Le chemin de la proposition de loi Sécurité globale n’est pas encore fini. Le Conseil constitutionnel va devoir rendre une décision sur ce texte venu de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, et vérifier la constitutionnalité des différentes dispositions. Les dispositions proposées dans le texte, sur lequel le Sénat a beaucoup pesé au cours de la navette, sont larges. Elles vont d’une extension expérimentale des prérogatives des polices municipales au partage des images de la vidéosurveillance ou de l’emploi de drones. Le texte avait été adopté définitivement par le Parlement le 15 avril, après un accord entre députés et sénateurs.
Dernière personne en date à avoir saisi les Sages : le Premier ministre Jean Castex, qui souhaite vérifier la constitutionnalité de l’article 24, comme il s’y était engagé en novembre. La rédaction initiale de cet article avait déclenché un tollé cet automne chez les associations de défense des droits de l’homme ou chez des syndicats de journalistes. Sa réécriture par le Sénat n’a pas dissipé la colère chez les opposants à article, qui redoutent une menace sur la liberté de la presse. La Haute assemblée avait modifié l’article, en pénalisant la volonté malveillante d’identifier des membres des forces de l’ordre dans le cadre d’opérations de police. Selon un communiqué de Matignon, le Premier ministre tient à ce que « tout doute » sur la constitutionnalité de l’article, « soit levé ».
Plus tôt dans la semaine, ce sont les trois groupes de gauche du Sénat (socialistes, communistes et écologistes) qui ont déposé un recours devant le Constitutionnel. Constituant un ensemble de plus de 90 parlementaires, ils dépassent largement le seuil des 60 requis pour engager cette procédure. Les craintes vont bien au-delà du seul article 24. Ce sont au total 16 articles (les quatre grandes parties de la loi sont concernées), que les sénateurs concernés demandent aux Sages de déclarer contraires à la Constitution. « Davantage qu’une loi de « sécurité globale », il s’agit d’une loi versant dans la « surveillance totale », qui privatise les missions de sécurité publique et dont nous n’avons eu de cesse de dénoncer les excès », expliquent-ils dans leur lettre de saisine.
« Il y a des points de faiblesses, des points de recadrage ou de censure potentiels », espère Patrick Kanner (PS)
Le président du groupe socialiste Patrick Kanner espère obtenir gain de cause sur plusieurs points principaux. « Sur les 16 articles, il y a des points de faiblesses, des points de recadrage ou de censure potentiels », résume-t-il. L’ancien ministre rappelle d’ailleurs que le texte a germé dans des conditions particulières, celles d’une initiative parlementaire de députés de la majorité, ce qui fragilise sa solidité juridique. « Sur un sujet aussi important, transformer une proposition de loi en projet de loi de fait, sans passer par une étude d’impact ni devant le Conseil d’Etat, c’est un procédé que je dénonce », insiste-t-il. Ce passif justifie d’autant plus ce recours, selon lui. « C’est une sécurité pour les Français. C’est la dernière cartouche démocratique dont on dispose dans cette période d’urgence. Ce texte n’a pas été adopté dans n’importe quelles conditions, mais dans un contexte d’état d’urgence sanitaire », rappelle Patrick Kanner.
Le groupe socialiste, républicain et écologiste avait refusé de voter en faveur d’un texte qui « reste porteur de nombreuses dérives », malgré « quelques tentatives » au Sénat pour améliorer les dispositions les plus problématiques. « On ne peut pas se contenter d’introduire de tels dispositifs dans le droit commun au travers d’un véhicule législatif inadapté, sans avoir réalisé au préalable une expertise contradictoire », avait aussi dénoncé le groupe au sujet de l’essor des caméras piétons ou des drones.
Une loi qui « porte atteinte aux droits et libertés », selon différents groupes
De son côté, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) avait fait la promesse de continuer à batailler contre un texte qui « porte atteinte aux libertés publiques, dont la liberté de la presse ». « Une surveillance de masse s’installe pour imposer l’ordre libéral », a affirmé le groupe. Le groupe écologiste – solidarité et territoires s’est joint aux deux groupes précédents contre une loi qualifiée de « liberticide » et qui « porte délibérément atteinte aux libertés publiques ». Les auteurs de la saisine sénatoriale tablent sur une réponse des Sages d’ici un mois.
Le 20 avril, 87 députés ont également saisi le Conseil constitutionnel sur cette proposition de loi (la Gauche démocrate et républicaine, la France insoumise, les socialistes et apparentés, le groupe Libertés et territoires, et les députés du collectif Ecologie Démocratie Solidarité). Les signataires estiment que le texte « porte atteinte aux droits et libertés » garantis par la Constitution. Outre l’article 24, qui « fait peser sur la liberté d’expression ainsi que sur la liberté de la presse une grave menace », de nombreux articles sont dans leur viseur.
L’article 1, permettant à certaines collectivités d’expérimenter de nouvelles tâches pour leurs polices municipales, risque d’accentuer les inégalités territoriales. Les articles 20 et suivants, sur l’extension des usages de la vidéoprotection pose des problèmes de droit à la vie privée. Quant à l’article 22, posant un cadre légal pour l’utilisation des drones des forces de l’ordre, les garanties ne sont pas suffisantes.
La société civile n’a pas non plus arrêté sa mobilisation contre le texte. Les syndicats de journalistes SNJ et SNJ-CGT, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et Droit au logement, ont l’intention de déposer des contributions volontaires au Conseil constitutionnel, pour aller dans le sens d’une censure des articles controversés.