[Série] 1981, « la force tranquille » de Mitterrand : la campagne du futur de « l’homme du passé » (1/5)

[Série] 1981, « la force tranquille » de Mitterrand : la campagne du futur de « l’homme du passé » (1/5)

Que restera-t-il de la campagne 2022 dans quelques années ? Les présidentielles sont toujours des moments politiques intenses sous la Vᵉ République et certains slogans, affiches ou thèmes de campagne sont presque devenus mythiques. Retour sur ces morceaux d’histoire politique, entre mythes et manœuvres électorales, avec un premier épisode sur la présidentielle de 1981, où François Mitterrand avait promis de « changer la vie », et a finalement surtout changé la communication politique.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Bien sûr, 1981, ce sont les nationalisations, des ministres communistes au gouvernement et le fantasme des chars soviétiques défilant sur les Champs-Elysées. Mais finalement, la poussée de fièvre anticommuniste a été de courte durée, et cet épisode fait maintenant partie du folklore politique associé à l’alternance sous la V République.

Au-delà même de l’alternance politique, si la campagne de François Mitterrand marque une rupture, c’est celle de la mue d’un homme de la IV République parlementaire en candidat incarnant parfaitement la fonction présidentielle.

Pendant la campagne de 1981, avant d’être un candidat de gauche, François Mitterrand est « l’homme du passé » qui se mue en président de la République apaisant et surplombant, jupitérien avant l’heure. Le futur président de la République n’en est pas à une contradiction près, mais celle de 1981 est peut-être à la fois la plus étonnante et la plus signifiante.

Par sa communication politique, l’auteur du Coup d’Etat permanent (Ed. Plon, 1964) devient l'un des candidats les plus en phase avec les institutions gaulliennes de l’histoire de la V République.

« L’homme du passé »

Et pourtant, avant de devenir le premier président de la République socialiste, François Mitterrand partait de loin. Le maire de Château-Chinon a été huit fois ministre et trois fois secrétaire d’Etat sous la IV République. Avant de s’imposer comme le leader d'opposition au gaullisme de la V République, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel en 1965.

Le candidat de la gauche dénonce, en effet, la personnalisation du pouvoir et un affaiblissement des corps intermédiaires qui produisent une technocratisation rampante de la politique française. Nouveau chef de l'opposition de gauche, François Mitterrand empêche de Gaulle de gagner au premier tour, mais reste aussi prisonnier de ces débats institutionnels, qui peuvent paraître lointains en 1981.

Les chocs pétroliers, la conjoncture économique – tout comme les clivages politiques – ont changé. Et Valéry Giscard d’Estaing (VGE), l’inspecteur général des finances de 48 ans qui lui fait face au second tour en 1974 ne s’y trompe pas en moquant « l’homme du passé. »

François Mitterrand, pas fan de la télévision

Force est de constater que François Mitterrand est certes un habile dirigeant politique, qui a conquis le Parti socialiste le jour où il y a pris sa carte en juin 1971. Mais le futur président de la République a, au départ, beaucoup de mal à s’adapter à la nouvelle donne politique qu'est l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

En 1965 déjà, le candidat de la gauche avait assez maladroitement appréhendé l’arrivée de la télévision dans la politique française et avait souffert, par comparaison, de l’aisance de Jean Lecanuet dans l’exercice. Homme de meeting et de discours, François Mitterrand a du mal à apprivoiser le format court de la télévision. « Le média, c’est le message » disait Marshall McLuhan en 1967. Or, la télévision c’est de l’image, et un lien direct avec les téléspectateurs. Et longtemps, François Mitterrand paraît livide et transpirant à cause du maquillage, parfois même hautain, voire méprisant.

Bref, ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on retient les formules de « VGE » lors du premier débat de l'entre-deux-tours de l’histoire en 1974, alors que François Mitterrand n’a pas laissé de « petite phrase » à la postérité. Enfin, pour ce débat-là.

La com’ de Mitterrand : des slogans chiadés...

En 1981, le candidat Mitterrand joue enfin le jeu de l’élection présidentielle et de la personnalisation. Peut-être est-il même celui qui l’a compris le plus tôt et le plus profondément, en faisant de son image parfois dure une forme de « sagesse » familière pour l’ensemble de l’électorat.

Enfin, plus précisément, c’est un duo, mis sur orbite par Gérard Colé, conseiller en communication de François Mitterrand, qui est à la manœuvre pour opérer cette transition de « l‘homme du passé » vers le futur président de la République. Jacques Séguéla et Jacques Pilhan vont faire de l’image poussiéreuse de François Mitterrand, un élément de communication rassurant sur l’alternance politique qu’il incarne.

Les éléments de ce dispositif de communication sont connus : un slogan, « la force tranquille », et une affiche mettant en scène l’homme de Jarnac devant un petit village de la Nièvre – Sermages – et son clocher rogné. Rassurer la droite, pourquoi pas, mais faire figurer un signe religieux sur l’affiche de campagne, ce serait aller trop loin pour le candidat socialiste.

Le fameux slogan et la célèbre affiche de campagne matérialisent ce retournement qui permet à François Mitterrand de concilier l’héritage du programme commun avec les communistes, et le rassemblement d’un électorat élargi vers le centre, nécessaire dans une présidentielle à deux tours.

... aux canines limées

L’histoire un peu romancée des présidentielles a cependant tendance à occulter le fait que ce slogan arrive seulement en fin de campagne, après le slogan officiel du candidat socialiste – « changer la vie » – comme pour parachever l’œuvre de Séguéla et Pilhan. L’équipe de François Mitterrand est allée jusqu’à lui faire limer les canines supérieures pour adoucir son image, transformant de ce fait l’aspirant prince machiavélien carnassier en homme d’Etat paisible et rassembleur.

La campagne de 1981, au-delà de la portée évidemment symbolique de l’accession d’un socialiste à l’Elysée, aura ainsi entériné les transformations profondes de la communication politique à l’ère des médias de masse. Le paradoxe étant que celui qui incarne ces mutations dans la légende des présidentielles est un opposant historique à la personnalisation du pouvoir présidentiel.

Finalement, 1981, c’est une alchimie mystérieuse qui n’a pas transformé du plomb en or, mais un éternel perdant en unique président de la République ayant effectué deux septennats à ce jour.

 Lire aussi. [Série] 2007, « travailler plus pour gagner plus » : quand Sarko muscle son jeu (3/5)

 

Dans la même thématique

Paris: Concertation Emmanuel Macron et Nouveau Front Populaire Elysee
10min

Politique

Gouvernement Barnier, destitution, retraites… Les hésitations de la gauche sur la stratégie à adopter

Le Nouveau Front Populaire (NFP) peine à porter une voix commune sur les prochaines échéances parlementaires, malgré la volonté partagée par l’ensemble des groupes de gauche de censurer le futur gouvernement de Michel Barnier. En outre, l’affrontement des derniers jours entre Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin interroge sur la place de LFI au sein de l’alliance.

Le

Paris: Designation Bureau Assemblee Nationale
5min

Politique

Destitution : la procédure lancée par LFI va-t-elle pour la première fois passer le filtre du Bureau de l’Assemblée nationale ?

Mardi, la recevabilité de la proposition de résolution, déposée par le groupe LFI visant à « engager la procédure de destitution » à l’encontre du chef l’Etat sera examinée par le Bureau de l’Assemblée nationale. Si jamais, le Bureau décidait pour la première fois de transmettre la procédure de résolution à la commission des lois, de nombreuses autres étapes resteraient à franchir afin que la destitution prévue à l’article 68 de la Constitution soit effective.

Le

Current affairs question session with the government – Politics
8min

Politique

Gouvernement Barnier : au Sénat, l’accentuation du clivage droite/gauche va-t-il créer des tensions ?

Avec le soutien de la droite à Michel Barnier, le groupe LR va se retrouver dans la majorité gouvernementale. De quoi tendre les débats avec la gauche ? Patrick Kanner, à la tête des sénateurs PS, promet déjà « une opposition frontale face au couple Barnier / Macron ». Il a demandé à ses troupes de « se préparer à une ambiance différente ». Mais pour le sénateur LR Max Brisson, « le Sénat restera le Sénat. Les clivages politiques ne sont pas du tout comparables à ce qu’ils sont à l’Assemblée ».

Le

Budget 2025 : les premières réponses qui se dessinent au Sénat pour redresser les comptes publics
3min

Politique

Le budget 2025 retardé ? « Cela n’est pas de la responsabilité du Premier ministre, mais du Président qui a mis deux mois à le nommer », avance Claude Raynal

Ce lundi, Michel Barnier a annoncé qu’il transmettrait à la commission des finances de l’Assemblée nationale un courrier comprenant des documents relatifs au budget pour l’année 2025. Si la commission des finances du Sénat a également eu ses informations, son président, Claude Raynal et son rapporteur général, Jean-François Husson, déplorent le retard déjà pris sur le calendrier budgétaire. Les deux sénateurs pointent du doigt la nomination tardive de Michel Barnier par Emmanuel Macron.

Le