Le projet de loi sur le séparatisme, adopté lundi soir par le Sénat, a croisé le chemin de l’actualité à plusieurs reprises à la Haute assemblée. Actualité qui s’est même invitée une dernière fois, à la toute fin d’examen du texte. Le gouvernement a en effet déposé un peu plus tôt, dans l’après-midi, soit à la dernière minute, un amendement pour permettre au préfet de s’opposer à l’ouverture d’écoles hors contrat soutenues par un Etat étranger « hostile » à la République.
Une mesure directement en lien avec un projet de construction d’école musulmane à d’Albertville, porté par l’association Milli Görüs, proche d’Ankara, et déjà au cœur de la polémique de la construction de la mosquée de Strasbourg. Les sénateurs ont adopté l’amendement gouvernemental, après l’avoir légèrement modifié.
Le maire d’Albertville s’était opposé au permis de construire de ce projet d’école, prévu pour 400 élèves. Mais la décision a été cassée le 9 avril par le tribunal administratif. Le président de la région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a ensuite écrit à Emmanuel Macron pour lui demander « d’empêcher l’installation » de l’école.
« La DGSI ou Tracfin peuvent nous démontrer qu’il s’agit d’ingérences étrangères »
Le droit actuel empêche de bloquer la construction d’une telle école. « Malheureusement, nous ne pouvons pas nous opposer à l’ouverture d’une école hors contrat, alors qu’elle a manifestement le caractère d’une ingérence étrangère ou touche la souveraineté de notre pays et ses principes fondamentaux » a regretté le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Son dispositif y remédie. Sur Twitter, il a affirmé avoir déposé l’amendement « à la demande d’Emmanuel Macron ».
Le préfet pourra s’opposer « à une ouverture pour des motifs tirés des relations internationales de la France ou de la défense de sa souveraineté » dit le texte de l’amendement. Selon l’exposé des motifs, le gouvernement vise ici « certains Etats étrangers qui cherchent à ouvrir et à gérer sur notre sol des établissements d’enseignement privés afin de promouvoir leurs intérêts et leur idéologie, souvent hostiles à la France ». Le préfet pourra donc s’opposer, « dans des cas exceptionnels », à des projets soutenus par des Etats qui « démontrent (leur) hostilité à la République et ses valeurs ».
Concrètement, « le préfet pourra soumettre à l’autorité administrative […] des notes de renseignement qui prouvent que les intérêts de la nation sont en jeu. La DGSI ou Tracfin peuvent nous démontrer qu’il s’agit d’ingérences étrangères et une volonté de séparatisme » explique le ministre, « sollicité par de nombreux élus de tous bords politiques : le maire d’Albertville ou le maire de Clichy ».
« Dix nouveaux » projets du même type en France
Prenant l’« exemple de Milli Görüs », le ministre a expliqué qu’« il y a 11 établissements scolaires qui y sont affiliés sur le territoire, des maternelles et des élémentaires, à Blois, Strasbourg, Mulhouse » ou encore « Annecy, Corbeil-Essonnes » ou « Metz », « ça regroupe des milliers d’enfants ». Ces écoles déjà ouvertes ne seront cependant pas concernées par la mesure, à la différence des « 10 nouveaux établissements hors contrat prévus dans l’année » ajoute le ministre, notamment à Albertville donc, mais aussi « Belfort, Clichy ou Bourgoin-Jallieu ».
« Cet amendement répond à une préoccupation apparue très récemment à Albertville » confirme le président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet. Il a soutenu l’amendement, qu’il a cependant fait sous-amender pour remplacer le terme « souveraineté » par « intérêts fondamentaux », jugé juridiquement plus juste.
« On est frappé par l’imprécision juridique et le flou de certains termes »
A gauche, le sénateur PS Jean-Pierre Sueur a assuré « comprendre l’inquiétude » et les « problèmes posés », mais il a mis en garde contre « une réponse trop rapide ». Son groupe s’est abstenu. Sur le plan juridique, « les motifs tirés des relations internationales de la France, je ne sais pas de quoi on parle » s’est étonnée la socialiste Marie-Pierre de La Gontrie. Pour Jean-Yves Leconte, lui aussi sénateur PS, la mesure « devrait passer par une autorisation préalable. Et c’est le prix que nous payons de ne pas avoir adopté cela » estime-t-il, alors que la majorité sénatoriale de droite s’est opposée au régime de l’autorisation pour l’ouverture des écoles hors contrat. « C’est le deus ex machina. C’est la façon de réintroduire l’autorisation préfectorale » a lancé le communiste Pierre Ouzoulias, qui s’est dit « triste » que l’amendement ne parle pas « de droit de l’enfant ».
Le centriste Laurent Lafon, président de la commission de la culture et de l’éducation, n’a pas caché qu’il était « toujours un peu gênant, après deux semaines de débats, de découvrir un amendement au dernier moment. On a toujours la crainte de légiférer dans l’urgence avec plus de questions en suspens que de réponses apportées ». « On est frappé par l’imprécision juridique et le flou de certains termes » ajoute le sénateur du Val-de-Marne, qui a cependant voté l’amendement avec son groupe.
« On ne peut pas laisser les maires démunis »
Martine Berthet, sénatrice LR de Savoie et ancienne maire d’Albertville, a pour sa part « remercié le ministre d’avoir pris en compte la demande de très nombreux élus » de sa commune. « Ce problème est apparu effectivement à Albertville mais aurait pu arriver ailleurs » ajoute Martine Berthet, selon qui « on ne peut pas laisser les maires démunis ».