S’il y a bien une élection présidentielle récente où le second tour s’est dessiné assez tôt, c’est bien celle de 2007. Avant même l’été 2006, au crépuscule du deuxième mandat de Jacques Chirac, il ne semble faire guère de doutes que la présidentielle va se bipolariser entre le ministre de l’Intérieur, l’UMP Nicolas Sarkozy, et Ségolène Royal, la présidente socialiste de la région Poitou-Charentes. Voici le troisième épisode de notre série estivale sur les étés qui ont précédé les élections présidentielles.
A droite, la candidature de Nicolas Sarkozy est un secret de polichinelle. L’ancien maire de Neuilly-sur-Seine fait la course en tête dans son camp et se démarque depuis son entrée au gouvernement en 2002. « Ses ambitions présidentielles sont vite devenues transparentes », témoigne Jacques Chirac dans ses mémoires. Le chef de l’Etat n’a encore rien fait connaître de ses propres intentions, mais un troisième mandat semble très improbable, avec le fiasco du référendum sur le traité constitutionnel européen de mai 2005 et son accident vasculaire cérébral en septembre. Le Premier ministre Dominique de Villepin, l’homme du non à la guerre en Irak aux Nations Unies, n’est pas plus en mesure de servir d’héritier. Les cortèges massifs dans la rue contre le CPE, le contrat première embauche, et l’affaire Clearstream le mettent hors-jeu au printemps 2006. Nicolas Sarkozy, qui cumule depuis 2005 le ministère de l’Intérieur et la présidence de l’UMP, dispose d’un boulevard sans attendre son sacre de janvier, et voit son heure venue. Il peut commencer à mener campagne, sans être tenu par les règles comptables électorales.
« En août, tout le monde vous écoute »
Au fur et à mesure de l’été, les ralliements se multiplient. Plusieurs dizaines de parlementaires UMP et l’essentiel des ministres se rapprochent du futur candidat. Les chiraquiens n’entendent pas laisser la tâche facile à l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine. Comme le relate Libération au milieu de l’été, ils préparent des « peaux de banane ». On parle de mettre sur orbite Michèle Alliot-Marie, pour éviter la configuration d’un candidat unique. Laquelle fait planer le suspense et cultive sa différence. En visite dans les Antilles fin août 2006, MAM admet avoir des « divergences » avec le ministre de l’Intérieur. Les proches du chef de l’Etat n’entendent pas non plus accepter sans broncher toutes les propositions de Nicolas Sarkozy, surtout les plus baroques. « Je dirais tout ce que je pense », promet Dominique de Villepin. Dans son livre « Témoignage », sorti le 17 juillet, Nicolas Sarkozy ne fait pas mystère de ses ambitions, y expose une partie de son programme, pour « entamer le dialogue avec les Français ». Le combat politique prend rarement des vacances. « En août, il faut toujours rester. C’est vide. Tout le monde vous écoute », glisse un jour Nicolas Sarkozy. C’est ainsi que le 15 août, sur France 2, il appelle au « rassemblement » de sa famille politique et à tourner le dos aux divisions du passé.
En face, chez les socialistes, le match semble également déjà plié. Issue de la même génération que son futur adversaire UMP, Ségolène Royal tient la dragée haute à ses rivaux socialistes. Dans la primaire fermée, ouverte aux adhérents et sympathisants (une participation de 20 euros leur est demandée), les deux autres candidats en lice, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, apparaissent moins susceptibles d’incarner le renouveau. Le mois de juin est marqué par le retour de Lionel Jospin, le candidat malheureux de 2002 que l’on pensait « définitivement » retiré de la vie politique. Il n’exclut pas de présenter lui aussi sa candidature pour l’élection interne de novembre, s’il était « le mieux placé pour rassembler ». Portée par les sondages depuis six mois, la présidente de la région Poitou-Charentes répond avec l’assurance de celle qui est consciente du rapport de force. « Je ne vois pas pourquoi je me désisterais, si je suis plus haut que lui dans les sondages. »
Ségolène Royal en position d’emporter la primaire du PS dès le premier tour
Tenante d’une démocratie participative, sa plateforme « Désirs d’avenir » va la porter durant toute la campagne. Ses prises de position qui détonnent à gauche n’entament pas son capital dans l’opinion. Après avoir proposé un encadrement militaire pour les jeunes délinquants, elle exprime ses doutes sur certains effets des 35 heures, pointant une « dégradation de la situation des plus fragiles ». Résultat : « Ségolène Royal creuse l’écart dans les sondages », titre Libération, le 6 juin. 62 % des sympathisants de gauche la juge comme la mieux placée pour la présidentielle, comme la seule à pouvoir rivaliser avec Nicolas Sarkozy.
En déplacement le 9 juin à Brest, Laurent Fabius grince des dents lorsqu’un journaliste l’interroge sur le probable duel Sarkozy-Royal. « Est-ce que les militants doivent décider ou est-ce que c’est une sorte de pression médiatico-sondagière qui doit dicter leur choix ? Ils doivent le faire de manière objective », s’agace l’ancien Premier ministre, cité par Le Télégramme. Les éléphants du PS se méfient de cette candidate, très populaire auprès de la base socialiste. Au traditionnel rendez-vous de La Rochelle, les trois écuries ne tentent même pas d’afficher un quelconque semblant d’unité. C’est peu dire que l’université d’été est… crispée, dans un parti où les fractures ont été ravivées par le référendum de mai 2005. Les railleries, la misogynie et le machisme s’ajoutent au débat politique. « Elle aurait mieux fait de rester chez elle au lieu de lire ses fiches cuisine » : voici ce que lui aurait dit l’un de ses adversaires à la fin d’un débat, confessera plus tard Ségolène Royal. Une célèbre phrase est aussi attribuée à Laurent Fabius fin décembre 2005, lorsqu’il apprend la candidature de l’ancienne ministre de l’Environnement : « Mais qui va garder les enfants ? »
Le 6 juillet, un sondage Ifop pour Paris Match donne Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy au coude à coude. La présidente de Poitou-Charentes l’emporterait d’un fil, avec 51 % contre 49 %. A la rentrée, le résultat s’inverse : Nicolas Sarkozy l’emporterait avec 51 % (sondage Ipsos pour Le Point, publié le 24 août). Dans les deux cas, le faible écart les place dans la marge d’erreur. A neuf mois du scrutin, le jeu est ouvert pour les deux prétendants. Même si certaines enquêtes donnent un avantage à l’alternance : en juillet, 52 % des personnes interrogées souhaitent une victoire de la gauche, contre 42 % une victoire de la droite (6 % ne se prononcent pas), selon le tableau de bord politique Ifop.
Le coup de gueule de François Bayrou en direct sur TF1
Le scénario annoncé depuis de longs mois ne ravit pas François Bayrou, qui rêve de faire voler en éclat le bipartisme droite-gauche et de créer un grand parti central, détaché de la droite. Le député UDF accentue sa lutte contre le balancier droite-gauche, déjà amorcée en 2002. Il a également pris ses distances, en votant la censure du gouvernement Villepin au printemps 2006. En juillet, il reste loin de sa percée d’avril 2007 (aux portes de la barre des 20 %) : il est à 9 %. Régulièrement, le Béarnais va étriller les grands groupes médiatiques qui voudraient, selon lui, imposer aux Français un « vote préfabriqué ». Le 2 septembre, François Bayrou fait un coup d’éclat en duplex pour le 20 heures de TF1, depuis l’université d’été de l’UDF à La Grande-Motte. « Les grands médias ont orchestré pour les Français un choix dicté à l’avance. L’argent et la politique doivent être séparés notamment lorsque des puissances économiques détiennent de puissants médias », dénonce le centriste face à Claire Chazal. L’effet est immédiat. La vidéo caracole parmi les contenus les plus visionnés sur la toute jeune plateforme Dailymotion.
Jean-Marie Le Pen n’est pas encore candidat, mais on n’imagine mal comment il pourrait en être autrement. A 78 ans, ce sera sa sixième et dernière campagne présidentielle (en comptant celle de 1981, où il n’avait pas pu réunir les parrainages nécessaires). La figure de l’extrême droite est convaincue de réitérer la surprise de 2002. Au début de l’été, les estimations de vote sont relativement solides, elles oscillent entre 12 et 15 %, plus qu’en juin 2001. Pour rappel, il avait réuni 16,86 % des voix derrière son nom au premier tour. Ipsos constate même qu’il est à 26 % de jugements favorables, un niveau inédit dans l’histoire du baromètre. Les instituts de sondage assurent avoir gagné en fiabilité avec les régionales et les européennes de 2004 et estiment, à ce stade, qu’un 21 avril a peu de chances de se reproduire. Fin août, le leader du FN se dit prêt à accueillir les sécessionnistes de 1998 comme Bruno Mégret au sein de « l’Union patriotique ». C’est également au cours de l’été, qu’il est renvoyé devant la justice pour ses propos sur l’Occupation. Le président du Front national avait affirmé que l’occupation allemande en France n’avait pas été « particulièrement inhumaine ».
Le mauvais souvenir de l’élection présidentielle de 2002
Le spectre du 21 avril 2002 plane sur cet été 2006. Le nom de son candidat ou de sa candidate n’est même pas encore connu que le Parti socialiste prend déjà les devants. Le premier secrétaire demande aux élus de son parti, dès le mois d’août, de réserver leur parrainage à leur champion, et personne d’autre. C’est la « moindre des cohérences », estime François Hollande. Cette clause d’exclusivité tombe au moment où le PS négocie avec les autres partis de la gauche. Les partenaires potentiels prennent en tout cas mal la consigne venue de Solférino. Christiane Taubira, la candidate du Parti radical de gauche en 2002, qui sollicite à nouveau l’investiture, se demande s’il s’agit d’un « affolement » ou d’une « hostilité » envers les alliés du PS. Sergio Coronado, le porte-parole des Verts, crie au « verrouillage politique ».
Finalement, toutes les couleurs de la gauche (PCF, Verts, Ligue communiste révolutionnaire, Lutte ouvrière, gauche altermondialiste) seront, comme en 2002, de la partie, à l’exception du Parti radical de gauche. L’équilibre droite-gauche va se renverser au cours de l’hiver. Fin novembre, au moment de l’investiture de Ségolène Royal, François Hollande lance un lapsus annonciateur des difficultés à venir : « Nous allons battre la gauche ». Le 22 avril 2007, Nicolas Sarkozy finit largement en tête (31,2 %), devant Ségolène Royal (25,9 %). Suivent François Bayrou (18,6 %) et Jean-Marie Le Pen (10,4 %).