Ils quittent le Sénat : Jean-Pierre Sueur, de Mitterrand à l’affaire Benalla

Jean-Pierre Sueur, ancien maire d’Orléans et sénateur socialiste du Loiret, ne se représente pas pour les élections sénatoriales. Il quitte le Sénat après 42 ans de mandats au Parlement. Un parcours qui a fini par un coup d’éclat : la commission d’enquête sur l’affaire Benalla.
Alexandre Poussart

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Standing ovation dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, le 21 juin dernier. Pour sa dernière question d’actualité au gouvernement, Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste, reçoit un hommage de tout le Sénat et de son président, Gérard Larcher : « Jean-Pierre Sueur, 22 années au Sénat, président de la Commission des Lois, Questeur. Il a sans doute battu le record d’heures passées dans les fauteuils de l’hémicycle. On devra écrire ses œuvres complètes ! », s’amuse le locataire du Petit Luxembourg.

Le parcours politique de Jean-Pierre Sueur se démarque par sa longévité : 42 ans de mandat au Parlement. Son moteur : la passion de l’engagement. « Une vie sans engagement me paraît fade, inintéressante. On doit toujours se battre pour quelque chose. Pour une société meilleure, plus juste. »

 

Affaire Benalla : une commission d’enquête retentissante

 

Dans ses dernières années de mandat, Jean-Pierre Sueur participe à un moment majeur de l’histoire récente du Sénat : l’affaire Benalla. En juillet 2018, le sénateur socialiste est nommé corapporteur de la commission d’enquête de la Haute assemblée chargée de faire la lumière sur le rôle d’Alexandre Benalla à l’Elysée. Quelques mois plus tôt, ce chargé de mission au cabinet du président de la République avait été filmé, vêtu comme un policier, en train de frapper des manifestants. « C’était un moment très important. Pourquoi ? car la Constitution donne deux rôles au Parlement : voter la loi et contrôler l’exécutif », explique Jean-Pierre Sueur. « On est dans une vraie démocratie quand, lorsqu’il y a un grave dysfonctionnement au plus haut sommet de l’Etat, dans le cabinet du président de la République, des parlementaires peuvent poser toutes les questions. »

Diffusées en direct, les auditions de la commission d’enquête Benalla ont un fort retentissement dans le pays et sont suivies par de nombreux Français. Jean-Pierre Sueur et ses collègues obtiennent une notoriété qu’ils ne soupçonnaient pas, jusque dans des forums de jeux vidéo sur Internet. « Les gens se sont passionnés pour cette commission d’enquête. Quand je prenais de l’essence, les personnes à côté me disaient « Monsieur Sueur on a écouté les auditions ». Tout le monde me parlait de cela. »

 

Tensions avec l’Elysée

 

Cette commission d’enquête fait réagir jusqu’au sommet de l’Etat, et Emmanuel Macron n’hésite pas à défier les sénateurs, avec des propos lancés devant ses soutiens, à la Maison de l’Amérique latine à Paris : « S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher ! »

« Cette parole n’est pas la meilleure parole du président de la République », commente Jean-Pierre Sueur. « Il savait très bien que c’était impossible. La seule personne qu’on ne peut pas convoquer devant une commission d’enquête parlementaire, en vertu de la Constitution et de la séparation des pouvoirs, c’est le président de la République. »

Mais les sénateurs n’hésitent pas à auditionner les plus hauts responsables de l’Elysée, comme le secrétaire général Alexis Kohler, et le directeur de cabinet du président de la République, Patrick Strzoda. Avec parfois des échanges très tendus. Au terme de cette enquête, le Sénat demande des poursuites judiciaires contre Alexandre Benalla, mais aussi contre les responsables de l’Elysée, pour rétention d’informations devant une commission d’enquête parlementaire. Le gouvernement monte au créneau et dénonce des conclusions très politiques.

« Nous avons subi des pressions de certaines personnes pour que le bureau du Sénat n’avalise pas notre rapport, mais nous avons tenu bon et le bureau du Sénat a tenu bon », raconte Jean-Pierre Sueur. « 4 ans après, j’ai la fierté de vous dire que pas une ligne de ce rapport n’a été remise en cause. »

 

La conquête de la cité de Jeanne d’Arc

 

Bien avant ce coup d’éclat, Jean-Pierre Sueur, agrégé de lettres modernes et militant rocardien, mène ses premières batailles électorales dans les années 80’, dans un territoire, le Loiret, et dans une ville, Orléans. Il est élu député en 1981, dans le sillage de la vague rose de l’élection de François Mitterrand. 8 ans plus tard, il devient maire d’Orléans. « François Mitterrand m’avait dit « Vous ne réussirez jamais à Orléans, car c’est une ville de droite, j’en suis désolé pour vous », confie Jean-Pierre Sueur « Et quand j’ai été élu, il m’a fait venir à l’Elysée et il m’a dit « Vous m’avez bluffé, je vous nomme au gouvernement. »

De ces 2 mandats dans la cité de Jeanne d’Arc, on peut retenir certaines de ses réalisations : une médiathèque, un zénith, le pont de l’Europe qui franchit la Loire, et un tramway. Un projet qu’il a toujours défendu, même si selon lui, cela lui a coûté sa réélection pour un 3e mandat en 2001.

L’action politique de Jean-Pierre Sueur a été tournée dans son ensemble vers les collectivités locales. Il en a été le ministre sous François Mitterrand, entre 1991 et 1993. Il a alors porté la loi créant les communautés de communes et la première loi sur le statut de l’élu local qui prévoyait un droit à la formation et à la retraite.

 

En 2011, la gauche majoritaire au Sénat

 

En 2011, le sénateur socialiste vit un moment inédit dans notre vie politique : la gauche remporte la majorité des sièges au Sénat. « Lionel Jospin disait que le Sénat était une anomalie démocratique et on a prouvé que le Sénat pouvait connaître l’alternance », se félicite Jean-Pierre Sueur, qui fût alors nommé président de la commission des Lois de la Haute Assemblée. Cette alternance n’a duré que 3 ans et est plus difficile à imaginer aujourd’hui, dans le contexte d’affaiblissement de la gauche et du Parti socialiste.

Mais au moment de quitter la vie parlementaire, Jean-Pierre Sueur reste confiant sur l’avenir de sa famille politique :  « Nous sommes les héritiers de François Mitterrand, de Michel Rocard, de Jacques Delors, de Pierre Bérégovoy. Nous devons être dans cette ligne-là, c’est-à-dire la justice, la justice, encore la justice, dans une société avec une économie ouverte où il y a un esprit d’entreprise et d’initiative. Ce n’est pas contradictoire, c’est complémentaire. » Il conclut : « Le Parti Socialiste a beaucoup d’avenir, à condition qu’il reste lui-même. »

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