[Série] 2012, la victoire à la Pyrrhus du président normal (4/5)
Que restera-t-il de la campagne 2022 dans quelques années ? Les présidentielles sont toujours des moments politiques intenses sous la Vᵉ République et certains slogans, affiches ou thèmes de campagne sont presque devenus mythiques. Retour sur ces morceaux d’histoire politique, entre mythes et manœuvres électorales, avec un quatrième épisode sur la campagne de 2012 où un retournement sémantique a permis à un nouveau candidat de gauche d’accéder à la présidence de la République.

[Série] 2012, la victoire à la Pyrrhus du président normal (4/5)

Que restera-t-il de la campagne 2022 dans quelques années ? Les présidentielles sont toujours des moments politiques intenses sous la Vᵉ République et certains slogans, affiches ou thèmes de campagne sont presque devenus mythiques. Retour sur ces morceaux d’histoire politique, entre mythes et manœuvres électorales, avec un quatrième épisode sur la campagne de 2012 où un retournement sémantique a permis à un nouveau candidat de gauche d’accéder à la présidence de la République.
Louis Mollier-Sabet

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« Je n’aurais pas dû dire « président normal ». » Il est rare que le vainqueur d’une élection regrette sa communication de campagne, vraisemblablement gagnante. Mais il est aussi rare qu’un président de la République sortant ne se représente pas. Le quinquennat de François Hollande fut décidément particulier, et sa communication, tant comme candidat que comme président, le fut tout autant.

Difficile de faire plus paradoxal, sous la Vᵉ République, que de voir un candidat à la magistrature suprême s’autoproclamer « président normal. » L’antiphrase est totale, dans un régime où le président de la République agit souvent, de fait, comme chef du gouvernement, dépositaire de la souveraineté nationale et chef de l’exécutif.

Difficile aussi, à l’autre bout de son mandat, d’imaginer un président de la République se confier à des journalistes aussi ouvertement et régulièrement que François Hollande l’a fait avec Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

Peut-être est-ce cette contradiction qui lui a fait avouer à ces deux confidents qu’un « président ne devrait pas dire ça ». Peut-être qu’implicitement, le président de la République avait compris que si « un président ne devait pas dire ça », ce n’était pas si anormal pour un « président normal. »

Le « président normal » contre « l’hyperprésidence »

Mais que diable allait-il faire dans cette galère de « présidence normale » ? En fait, avant d’être une épine dans le pied d’un président de la République incapable de se représenter, cette « normalité » a été un axe de campagne particulièrement efficace face à Nicolas Sarkozy. Quand François Hollande se lance dans la campagne présidentielle fin 2011, le président de la République en exercice sort d’un quinquennat dur et clivant, marqué par la crise financière, ainsi que de nombreux mouvements sociaux, contre la réforme des retraites notamment.

Nicolas Sarkozy a eu une pratique du pouvoir très verticale et a parfaitement épousé les institutions de cette « nouvelle » V République qui s’installe avec le quinquennat. Très vite le concept « d’hyperprésidence » voit le jour pour qualifier la pratique du pouvoir sarkozyste, qui fait du président de la République à la fois le chef de l’Etat, le chef de la majorité et un chef de parti.

Face à lui, François Hollande mise donc sur une pratique alternative qui doit annoncer une alternance politique. Avec « le président normal » et « le changement, c’est maintenant. »

La campagne du candidat socialiste le construit en symétrie totale du président sortant, d’où ce concept inédit sous la V République de « président normal » consacré par sa célèbre anaphore lors du débat d’entre-deux-tours qu’il conclut ainsi :

« Moi, président de la République, j’essaierai d’avoir de la hauteur de vue, pour fixer les grandes orientations, les grandes impulsions, mais en même temps je ne m’occuperai pas de tout, et j’aurai toujours le souci de la proximité avec les Français. »

Dans cette tirade, le candidat Hollande décline en réalité tout ce que le président Sarkozy avait lui-même théorisé en prétendant « s’occuper de tout. » Il construit en creux un contre-modèle de rapports avec la majorité présidentielle, le Premier ministre et la justice, d’exemplarité des ministres et même de réformes institutionnelles.

Plus largement, François Hollande mise sur une image sobre et rassembleuse face à la personnalité « bling-bling » et clivante qu’assume Nicolas Sarkozy, l’homme du repas au Fouquet’s le soir de sa victoire en 2007 et de petites phrases célèbres, comme celle sur la Rolex à 50 ans. Le président sortant passe finalement beaucoup plus près de sa réélection que ce que l’on avait un certain temps imaginé, mais finalement le « président normal » devient président de la République le 6 mai 2012 au soir.

Qui imagine le général de Gaulle aller rejoindre Yvonne en scooter ?

Autant le slogan sur la « présidence normale » avait bien fonctionné, autant le mettre en œuvre pendant le quinquennat s’est révélé tâche bien plus ardue pour François Hollande. « Moi, président de la République, je ne serai pas chef de la majorité » avait-il promis face à un Nicolas Sarkozy qui avait pu paraître un chef d’Etat trop partisan.

La promesse a bien été tenue, mais peut-être pas dans les conditions qu’aurait imaginées le chef de l’Etat avec l’émergence des frondeurs au sein même de sa majorité parlementaire.

François Hollande s’était aussi engagé pour « plus de proximité avec les Français », mais qui aurait pu deviner qu’il irait – dans le parfait appareil du cadre supérieur parisien lambda – jusqu’à la rue du cirque en scooter pour rejoindre Julie Gayet ? Finalement le paradoxe du président normal est là : c’est quand il fait comme tout le monde que ce n’est pas normal.

Si François Hollande avait pu se représenter, peut-être François Fillon se serait-il fendu d’un « qui imagine le général de Gaulle allant rejoindre Yvonne en scooter ? » mais nous n’avons pas eu cette chance.

L'affaire « Leonarda » a achevé le président normal

L’anecdote du scooter n’est pas très signifiante politiquement, mais elle s’insère dans tout le dispositif de campagne du candidat socialiste, qui l’a poursuivi tout au long de son quinquennat. L’image de François Hollande a été écornée par cette « normalité » qui permet à une adolescente de rejeter en direct à la télévision l’asile proposé par le président de la République, faisant de cet échange une véritable « affaire » par la suite connue sous le nom de la jeune fille « Leonarda ».

Cet effacement parfois, cette indécision souvent, ont rendu le mandat de François Hollande si compliqué à mener qu’il n’a pas pu empêcher son ministre de l’Economie de se présenter. Et il a dû lui-même jeter l’éponge après la sortie du fameux livre Un Président ne devrait pas dire ça (Ed. Stock, 2016).

Dans la continuité de l’action du gouvernement de François Hollande sur bien des aspects, Emmanuel Macron a bien retenu la leçon des vicissitudes de la victoire à la Pyrrhus du « président normal ». Alors que certains l’auraient vu en Brutus, l’ancien locataire de Bercy organise sa campagne pour se construire en « Jupiter », une ultime façon – si l’on en doutait – de tuer le père.

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