Seconde chance. Après la polémique, suscitée au PS et à gauche par ses propos sur le « sentiment de submersion » migratoire, le premier ministre a pu revenir, indirectement, sur ses déclarations, ce mercredi, au Sénat. En reprenant des termes utilisés par Jean-Marie Le Pen, lundi soir sur LCI, et en les assumant mardi à l’Assemblée, François Bayrou a amené le PS à rompre les négociations sur le budget.
Comme il y a quinze jours, quand le premier ministre avait pu préciser devant la Haute assemblée sa pensée sur la suppression des 4.000 postes de professeurs, rassurant les socialistes, les questions d’actualité au gouvernement, ont été ce mercredi l’occasion de tenter de se rattraper. Mission à moitié réussie a priori.
« Monsieur Barnier a été censuré pour s‘être fourvoyé dans des négociations avec l’extrême droite », rappelle Patrick Kanner
C’est le président du groupe PS, Patrick Kanner, qui s’est fait le porte-voix du courroux socialiste. « Je ne peux rester silencieux, après les propos tenus par le premier ministre lundi soir et réaffirmés hier devant l’Assemblée, en réponse à Boris Vallaud (à la tête des députés PS, ndlr), des propos applaudis copieusement par les députés RN, le regard gourmand et sourire aux lèvres », commence le sénateur du Nord (voir le début de la vidéo), qui ne veut « se résoudre qu’un premier ministre qui doit tout au front républicain se laisse submerger par le vocabulaire de l’extrême droite ». « Non, la France n’est pas submergée par l’immigration. Le rôle d’un premier ministre n’est pas d’attiser les peurs, c’est de dire la vérité aux Français », lance Patrick Kanner, qui ajoute, sur un ton plus personnel :
Alors que la non-censure des socialistes est en jeu, l’ancien ministre de François Hollande rappelle au passage que « Monsieur Barnier a été censuré pour s‘être fourvoyé dans des négociations avec l’extrême droite. Voulez-vous dépendre aussi du RN ? Car nous ne voulons pas que notre pays dépende de l’extrême droite ». Et de conclure : « Nous attendons du premier ministre qu’il soit clair sur l’aide médicale et qu’il abandonne toute référence à la submersion migratoire ».
« Nous ne pouvons écarter ce que nos concitoyens éprouvent et expriment »
Si François Bayrou n’était pas présent dans l’hémicycle, en raison de sa présence aux obsèques du fondateur de Marianne, « son ami Jean-François Khan », le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, a cependant lu, « en son nom », la réponse écrite du premier ministre. Il n’a pas reconnu d’erreur et ne s’est pas dédit. Mais il cherche visiblement à rééquilibrer les choses et les mettre en perspective.
« Les mots sont des pièges. Est-ce qu’il y a un sentiment de submersion ? Dans les sondages, les deux tiers des Français expriment ce sentiment, mais on ne retient dans cette expression que le mot de submersion et non celui de sentiment. Nous ne pouvons écarter ce que nos concitoyens éprouvent et expriment », soutient François Bayrou (voir la vidéo).
« Celles et ceux qui accompagnent nos enfants, nos aînés, qui travaillent dans nos restaurants, les médecins, dans les services d’urgence »
« Mais si nous regardons les choses en face, nous serons en capacité de maîtriser et d’accueillir correctement ceux qui viennent dans notre pays, comme notre c’est devoir », ajoute Patrick Mignola, portant les mots du premier ministre, avant de reprendre des termes qui pourraient être ceux des socialistes.
« La question, c’est la panne de l’intégration, qui est la dynamique singulière de la société française. Elle est vécue par des millions de personnes. En particulier par tous ces Français dont les ancêtres viennent de pays voisins ou lointains. C’est la vie de celles et ceux qui accompagnent nos enfants, nos aînés, qui travaillent dans nos restaurants, les médecins, dans les services d’urgence, les informaticiens, les entrepreneurs, tous participent à la vie de notre pays, et participent à sa richesse. Ce sont aussi les enfants qui vont à l’école », souligne le ministre. C’est cette intégration qu’il appelle à « reconstruire ensemble ».
« Je ne sais pas si cette réponse justifie qu’on revienne à la table des négociations », selon Patrick Kanner
Pas sûr que la réponse soit, dans l’immédiat, suffisante aux yeux des socialistes. Interrogé juste après les questions d’actualité au micro de Public Sénat, Patrick Kanner s’est dit « déçu de sa réponse, elle aurait pu être plus claire ». « Je ne sais pas si cette réponse justifie qu’on revienne à la table des négociations », avance le socialiste. Et de mettre en garde : « Le temps se raccourcit très vite en ce moment. S’il veut vraiment un accord ponctuel de non-censure, je lui demande encore des efforts ».
La situation peut-elle mener à la censure ? « Ce sont des motifs de mécontentement, de colère », préfère dire Patrick Kanner. « Est-ce que cela ira à la censure ? Ce sont les instances du PS, qui décideront », rappelle celui qui fait partie des plus ouverts à l’idée de non-censure. S’il doit encore « réfléchir avec Olivier Faure », numéro 1 du PS, « au moment où je vous parle, les négociations sont bloquées. Nous n’avons pas repris les négociations avec le gouvernement, à quelques heures de la commission mixte paritaire », soutient le sénateur.
« La nécessité d’un budget pèse dans la réflexion des socialistes », souligne le député PS Laurent Baumel
Au PS, les rangs des défenseurs de la censure pourraient grossir. Ils avaient été huit la dernière fois à la voter. « La question de la submersion est un problème qui s’est ajouté. Donc à ce stade, je penche plutôt pour la censure », avance ainsi Laurent Baumel. Mais le député PS d’Indre-et-Loire ajoute « qu’une partie non négligeable des députés, voire tous les députés socialistes, intègrent la question de la nécessité d’un budget, comme critère de décision. On est interpellés par les entreprises, les maires, qui nous disent qu’il faut un budget. Donc ça pèse dans la réflexion des socialistes ». Mais il attend encore « des concessions plus fortes pour justifier la non-censure ».
Le sénateur Rachid Temal, l’un des plus allant pour la non-censure, « est pour dissocier les deux questions, le budget et celle de l’immigration. On peut les traiter parallèlement ». Il « condamne les propos du premier ministre », mais il appelle à « reprendre la discussion et que nous puissions aller au bout du processus ».
Pour le sénateur PS du Val-d’Oise, « on peut très bien avoir un budget et une censure plus tard », « sur autre chose ». Autrement dit, une non-censure dans l’immédiat, pour que la France ait un budget, même imparfait, ce qui n’exclut pas de faire tomber le gouvernement plus tard.
Au gouvernement, certains s’étonnent d’une « instrumentalisation » et d’« une surenchère » qui serait « surjouée »
Au gouvernement, la politique de la chaise vide des socialistes irrite. « Nous souhaitons qu’il n’y ait aucune prise d’otage de quelque nature que ce soit sur le budget », a lancé ce midi la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas. Une autre membre du gouvernement s’étonne aussi, hors micro. « Certains se sont saisis un peu facilement de ces mots pour dire, qu’ils étaient inadmissibles », pointe cette ministre, qui voit « une instrumentalisation du mot », par les socialistes, et regrette « une surenchère » qui serait « surjouée »… La même de mettre en garde : « Si la censure est votée, c’est le grand soir. Et le lendemain matin, c’est la gueule de bois sévère ».