Sénat : quelles limites au pouvoir d’enquête ?

Sénat : quelles limites au pouvoir d’enquête ?

En « déroulant la pelote de laine » après les violences d’Alexandre Benalla, lors de la manifestation du 1er mai 2018, la commission d'enquête du Sénat a mis en lumière de nombreux dysfonctionnements de l’exécutif, notamment dans la sécurité du Président de la République. À l’issue de cette enquête, plusieurs questions légitimes émergent : le Sénat était-il dans son droit ? Y a -t-il eu une instrumentalisation de la commission à des fins politiques ?
Public Sénat

Par Romain Vincent

Temps de lecture :

3 min

Publié le

Mis à jour le

Gilles Toulemonde, constitutionnaliste à l’Université de Lille, estime que « le pouvoir d’enquête est légitime ». Ce pouvoir est inscrit dans la Constitution de 1958 et a été modifié par la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République de 2008. Les pouvoirs du parlement sont alors renforcés et les auditions peuvent être publiques.

L’objectif est d’enquêter sur le gouvernement pour résoudre un problème grave et informer sur l’étendue de ce problème et les moyens de résolution (article 51-2 de la Constitution).

Un préalable : le respect de l’indépendance judiciaire

 Malgré cette apparente clarté, un problème se pose : le Sénat doit respecter l’indépendance de la justice. Or, dans le cas de l'affaire Benalla, une enquête préliminaire judiciaire est ouverte dès le 18 juillet 2018.

Gilles Toulemonde précise ainsi cette particularité juridique : il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. L’objectif est d’empêcher le Parlement d’influer sur le pouvoir judiciaire. Mais pour la sénatrice (PS) de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie, la légitimité du Sénat lors de son enquête ne fait aucun doute : son rôle est « distinct » du judiciaire, qui lui « conserve totalement la main (sur l’enquête) ».

Cette question a cependant alimenté de nombreux débats dans notre République. En 1971, le Garde des Sceaux rappelle l’impossibilité cette indépendance de la justice tout en affirmant que : « une commission d’enquête pourrait poursuivre ses travaux à l'égard de faits qui donneraient seulement lieu postérieurement à une enquête préliminaire diligentée par le ministère public ». Le flou juridique pose question sur les limites du pouvoir du Sénat.

« L’histoire vous a donné raison »

Cette phrase, prononcée par Gilles Toulemonde rappelle le rôle d’intérêt général du Sénat dans cette commission. Malgré l’aspect juridique qui pourrait jouer en défaveur de l’action de l’institution, l’enquête parlementaire a permis de mettre en lumière des dysfonctionnements de l’Élysée, notamment en matière de sécurité. Le commandant de police Christophe Rouget rappelle cette évidence : « les présidents passent et la sécurité reste ». Les recommandations du Sénat pour un changement de la protection du Président sont ainsi d’intérêt général.

Impossible pourtant de ne pas s’interroger sur la portée politique de cette enquête. En refusant d’intervenir en 2009, dans l’affaire des sondages de l’Elysée, sous prétexte d’une affaire judiciaire en cours, le Sénat interprète strictement la Constitution. 9 ans plus tard, et une majorité présidentielle différente, le Sénat se permet unilatéralement de changer sa position.

Sénat : une commission d'enquête à géométrie variable ?
00:37

Christophe Bellon, historien du monde politique et parlementaire, rappelle que : « les rapports entre le Sénat et la présidence de la République ont toujours été tendus », mais que cette tension a toujours respecté l’indépendance de la justice. La légitimité de la mise en place d’une commission d’enquête est ainsi récurrente dans notre histoire politique, malgré les clarifications successives dans la Ve République.

Dans la même thématique

Tondelier 2
8min

Politique

Malgré des critiques, Marine Tondelier en passe d’être réélue à la tête des Ecologistes

Les militants du parti Les Ecologistes élisent leur secrétaire national. Bien que critiquée, la sortante Marine Tondelier fait figure de favorite dans ce scrutin où les règles ont été changées. La direction s’est vue accusée par certains de vouloir verrouiller le congrès. Si les écolos ne veulent pas couper avec LFI, le sujet fait débat en vue de la présidentielle.

Le

SIPA_01208671_000002
5min

Politique

Prisons attaquées : vers une nouvelle loi pour permettre l’accès aux messageries cryptées par les services de renseignement

Après la série d’attaques visant plusieurs établissements pénitentiaires, coordonnées au sein un groupe de discussion sur Telegram, le préfet de police de Paris, Laurent Nunez regrette que la disposition de la loi sur le narcotrafic, permettant aux services de renseignement d’avoir accès aux messageries cryptées, ait été rejetée les députés. La mesure pourrait réapparaître dans une nouvelle proposition de loi du Sénat.

Le

Municipales 2026 : pourquoi le prochain mandat des maires pourrait durer sept ans, au lieu de six
4min

Politique

Municipales 2026 : pourquoi le prochain mandat des maires pourrait durer sept ans, au lieu de six

La question d’un report des élections municipales de 2032 est à l’étude au ministère de l’Intérieur, en raison de la proximité d’un trop grand nombre de scrutins, notamment la présidentielle. Si le calendrier devait être révisé, et avec lui la durée du mandat des maires élus l’an prochain, cela nécessiterait une loi. Ce serait loin d’être une première sous la Ve République.

Le

FRA – ASSEMBLEE – 4 COLONNES
13min

Politique

Congrès du PS : les tractations se concentrent sur « Boris Vallaud, qui a des propositions de dates tous les jours »

Alors que les amis de Nicolas Mayer Rossignol, d’Hélène Geoffroy et de Fatima Yadani et Philippe Brun discutent pour fusionner, dans une union des opposants à Olivier Faure qui demandent la « clarté », le président du groupe PS de l’Assemblée, Boris Vallaud, se retrouve au centre des attentions. Mais « son but n’est pas d’être faiseur de roi, c’est de rassembler le royaume socialiste », soutient Rémi Branco, son porte-parole.

Le