« J’étais sur le cul ». Un sénateur socialiste n’en revient toujours pas. De mémoire d’élu de la Haute assemblée, il n’a jamais vu ça. Alors que les sénatoriales du 27 septembre approchent à grand pas, c’est la situation dans les Deux-Sèvres qui laisse pantois cet habitué du Sénat. Dans ce département élisant deux sénateurs, le scrutin est majoritaire à deux tours. Habituellement, chaque candidat a son propre bulletin de vote. Mais dans les Deux-Sèvres, la droite pourrait n’avoir qu’un seul bulletin pour ses deux candidats LR, le sortant Philippe Mouiller et le président du Conseil départemental, Gilbert Favreau, qui tente une arrivée au Palais du Luxembourg.
« Ils envisagent d’être ensemble sur le même bulletin » soutient Nathalie Lanzi, la candidate PS, vice-présidente de la région Nouvelle Aquitaine. « L’objectif est de sauver la droite et ses deux sièges » estime l’élue, qui a loupé l’élection en 2014 d’un cheveu. De 28 voix exactement, sur 1114 grands électeurs. A gauche, un sénateur y voit « un subterfuge de la droite, car s’il y a deux bulletins, il y a un risque de déperdition ».
Eviter la dispersion
Deux noms sur le même bulletin ? Le sénateur LR Philippe Mouiller nous confirme l’hypothèse. « C’est possible, mais tout n’est pas encore calé. Il y a les deux options, on discute » explique le sénateur LR des Deux-Sèvres. Une manière d’éviter la dispersion ? « Oui, c’est une possibilité. C’est aussi un signe qu’on donne. On a actuellement deux sénateurs LR sortants (Jean-Marie Morisset ne se représente pas, ndlr), c’est une cohérence ».
Si la campagne « se passe plutôt très bien » pour lui, assure-t-il, « le fait d’être sénateur sortant » lui donnant « un atout indéniable », Philippe Mouillé reconnaît que « ce sera plus serré entre le président du Conseil général et la vice-présidente PS de la région. Mais (il) reste plutôt optimiste ». D’autant qu’un candidat EELV, Nicolas Gamache, est aussi présent, après la poussée verte qui a marqué aussi certaines villes du département. Au total, on compte neuf candidatures.
Le bulletin à deux noms pourrait avoir ses avantages. Et surtout, « c’est autorisé ». En effet. L’article R150 du code électoral dit, au sujet des sénatoriales, que « dans les départements où les élections ont lieu au scrutin majoritaire, les candidats peuvent se présenter soit isolément, soit sur une liste ». Au scrutin majoritaire, il s’agit ainsi d’un scrutin plurinominal, et non uninominal (sauf dans les départements élisant un seul sénateur). Et selon l’article L315, « Les bulletins de vote doivent comporter le nom du ou des candidats et, lorsqu'il y a lieu, ceux de leurs remplaçants ». Bref, on est dans les clous.
Par ailleurs, un panachage est possible. Il s’agit de la possibilité de rayer un nom sur le bulletin. On peut même en écrire un autre à la place. Si le code électoral l’autorise, la pratique reste plutôt rare aux sénatoriales. Ce qui pose problème à Nathalie Lanzi :
Ça porte atteinte à la liberté démocratique de chaque électeur. On présente l’élection comme un scrutin uninominal et on lui donne deux noms. Ça peut surprendre.
La candidate socialiste n’entend pas en rester là. « J’ai demandé à la préfecture comment ils comptent gérer ça en période de Covid. Est-ce que les électeurs penseront à apporter leur propre stylo, s’ils veulent rayer un nom ? » demande Nathalie Lanzi. Du côté de la droite, la décision sera prise d’ici la semaine prochaine, au moment du dépôt des listes. « Mais si c’est confirmé, je saisirai le préfet » prévient la socialiste.
Sa crainte : que ce bulletin à deux noms soit une manière de forcer la main aux grands électeurs, en les poussant à voter pour les deux LR. Mais la socialiste pense que le procédé peut en réalité avoir l’effet contraire. « Ça ne va pas plaire. Philippe Mouiller peut perdre des voix. Quand une personne vote Mouiller, elle vote Mouiller, pas Mouiller et Favreau » lance-t-elle, se mettant à jouer la conseillère pour la droite…
« Ce n’est pas le bulletin qui fait toute la différence »
Pour sa part, Philippe Mouiller temporise et minimise l’impact des deux noms, s’il se confirme. « Ce n’est pas le bulletin qui fait toute la différence. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que ce soit la clef de la réussite » affirme l’élu des Deux-Sèvres. Un candidat LR qui dit s’entendre avec tout le monde. « J’ai de bonnes relations avec tous les candidats, y compris socialistes. C’est tout l’équilibre d’une sénatoriale, qui est une alchimie entre les personnalités et la sensibilité ».
Pour compliquer le tout, la candidature du président du Conseil départemental pourrait s’expliquer, selon certains, par un jeu de chaises musicales. Alors que le scrutin départemental arrive en mars 2021, Gilbert Favreau laisserait ainsi sa place de la présidence. « C’est évoqué. Certains sont sur les rangs. Le nom d'Hervé de Talhouët-Roy a été donné dans la presse locale » glisse la socialiste. Un procédé qui l’énerve. « Le Sénat n’est pas un Ehpad où on va finir sa carrière politique. Le Sénat a besoin de rajeunissement et de féminisation. Les électeurs veulent des gens qui vont bouger, comme le fait bien Philippe Mouiller, qui est apprécié car il fait le taf » reconnaît Nathalie Lanzi, qui se verrait bien élue en même temps que lui. Des propos qui illustrent toute la particularité et le sel du scrutin sénatorial. Contacté, Gilbert Favreau n’a pas répondu à notre sollicitation.
Last but not least, à gauche, certains veulent voir dans cette histoire de bulletin la main de Gérard Larcher, président LR du Sénat, qui suit forcément de près le scrutin. « Gérard Larcher veille à ce que tout se passe bien pour LR » explique-t-on à droite. Mais on assure que « ce n’est pas plus une initiative de Gérard Larcher que de LR. C’est une attitude qui va se faire dans d’autres départements. Quand vous avez deux sénateurs LR sortants, vous avez une démarche de ticket ». On saura le 27 septembre s’ils sont gagnants.