[Série] 2017, l’implosion : le monde politique face à lui-même (5/5)

[Série] 2017, l’implosion : le monde politique face à lui-même (5/5)

Que restera-t-il de la campagne 2022 dans quelques années ? Les présidentielles sont toujours des moments politiques intenses sous la Vᵉ République et certains slogans, affiches ou thèmes de campagne sont presque devenus mythiques. Retour sur ces morceaux d’histoire politique, entre mythes et manœuvres électorales, avec un dernier épisode sur l’éclatement du paysage politique lors de la présidentielle 2017, où, face à cette nouvelle donne partisane, le monde politique est lui-même devenu l’objet de la campagne.
Louis Mollier-Sabet

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Entre la mort annoncée de « l’Ancien monde » et la prédominance des « affaires », la campagne de 2017 a pris une tournure très politique. Normal, pourrait-on se dire, pour une élection présidentielle qui, sous la Vᵉ République et a fortiori sous le quinquennat, détermine la politique du pays pour les cinq prochaines années.

Pas vraiment, au sens où rarement une campagne a été autant focalisée sur le monde politique en lui-même et moins sur certaines mesures publiques que les candidats ont mises en avant, comme le travail et l’identité nationale en 2007, ou bien la fracture sociale en 1995.

En 2017, on parle professionnalisation et pratique du personnel politique, avenir des partis et recomposition du champ politique. Qu’on les critique ou pas, qu’on s’en défende ou que l’on propose un système alternatif, les pratiques des hommes et des femmes politiques ont été inscrites à l’agenda par les différentes « affaires », notamment celles sur Fillon.

En 2017, aucun candidat du PS ou de LR n’accède au second tour

Sur le fond, la campagne de 2017 a aussi mis les principaux candidats face à l’explosion de l’alternance habituelle proposée aux électeurs sous la V République, entre droite et gauche. Si des percées ponctuelles avaient déjà été réalisées par François Bayrou en 2007 ou par Jean-Marie Le Pen en 2002, c’est bien la première fois qu’aucun candidat du PS ou de LR – sous ses noms successifs – n’accède au second tour de l’élection présidentielle.

Plus structurellement, le champ politique français se retrouve divisé en quatre, entre :

Au-delà des scores des différents candidats, ce qui frappe c’est que cette rupture n’est pas seulement le résultat, mais aussi l’enjeu de la campagne présidentielle de 2017. Les candidats parlent du monde politique, de ses partis, de ses clivages, mais aussi de ses pratiques et de ses coutumes.

À leur manière, les quatre principales têtes d’affiche sont toutes confrontées aux transformations de la politique et des médias, dans une campagne inédite, qui met le monde politique aux prises avec lui-même.

L’affaire Penelope Fillon ou le « Penelopegate »

A posteriori, si l’on devait retenir une formule ou un slogan de la campagne 2017, comme l’on a retenu « La force tranquille » ou « Travailler plus pour gagner plus », peut-être retiendrait-on paradoxalement une formule qui n’émane pas d’aucune équipe de campagne : « Rends l’argent ! »


Depuis les premières révélations du Canard Enchaîné en janvier 2017 sur les emplois fictifs de Penelope Fillon, d’autres ont suivi, sur les emplois de ses enfants comme assistants parlementaires notamment, ou sur l’affaire dite « des costumes. » Bref, François Fillon est mis en examen le 14 mars 2017, un peu plus d’un mois avant le 1er tour. De quoi parasiter totalement la campagne de celui auquel on prédisait un boulevard vers la présidence après sa victoire aux primaires de la droite de l’automne 2016.

Celui-ci ne manque d’ailleurs pas une occasion de dénoncer un « coup d’Etat institutionnel » du Parquet national financier (PNF) et un « assassinat politique » des médias, voire d’un mystérieux « cabinet noir » de l’Elysée, qui manipulerait la presse.

On a moins entendu Marine Le Pen sur ce sujet, pourtant mise en cause – elle aussi – dans l’affaire des assistants parlementaires du FN au Parlement européen, mais dont le socle électoral vraisemblablement plus solide lui a évité des déboires électoraux similaires à ceux du candidat LR.

Le « dégagisme » de Jean-Luc Mélenchon

Si ces affaires ont indéniablement écorné l’image d’un François Fillon qui se voulait le chantre de l’austérité budgétaire et morale, elles ont aussi rythmé une campagne qui a pu parfois prendre des airs de débats constitutionnels sur ce que devrait être le monde politique.

Littéralement d’ailleurs, quand on regarde la campagne du quatrième homme de cette élection, Jean-Luc Mélenchon, avocat de la Vᵉ République et de la convocation d’une Constituante pour refonder les institutions.

Derrière cette proposition, la France Insoumise a plus largement théorisé une stratégie dite « populiste », en reprenant les travaux des philosophes Chantal Mouffe et Ernesto Laclau de mise en retrait des marqueurs de gauche pour parier sur un clivage plus « vertical » entre le peuple et les élites.

Dans le sillage de la stratégie populiste, Jean-Luc Mélenchon voit, notamment dans l’incapacité de François Hollande à se représenter et les défaites de Nicolas Sarkozy puis Manuel Valls aux primaires respectivement de la droite et de la gauche, l’avènement du « dégagisme. » Ce concept, emprunté à la révolution tunisienne de 2011, veut que, dans un moment populiste, le peuple – que l’on oppose aux élites – a soif de renouveau politique et va « dégager » la classe politique en place.

Ainsi, le candidat de la France Insoumise se fixe pour objectif de faire tomber ce mouvement du « bon » côté, c’est-à-dire du sien.

« La société civile » contre « l’Ancien monde »

Le Front national avait dénoncé, en son temps, « l’UMPS » et, finalement, les stratégies de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron procèdent, sur ce point, du même diagnostic : les élites politiques en place et le système bipartisan sont en train dégoûter les Français de la politique.

Gagner une élection présuppose donc d’offrir une alternative et Emmanuel Macron fait à cet égard, lui aussi, du renouvellement du personnel politique un axe très fort de sa campagne, dans une présidentielle centrée autour de ces enjeux proprement politiques. Évidemment, la comparaison s’arrête ici.

Tant sociologiquement que politiquement, le renouveau que propose le candidat Macron est bien différent. Celui-ci met en avant sa jeunesse et fait même de sa (relative) non-expérience un argument : il n’a jamais été élu, certes, mais il n’appartient donc pas à cette catégorie conspuée des professionnels de la politique. L’inspecteur des finances et banquier d’affaires opère alors sa mue en jeune « amateur » disruptif.

Aux vieux briscards des partis, Emmanuel Macron préfère en appeler aux « compétences » de la « société civile » et fustige « la professionnalisation » du personnel politique. Les affaires Fillon et Le Pen illustrent en creux les vicissitudes de « l’Ancien monde » que peint le candidat de La République en Marche, un mouvement et non un parti, et donnent une force certaine au « projet », et non au programme, de Macron.

Le « Nouveau monde » n’a rien de... nouveau

Si « l’Ancien monde » bipartisan a, en effet, explosé en 2017, d’abord avec l’élection présidentielle, puis les législatives et l’élection d’une Assemblée rajeunie, féminisée, et surtout composée à 72 % de nouveaux députés, les conséquences sur le fonctionnement concret du monde politique ne sont pas si claires.

Le sociologue Etienne Ollion a mené une étude sur ces « novices et professionnels en politique » de l’Assemblée nationale dans son livre Les Candidats (Ed. PUF, 2021). Il confirme un véritable renouvellement sociologique de l’Assemblée élue en 2017, mais relativise le renouvellement politique qui s’ensuit. Il rappelle que paradoxalement, la critique des professionnels de la politique est aussi vieille que le monde bipolarisé est « ancien ». Mais que l’argument de la société civile n’avait jamais pris une place aussi centrale dans une campagne.

Le clip diffusé par LREM en juin 2017 illustre bien cette promesse de « nouveaux visages » de la République et met davantage en avant le « profil » des candidats que leurs idées. Or, une fois arrivé au pouvoir, il faut bien mener une politique, et la désillusion des conditions matérielles du travail parlementaire ainsi que la réalité des arbitrages politiques ont pu être grandes, désenchantant les néodéputés au point de dire qu’il leur était « difficile de joindre les deux bouts. »

En tout état de cause, si la campagne de 2017 marque bien un éclatement durable du paysage politique français et un certain renouvellement des élites politiques, cinq ans après la victoire du « Nouveau monde », la réforme constitutionnelle promise a été enterrée.

Cette campagne de rupture laisse donc un goût d’inachevé et l’impression lancinante que, dans le monde politique, « tout change sans que rien ne change », pour reprendre les mots d’Etienne Ollion.

« Lire aussi. [Série] 1981, « la force tranquille » de Mitterrand : la campagne du futur de « l’homme du passé » (1/5)

« Lire aussi. [Série] 1995 : la « fracture sociale »… et des pommes (2/5)

« Lire aussi. [Série] 2007, « travailler plus pour gagner plus » : quand Sarko muscle son jeu (3/5)

« Lire aussi. [Série] 2012, la victoire à la Pyrrhus du président normal (4/5)

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