« Sérieuse », « rigide », « elle a devant elle un champ de mines » : les réactions après la nomination d’Elisabeth Borne à Matignon

« Sérieuse », « rigide », « elle a devant elle un champ de mines » : les réactions après la nomination d’Elisabeth Borne à Matignon

Suite à la nomination d’Elisabeth Borne à Matignon, les réactions des sénateurs oscillent. « Une femme respectée, capable de faire des réformes », salue le macroniste François Patriat. « On ne peut pas dire que la chaleur humaine soit sa première qualité », pointe Marc-Philippe Daubresse (LR). « Mon groupe combattra la politique de casse, si elle est confirmée, ce que je crains », réagit le socialiste Patrick Kanner.
François Vignal

Par François Vignal, avec Simon Barbarit

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Son nom était l’un des tout premiers qui avait circulé, avant même le premier tour. Ce qui n’est en général pas gage d’une nomination assurée. Elisabeth Borne est pourtant bien nommée à Matignon. La ministre du Travail succède ce lundi 16 mai à Jean Castex pour le second quinquennat d’Emmanuel Macron.

Quand on l’interrogeait avant le premier tour sur la rumeur, l’intéressée éludait le sujet. D’autant que des noms sont parfois lancés à la presse davantage dans le but de nuire. Mais Elisabeth Borne coche un certain nombre de cases : femme, issue de la gauche – elle a été aux cabinets de Lionel Jospin et de Ségolène Royal – un passage au ministère de l’Environnement. Sa nomination se veut aussi stratégique. « Un premier ministre avec une tonalité de gauche nous aidera au début », confiait un responsable de Renaissance (ex-LREM) la semaine dernière.

Son expérience à Matignon, comme membre du cabinet Jospin, lui a laissé un drôle de souvenir. « J’ai été assez marquée par ce qui est arrivé en 2002. J’étais au cabinet de Lionel Jospin. Sidération. C’est l’impossible qui arrive. Je n’ai pas envie de revivre ça », confiait à publicsenat.fr Elisabeth Borne, avant le premier tour, face au risque d’une victoire de Marine Le Pen.

« L’ère n’est pas à vendre du rêve, mais à l’efficacité. Et elle sait ce que c’est »

Ses détracteurs diront que ce choix, après trois semaines d’attente, pourrait paraître comme un choix par défaut pour Emmanuel Macron. Sur l’écologie, elle n’a pas laissé non plus une trace indélébile au ministère. Et son profil techno, plus que politique, ne donnera pas forcément un signal clair aux électeurs. Sans compte qu’avec son image, elle ne fera pas forcément rêver. « L’ère n’est pas à vendre du rêve, mais à l’efficacité. Et elle sait ce que c’est », rétorque un macroniste.

Pour François Patriat, à la tête des sénateurs marcheurs, « Elisabeth Borne, c’est du sérieux. Elle coche à la fois l’expérience ministérielle, la compétence territoriale, car elle a été préfète. Elle a déjà réalisé des grandes réformes, avec la SNCF. Elle est à la fois solide, structurée et, en même temps, représente une forme d’autorité », salue le sénateur Renaissance de la Côte-d’Or. « Elle est aussi humaine, proche des parlementaires. Elle a su faire preuve de fermeté, d’autorité et aussi de souplesse. Elle connaît les partenaires sociaux. C’est une femme respectée, capable de faire des réformes, de négocier avec les syndicats », continue François Patriat, qui ajoute :

Elle appartient à la deuxième gauche, la gauche réformiste, les rocardiens, les strauss-kahniens.

« Elle gérera la réforme des retraites comme l’assurance chômage : dans un sens extrêmement à droite », selon le socialiste Patrick Kanner

Pour l’opposition, notamment de gauche, sa nomination offre plusieurs angles d’attaques. Son passé dans les ministères socialistes risque d’être effacé par les réformes marquées à droite qu’elle a menées, celles de la SNCF et de l’assurance chômage.

« Je suis très content que ce soit une femme qui soit nommée, c’est la première fois depuis 30 ans et je lui adresse mes félicitations républicaines », réagit Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, avant d’ajouter : « Elle a travaillé pour les gouvernements de gauche. Comme quoi, elle a été capable de travailler pour un gouvernement de droite aussi. Il faudra attendre son discours de politique générale pour voir s’il y a des surprises positives, mais je ne le crois pas », lance le sénateur PS du Nord, qui « pense qu’elle gérera la réforme des retraites comme elle a géré l’assurance chômage, c’est-à-dire dans un sens extrêmement à droite ». Et de conclure : « Mon groupe combattra la politique de casse, si elle est confirmée, ce que je crains ».

« A la Transition écologique, la question du climat n’a pratiquement pas été abordée » dénonce l’écologiste Guillaume Gontard

« On peut dire que c’est la continuité », réagit de son côté Guillaume Gontard, président du groupe écologiste du Sénat, « c’est une bonne technicienne mais on l’a vu lors de son passage aux Transports et à la Transition écologique, la question du climat n’a pratiquement pas été abordée. Si Emmanuel Macron voulait donner des gages de changement, qu’il allait prendre en compte l’urgence sociale et climatique, on peut dire qu’avec Elisabeth Borne, c’est raté ». « Ses qualités dans le dialogue social ne se sont pas vues lors de la réforme sur l’assurance chômage où elle est passée en force », pointe encore l’écologiste. Pour le sénateur de l’Isère, « le choix d’Elisabeth Borne montre l’isolement d’Emmanuel Macron. Il a cherché en vain quelqu’un de plus à gauche et ne l’a pas trouvé. Mais de toute façon, Elisabeth Borne ne sera qu’une première ministre éphémère puisque nous aurons une nouvelle majorité aux prochaines législatives », veut croire Guillaume Gontard, en référence à l’objectif de Jean-Luc Mélenchon, qui espère une cohabitation après les législatives.

La présidente du groupe communiste du Sénat, Eliane Assassi, préfère encore en rire (jaune). « Elisabeth Borne une femme de gauche ! N’oublions pas ses « exploits » avec (entre autres) la reforme ferroviaire ! » lance sur Tweeter la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis.

« C’est une main de fer dans un gant de velours » selon le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse

A droite, le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse n’est « pas surpris qu’on revienne au nom de Borne, car (il) pense que c’était le choix du Président depuis le début. En fait, il a gagné du temps. Car Emmanuel Macron a intérêt à ce que les législatives soient les plus courtes possible. Alors il s’est amusé à lancer des noms en pâture ». « Après la présidentielle, il fallait qu’il nomme un premier ministre plutôt de centre gauche. Cela exclut tout ce qu’on a pu entendre sur Catherine Vautrin ou Valérie Létard », remarque par ailleurs l’ancien ministre et sénateur du Nord.

Lire aussi » Elisabeth Borne première ministre : « Du Castex bis. C’est banal », réagit Aurélien Pradié

Marc-Philippe Daubresse rappelle son « passé ministériel et à la tête de la RATP. C’est une femme à poigne. C’est une main de fer dans un gant de velours. Une femme assez rigide quand même. A Matignon, il faut un profil organisateur. Mais elle est trop rigide. On ne peut pas dire que la chaleur humaine soit sa première qualité ». Au Sénat, le groupe LR saura avoir « une position indépendante et constructive. On vote les textes dans l’intérêt du pays mais on restera un contre-pouvoir », prévient Marc-Philippe Daubresse.

Le centriste Hervé Marseille espère « une relation plus apaisée » avec le Sénat

Chez les centristes, l’autre composante de la majorité sénatoriale, on se montre pour l’heure plutôt bienveillant. « Je remercie Jean Castex déjà, pour son engagement, son écoute, à l’égard de mon groupe. Puis félicitations bien sûr à Madame Borne. La France attend des réformes. Notre groupe saura les accompagner, dans l’intérêt du pays », assure Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, où une bonne partie des sénateurs a soutenu Emmanuel Macron, dès le premier tour pour certains.

Le sénateur UDI « souhaite qu’elle travaille avec le Sénat et qu’il y ait davantage de compréhension mutuelle, de collaboration, de dialogue fructueux, car c’est l’intérêt du pays de travailler avec le Parlement et le Sénat en particulier, qui n’a pas toujours été considéré dans le mandat précédent ». À l’opposé des tensions de l’affaire Benalla ou de la première réforme constitutionnelle, Hervé Marseille souhaite « une relation plus apaisée ».

« Je prends le pari que dans quelques mois, elle sera la première ministre la plus impopulaire de toute la Ve République »

Cette nomination va aussi ouvrir un nouveau chapitre. Celui qui mène aux législatives de juin prochain. « Tout le monde a retenu son souffle. Mais aujourd’hui, cette campagne peut vraiment partir. Elle sera en première ligne », souligne Patrick Kanner. « On était dans la répartition de postes et les jeux d’appareil, maintenant, on sera dans le dur. Ce sera projet contre projet », ajoute le socialiste. A peine nommée, Marc-Philippe Daubresse lui prédit déjà les plus grandes complications pour la suite. « Je pense qu’elle aura de gros soucis à gérer car toutes les grenades sont dégoupillées », met en garde le sénateur LR, qui pense qu’« il y aura une jonction entre le mouvement des gilets jaunes et le mouvement syndical sur les retraites. Elisabeth Borne a devant elle un champ de mines. Je prends le pari que dans quelques mois, elle sera la première ministre la plus impopulaire de toute la Ve République ». 

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