« Niveau exceptionnel », « montant historique », « empreinte durable sur les comptes sociaux » … Tous les superlatifs ont été utilisés au Sénat ce 8 octobre, salle René Monory, pour décrire l’état inquiétant des finances de la Sécurité sociale, après les premiers mois de la crise sanitaire. La Covid-19 ayant entraîné des dépenses supplémentaires, et surtout un manque à gagner considérable avec la baisse de 8 % cette année de la masse salariale du secteur privé. Auditionné au Sénat ce 8 octobre 2020, après la publication du rapport annuel de la Cour sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a bien insisté sur le caractère exceptionnel des chiffres de l’année 2020, mais dont les effets se feront ressentir longtemps. « L’impact sur la trajectoire est tout à fait considérable (…) On est face à un exercice qui est hors norme pour nos comptes sociaux », a expliqué l’ancien ministre.
Le déséquilibre du régime général et du fonds de solidarité vieillesse se creusera cette année à 44,4 milliards d’euros, 39 de plus que le scénario attendu il y a un an. Le niveau est supérieur à la secousse de la crise financière de 2008 qui s’était traduite par un trou de 28 milliards d’euros en 2010. La dette sociale augmente de 30 milliards d’euros pour atteindre 145 milliards d’euros. Et son extinction totale (par la Cades) est reportée, comme on le sait, de dix ans. Cet horizon a été qualifié d’ « assez incertain » par le président de la Cour.
« La Sécurité sociale ne pas être durablement financée par l’emprunt »
Comme lors d’une précédente audition devant la commission des finances, Pierre Moscovici a mis en garde contre la progression de la dette, qui menace, selon lui, la « soutenabilité » même de la protection sociale française à long terme. Cette approche doit constituer, d’après lui, un « pilier » de la future stratégie, « dès que les circonstances le permettront ». Étant entendu que plus les actions seraient différées, plus elles seraient « difficiles à mettre en œuvre ». « Nous devons reconstruire progressivement une nouvelle trajectoire de retour à l’équilibre des comptes sociaux. La Sécurité sociale ne pourra pas être durablement financée par l’emprunt (…) sauf à pénaliser définitivement les générations futures (…) Nous avons rendez-vous avec la dette », a-t-il appelé.
Et les marges de manœuvre pour redresser les comptes seraient assez limitées, d’après lui. Augmenter les dépenses ? « Peu envisageable » et « pas dans l’air du temps ». « Le retour sur un chemin d’équilibre nécessite des actions structurelles », a-t-il appelé. Le rapport publié par la Cour préconise ainsi d’agir sur l’Assurance maladie, « sans réduire la qualité de la charge » des patients, de « mieux cibler » certaines prestations de solidarité en direction des plus fragiles, et de poursuivre l’amélioration de la gestion des différents organismes de Sécurité sociale, pour détecter erreurs et fraudes notamment.
« Que l’on n’interprète pas notre rapport comme étant une incitation à je ne sais quelle taille sociale »
Particulièrement inquiet par les projections sombres des déficits annuels à venir de la Sécurité sociale (autour de 20 milliards d’euros jusqu’au milieu des années 2020), le rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, est resté sur sa faim. « Elles ne me paraissent pas de nature suffisante », a-t-il réagi.
De façon similaire, à l’approche de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 (PLFSS), Pierre Moscovici a indiqué que les mesures de « régulation » annoncées, à hauteur de 3,5 milliards d’euros, devaient être « amplement plus documentées ». René-Paul Savary (LR), rapporteur de la branche vieillesse de la Sécurité sociale, a partagé à nouveau sa déception sur l’audition d’Olivier Véran, la veille (relire notre article). « C’est une dérive assumée des comptes sociaux avec la crise », a-t-il résumé.
Repris par la sénatrice communiste Laurence Cohen sur la tonalité de son rapport, Pierre Moscovici s’est défendu en indiquant que son but n’était « pas de nier les besoins » des personnels de santé ou des assurés. « Que l’on n’interprète pas notre rapport comme étant une incitation à je ne sais quelle taille sociale, je ne sais quelle casse sociale une fois la crise sanitaire retombée », s’est-il exclamé. Tout en ajoutant que se préoccuper de la dette n’était pas antinomique. « Il y a des problèmes structurels qui existent, des besoins à satisfaire. Il ne s’agit pas du tout de le nier. Une fois qu’on a dit cela, notre rôle à nous, c’est bien d’inciter à ce que ces besoins soient satisfaits, oui, mais au meilleur coût. Car si nous ne le faisons pas, à un moment donné, la dette se vengera. Et la dette sera un butoir au financement des services publics. »