A moins de trois semaines de l’examen en séance du projet de loi confortant le respect des principes de la République, la commission des lois du Sénat poursuit ses auditions préparatoires. Elle auditionnait ce 10 mars à la mi-journée Hakim El Karoui, président de l’association musulmane pour l’islam de France, qui a régulièrement produit des rapports pour l’Institut Montaigne. S’exprimant sur les réponses que devrait apporter l’Etat pour lutter contre les discours radicaux et le séparatisme, il s’est notamment appuyé sur ses dernières recherches publiées dans un récent ouvrage, Les militants du Djihad (Fayard), dans lequel il suit les racines de la radicalisation, à partir du profil de 1 400 djihadistes européens, dont 700 Français.
S’il a jugé que la loi pouvait être utile pour contrôler des organisations, Hakim El Karoui a estimé que cette réponse allait se heurter à une difficulté pour le salafisme. « Il n’y a pas d’organisation », a-t-il expliqué. « Le sujet n’est pas dans les organisations mais dans la diffusion des idées. Elle se fait par les réseaux sociaux. » Le contrôle des cultes, utile, ne « suffira pas », a-t-il mis en garde. « Le succès de cette idéologie est fondé sur une grande problématique identitaire. Face à cela, il y a deux réponses : la réponse de la République et la réponse de l’islam. »
« La promesse républicaine doit être formulée clairement »
« S’il n’y a pas une mobilisation fondamentale immense, opérationnelle, des musulmans de France, et notamment des jeunes, on n’y arrivera pas. Il faut réussir à offrir aux jeunes tentés par un discours radical l’idée qu’on peut être musulman sans être radical. » Selon lui, un discours de modération doit occuper le terrain en ligne. Les imams étrangers sont « incapables » de parler à des jeunes sur les réseaux sociaux. Et cela passera par des financements « endogènes », et non de l’étranger. « L’Etat peut encourager », a-t-il appelé.
S’appuyant sur les travaux du Cevipof, Hakim El Karoui a également affirmé que la véritable fracture en France, s’agissant de l’adhésion à la nation, est sociale. « Il faut que la République fonctionne avec sa promesse d’égalité », a-t-il encouragé. « La promesse républicaine doit être formulée clairement, et de façon audible. Le discours purement institutionnel n’est pas audible par cette jeunesse, quelle que soit son origine et sa religion. » L’essayiste cite notamment le cas des entretiens d’embauche, où les candidats de confession musulmane partent avec moins de chances que les autres candidats. La politique de la ville doit également être revue selon lui. « On se trompe quand on investit trop sur les bâtiments, et pas sur les habitants. »
L’une des deux rapporteures du projet de loi, la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, a estimé que le texte était « nécessaire », par les clés qu’il va offrir à l’Etat. Mais comme son interlocuteur, elle estime que le problème est trop important pour être réglé par cette seule loi. « Elle ne suffira pas, on peut au moins partager ça. Il va falloir inscrire des choses beaucoup plus fortes politiquement pour retrouver l’unité nécessaire. »