Le rapport du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) saisi sur le dossier s’inquiète sérieusement des nouvelles dispositions prévues au titre de la loi « séparatisme ». Dans son rapport du 23 novembre, les élus et les représentants de l’Etat qui composent le conseil dénoncent la « stigmatisation des administrations publiques locales » par un projet de loi « qui donne le sentiment d’une défiance à l’égard de ces dernières ». Surtout, ce texte entache le principe de décentralisation en rétablissant un « pouvoir de tutelle du préfet sur les collectivités territoriales et […] un contrôle a priori de leurs actes ». De quoi crisper les élus locaux.
Pouvoirs renforcés
En pratique, l’article 2 du projet de loi doit permettre aux préfets de déclencher une procédure de déféré-suspension avec effet immédiat en cas d’atteinte au principe de neutralité des services publics. Le juge administratif aura dès lors 30 jours pour statuer sur le bien-fondé de la décision. Autre disposition critiquée, la possibilité pour les préfets en cas de non-exécution d’une décision de justice visant à mettre fin à une atteinte à la neutralité des services publics de procéder d’office à son exécution en lieu et place de l’autorité locale compétente.
Un moyen pour les représentants de l’Etat de court-circuiter les actes adoptés par les collectivités territoriales s’ils les jugent antirépublicains ou contraires au principe de laïcité. D’où la crainte pour les élus locaux d’un « dévoiement de ces procédures à d’autres fins que celles initialement envisagées ». Enfin, jugeant les dispositions disproportionnées au regard du rare nombre de dysfonctionnements observés, le CNEN s’interroge sur l’utilité de créer des instruments spécifiques aux administrations publiques.
Les élus locaux en colère
Des dispositions qui inquiètent les élus locaux. Ils fustigeant une « volonté de stigmatisation » des collectivités territoriales. « C’est une défiance insupportable pour la totalité des maires » a réagi André Laignel, premier vice-président de l’association des maires de France (AMF) lors d’une conférence de presse de l’AMF le 24 novembre dernier. « Un point de vue partagé par l’ensemble des maires de France » a ajouté François Baroin, président de l’association.
Les sénateurs divisés
Du côté du Sénat, le verdict est loin d’être unanime. Pour le sénateur Les Républicains de la Seine-Saint-Denis et ancien maire Philippe Dallier, les dispositions de l’article 2 n’ont rien d’une nouveauté. « Les collectivités territoriales sont déjà sous la tutelle de l’Etat », soutient le vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. En cas d’atteinte au principe de neutralité des services publics, le représentant de l’Etat a donc « toute la légitimité d’agir ».
Un constat partagé par Françoise Gatel, présidente de la même délégation. La sénatrice Union Centriste compte avant tout sur un dialogue entre les maires et les préfets. Pour elle, les représentants de l’Etat doivent être en mesure d’examiner la décision d’un maire et si besoin de la suspendre, tout en précisant que ce cas de figure doit être réservé à des « situations extrêmes de décisions antirépublicaines ».
Ce n’est pourtant pas l’avis de Jérôme Durain, membre de la délégation et sénateur du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain. Il rejoint les conclusions du CNEN et critique une « perte de souveraineté locale » au profit des préfets. Avec une telle mesure, les maires deviennent « les auxiliaires de l’Etat » et c’est le principe de décentralisation qui en pâtit.
Le projet de loi « séparatisme » doit arriver au Sénat en février prochain. Les remous provoqués par le renforcement des pouvoirs de l’Etat au détriment des collectivités territoriales, annoncent déjà des débats animés.