la nuit du 17 au 18 mars lors des débats sur l’article 22 du texte sécurité globale, relatif à l’usage des drones par les forces de l’ordre. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a critiqué le régime d’autorisation préalable introduit par les sénateurs en commission.
L’article 22 de la proposition de loi sécurité globale est l’un des points chauds et l’un des principaux enjeux du texte. Et pour cause, il vise à introduire dans notre droit un cadre légal à l’utilisation des drones par les autorités, qui n’existe pas encore à l’heure actuelle. Par deux fois en l’espace d’un an, le Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative du pays, a donné un coup d’arrêt à l’usage de ces aéronefs par la préfecture de police de Paris. Celle-ci les avait employés pour s’assurer du respect des mesures sanitaires au printemps 2020 ou encore pour surveiller des manifestations.
Dans la version arrêtée par le Sénat en commission des lois début mars, les cas de figure permettant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images par les caméras des drones, restent nombreux. En matière de poursuite des infractions pénales, les sénateurs ont recentré le régime sur les infractions les plus graves, avec la lutte contre les crimes ou délits punis d’au moins cinq ans de prison. S’agissant de maintien de l’ordre ou de sécurité publique, les drones pourront être utilisés pour la protection de sites exposés, la surveillance des frontières, le secours aux personnes, la régulation des transports, ou encore lors de rassemblements, « lorsque les circonstances font craindre des troubles à l’ordre public d’une particulière gravité ».
Le texte du rapporteur mécontente la gauche et le gouvernement
La version adoptée en commission des lois s’est retrouvée prise entre deux feux dans la nuit du 17 au 18 mars, alors que l’hémicycle du Sénat entamait ses débats sur l’article 22. Groupe communiste, écologiste et socialiste ont regretté les garanties « insuffisantes » apportées par le rapporteur Loïc Hervé (Union centriste). « Les drones sont bien jolis pour faire des documentaires vus du ciel, mais nous n’acceptons pas qu’ils soient mis en place pour porter atteinte à nos libertés », a résumé la présidente du groupe CRCE, Éliane Assassi (PCF). Le gouvernement a, lui, défendu le principe d’un retour à une version proche de celle de l’Assemblée nationale, moins contraignante. Parmi les griefs retenus par Gérald Darmanin : le régime d’autorisation préalable à l’utilisation d’un drone, voulu par les sénateurs. Chaque autorisation délivrée le sera par écrit, et motivée, par le procureur ou le préfet, suivant la finalité de l’opération. Impensable pour le ministre. « Cela complexifierait beaucoup l’utilisation de ces drones », a estimé Gérald Darmanin, y voyant une procédure qui irait « alourdir le travail de la police ».
Le rapporteur Loïc Hervé, qui a été à la manœuvre dans la réécriture de l’article 22, a estimé qu’il y avait là une « différence d’approche assez importante » entre le gouvernement et le Sénat. Sans qu’il ne soit adopté, l’amendement du ministre n’était pas loin de convaincre sur les bancs de la droite. « J’ai le sentiment que la procédure est extrêmement lourde », s’est inquiété le sénateur LR Philippe Mouiller. En matière de sécurité, l’opérationnalité des dispositifs et la capacité de réactivité sont des valeurs à prendre en compte. Mais le Sénat veut aussi se montrer fidèle à sa tradition de vigie des libertés publiques. « Nous sommes sur une ligne de crête », a reconnu le sénateur LR Jérôme Bascher, redoutant que la France « rate » le tournant des drones civils, après l’échec des drones militaires.
« Ce n’est pas parce qu’une autorité administrative donne un avis qu’elle engage le législateur », avance Gérald Darmanin
Pour créer un cadre « robuste » à l’utilisation des drones, comme le répète régulièrement Loïc Hervé, le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet (LR), avait saisi cet hiver la CNIL (Commission nationale informatique et libertés). De par leur caractère mobile et souple, en hauteur, les drones sont beaucoup plus intrusifs en termes d’images et d’atteinte à la vie privée que ne le sont les caméras fixes. Tenant compte de l’avis de la CNIL, la commission des lois avait suivi son rapporteur pour apporter des garanties importantes : soumission des drones à la loi « Informatique et libertés », réaffirmation du principe de proportionnalité, ou encore, ce régime d’autorisation, décrié par le ministre. Gérald Darmanin n’a pas interprété ce dernier point comme faisant partie des conseils de la CNIL. Il en a profité pour rappeler que l’avis ne devait pas forcément être suivi. « Ce n’est pas parce qu’une autorité administrative donne un avis qu’elle engage le législateur », a-t-il tenté.
Dans son amendement, le gouvernement prévoyait un champ plus large d’interventions en matière d’infractions pénales : étaient visées les « atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants ». Et alors que les sénateurs avaient recentré l’article 22 aux seuls drones (sans pilotes, donc) pour bien distinguer ce régime de celui des caméras embarquées, le gouvernement souhaitait une définition plus large, incluant « tous les dispositifs aéroportés de captation d’images, en particulier les hélicoptères et les ballons captifs ».
Preuve de la matière sensible sur laquelle ils évoluent, les sénateurs avaient par ailleurs interdit expressément, en commission, que les images captées par les drones puissent faire l’objet d’une technologie de reconnaissance faciale et d’une interconnexion automatisée de données. Ils ont également proscrit les enregistrements sonores. Le débat va se poursuivre ce jeudi, avec l’examen de 19 amendements sur cet article.
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