Comment expliquer que le département le plus jeune d’Ile-de-France, aux portes du marché du travail parisien, connaisse le taux de pauvreté le plus élevé de France métropolitaine ? Pour répondre à cette question, l’Institut Montaigne a missionné Agnès Audier. Pendant plus d’un an, la dirigeante d’entreprise a auditionné une cinquantaine d’acteurs politiques, économiques et associatifs du territoire.
« Concurrence » des acteurs publics
Son travail a débouché sur un rapport peu flatteur pour les acteurs publics locaux. « Seine-Saint-Denis : les batailles de l’emploi et de l’insertion » est un document de 88 pages « réalisé avec le soutien de J. P. Morgan », la plus grosse banque au monde. Sans nier le manque de moyens dont ils disposent, Agnès Audier explique avant tout l’échec des politiques d’insertion et d’emploi par une incapacité des acteurs publics à travailler ensemble en Seine-Saint-Denis.
Municipalités, département, région et associations agiraient comme des « concurrents », tous à la recherche de financements pour mener leur propre politique. Le rapport identifie ainsi neuf dispositifs peu ou mal financés faute de coopération. Véritables freins à l’emploi, l’absence de maîtrise de la langue française, le manque de solutions de gardes d’enfants ou encore les difficultés du département à financer les parcours d’insertion du RSA sont décrits comme des « tabous que personne n’ose aborder de front » parce qu’ils ne sont « au cœur des compétences d’aucun des acteurs ».
« Tarte à la crème de la gouvernance »
À la tête du département depuis 2012, Stéphane Troussel refuse la « caricature » de collectivités territoriales incapables de s’entendre. « La crise du covid-19 a montré qu’on était capables de faire front. Tous les jours j’étais en contact avec les services préfectoraux pour organiser les distributions alimentaires ».
Pour l’élu socialiste, le cœur du problème n’est pas la coordination mais l’insuffisance des moyens consacrés par l’État à la Seine-Saint-Denis. « Sur le RSA, la réalité c’est que j’ai 207 millions d’euros de restes à charge en 2019 » explique Stéphane Troussel. Des dépenses non compensées par l’État que le département doit prendre à sa charge, au détriment des parcours d’insertion censés accompagner le versement des aides. « Bien sûr qu’on pourrait toujours faire mieux pour se coordonner. Mais en faire le principal problème, sortir la tarte à la crème de la gouvernance, c’est évacuer le problème structurel des inégalités de moyens » dénonce le président socialiste du département.
Une conclusion « étonnante »
Une analyse partagée par Philippe Dallier, qui se dit « étonné » par les conclusions du rapport de l’Institut Montaigne. Car le constat de l’étude est pourtant bon, estime le sénateur (LR) de Seine-Saint-Denis : celui d’un département qui concentre le plus de problèmes et doit les régler avec des moyens insuffisants. Comment, dès, lors, ne pas en conclure qu’il faudrait d’abord « mettre les moyens nécessaires et arrêter de concentrer les populations les plus pauvres dans le même département » s’interroge Philippe Dallier.
Défaillance de l’État
Il y a deux ans, un autre rapport sur l’échec des politiques publiques en Seine-Saint-Denis dénonçait, lui, une « défaillance de l’État ». Coauteur du rapport, le député François Cornut-Gentille estime que le manque de coordination des acteurs pointé par l’institut Montaigne n’est que l’un des aspects du problème. « Ce n’est pas faux. Mais l’idée qu’il suffirait de mieux se coordonner est insuffisante » estime l’élu.
La parution du rapport parlementaire avait suscité une mobilisation sans précédent des élus du département, toutes tendances confondues, pour réclamer des moyens financiers à la hauteur des enjeux. Un an et demi plus tard, Edouard Philippe annonçait un plan de 21 mesures pour la Seine-Saint-Denis. Des postes supplémentaires dans la police, la justice, des moyens pour les hôpitaux…
C’était en octobre 2019. « Sur le moment, la pression médiatique a fonctionné, on a eu une vraie écoute. Mais maintenant, les mesures tardent à venir » s’inquiète François Cornut-Gentille. « Édouard Philippe avait promis une prime de 10 000 euros pour les fonctionnaires qui restent au moins cinq ans dans le département, le décret d’application n’est toujours pas paru » regrette Stéphane Troussel. « Pour travailler ensemble, il faudrait déjà qu’il y ait des fonctionnaires qui restent ».