Scolarisation obligatoire à 3 ans : les sénateurs dénoncent la « précipitation » du gouvernement

Scolarisation obligatoire à 3 ans : les sénateurs dénoncent la « précipitation » du gouvernement

Face au risque d’inconstitutionnalité, la fin de l’instruction à la maison pourrait finalement être revue avec bien plus d’exceptions que prévues. Mais cet assouplissement pourrait introduire de nouvelles difficultés, estiment plusieurs sénateurs.
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Déjà malmené par l’article 24 de la proposition de loi Sécurité globale, le gouvernement est en prise avec un autre article qui lui donne du fil à retordre, sous l’œil un peu interloqué des sénateurs. Il s’agit cette fois de l’article 18 du projet de loi « confortant les principes républicains » – le nouveau nom du texte contre les séparatismes – qui sera dévoilé ce 9 décembre en Conseil des ministres. Aujourd’hui, le gouvernement est contraint de revoir l’une des dispositions phares annoncées par le président de la République le 2 octobre aux Mureaux, à savoir la réduction de l’instruction à domicile à des situations très restreintes, comme les raisons de santé. L’objectif poursuivi était d’éviter que des enfants ne se retrouvent en dehors du système dès leur plus jeune âge, et dans des structures d’enseignement confessionnelles clandestines.

Or, la semaine dernière, la disposition restreignant l’instruction à domicile a été accueillie avec de sévères réserves au Conseil d’Etat, chargé de vérifier la rédaction des textes gouvernementaux. « Il n’est pas établi, en particulier, que les motifs des parents relèveraient de manière significative d’une volonté de séparatisme social ou d’une contestation des valeurs de la République. Dans ces conditions, le passage d’un régime de liberté encadrée et contrôlée à un régime d’interdiction ne paraît pas suffisamment justifié et proportionné », a notamment expliqué la plus haute juridiction administrative.

Emmanuel Macron met en avant les « bonnes exceptions »

En conséquence de quoi, le texte sur la table du Conseil des ministres ce mercredi devrait connaître quelques assouplissements, avec davantage d’exceptions pour ce qui relèvera de l’enseignement à la maison, selon Le Parisien. Emmanuel Macron l’avait promis, au cours de son interview à Brut : « Il faut que les bonnes exceptions qui correspondent aux situations que les gens vivent et qui correspondent à une liberté légitime, conforme aux valeurs de la République, puissent continuer à se faire. »

L’arrivée du texte au Sénat est encore loin – l’Assemblée nationale ne sera saisie vraisemblablement qu’en février 2021 – mais il fait déjà beaucoup réagir. La semaine dernière encore, Bruno Retailleau, le président du groupe majoritaire au Sénat, les Républicains, montait au créneau contre l’article 18, dans sa première version. « Revenir sur la possibilité de l’école à la maison qui existe depuis presque 150 ans serait une rupture et une remise en cause d’une composante de la liberté scolaire », écrivait-il. L’opposition dans la droite sénatoriale s’est aussi manifestée une semaine plutôt, au moment de l’examen du budget 2021 de l’Education nationale. « Le gouvernement entend mettre tout le monde au pas, au motif qu’il faut éviter une dérive potentielle isolée et la montée de l’extrémisme religieux », regrettait ainsi le sénateur LR Stéphane Piednoir.

Des sénateurs qui redoutent une réécriture « dans la précipitation »

Au groupe LR, certains ont senti l’avis du Conseil d’Etat sur l’avant-projet de loi arriver de très loin. « Je m’en doutais […] On sanctionnait tout le monde, y compris ceux qui ne posaient pas de problèmes. Il faut savoir cibler ! », estime la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio. Pour elle, le gouvernement « s’est précipité » dans cette affaire. Mais la réécriture pourrait elle aussi poser problème. « Cela va être très compliqué, si on a un article qui fait un inventaire à la Prévert des exceptions » Selon elle, l’un des problèmes vient du fait que le gouvernement ne veut pas parler nommément d’intégrisme islamique.

Après les réserves du Conseil d’Etat et la nouvelle copie en attente, le sénateur Laurent Lafon (Union centriste) redoute que la nouvelle version soit finalement « assez proche du système actuel ». « Je m’interroge à ce stade. Cela va être fait un peu dans la précipitation. Or, la rédaction est très importante en l’espèce », relève le président de la commission de la Culture et de l’éducation.

« Tout cela se délite, c’est du bricolage »

Chez les socialistes, où la généralisation de la scolarisation en établissement rencontrait des soutiens, c’est plutôt la réécriture qui concentre les critiques. « Ce n’est pas sérieux. Tout cela se délite, c’est du bricolage. Le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis », réagit Rachid Temal, porte-parole du groupe, mettant en cause l’absence de concertation dès le début. Pour lui, le « tête-à-queue » du gouvernement représente une « faute politique », et illustre surtout l’absence de « ligne politique sur la laïcité » au sommet de l’Etat. « La laïcité mérite plus que jamais du sérieux, de la constance, et des mesures entendables et applicables », réclame le sénateur du Val-d’Oise.

Son collègue Jacques-Bernard Magner, l’un des référents du groupe sur les problématiques éducatives, pour qui l’article 18 constituait l’un des « rares » points d’accord dans ce projet de loi, voit les choses assez mal engagées désormais. « Je crains qu’on ouvre tellement d’exceptions que l’on dénature ce qu’on voulait faire. Il y en aura tellement que j’ai bien peur que ce soit un coup d’épée dans l’eau », explique ce parlementaire « favorable à ce que tous les enfants aillent à l’école ». Le sénateur du Puy-de-Dôme confie d’ailleurs avoir été très sollicité par des parents d’élèves sur cet article 18.

La question centrale des inspections à domicile

Un élément semble toutefois mettre d’accord une majorité de sénateurs entre eux : l’importance du contrôle de l’éducation à domicile. « Tout cela sous-entend qu’il faudra beaucoup de gens pour examiner les situations. Aujourd’hui, les contrôles sont mal faits car il n’y a pas assez de contrôleurs », souligne Jacques-Bernard Magner.

« Le gouvernement s’est mis dans une situation difficile, il essaye de résoudre un problème grave. Mais on peut déjà le traiter en multipliant les inspections chez les parents », observe le sénateur LR Jacques Grosperrin, qui n’a pas encore tranché sa position sur cet article mouvant. « On sait que ce n’est pas simple. Il faudra bien réfléchir, peut-être trouver un système intermédiaire », conseille-t-il.

« La principale difficulté est clairement identifiée, c’est un problème de contrôle », abonde le président de la commission de la Culture et de l’Education. « Il y a deux niveaux. Le contrôle des instructions à domicile : à quel moment et sous quels critères ? Et le deuxième point, ce sont les écoles non déclarées. On a encore vu récemment qu’il y avait des trous dans la raquette. Si on recherche l’efficacité, c’est dans ces deux directions qu’il faut aller », recommande le sénateur Laurent Lafon.

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