Le combat contre la fast-fashion a-t-il ses chances ? Mercredi 10 décembre, la Chambre haute a accueilli les représentants de l’industrie textile tricolore au sein de la commission des affaires économiques. Olivier Ducatillion, président de l’Union des industries textiles, Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce et spécialisé mode, ainsi que Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin. Tous partagent le même constat : le savoir-faire français est cruellement en danger.
Ce danger, c’est l’ultra-fashion incarnée par des plateformes en ligne comme Shein. Elles vendent à profusion des articles à bas coût et avec une qualité moindre tout autour du globe. Le géant asiatique Shein possède un chiffre d’affaires estimé à 34 milliards d’euros. Mais ce phénomène cache une part sombre remplie de dérives : faux rabais, fausses informations, marketing agressif, produits dangereux… « On vend de la merde à 27 millions de Français, car ils achètent sur Shein, s’emballe Yann Rivoallan. Une marque française fournit près de 10 000 produits sur son existence, Shein en produit 10 000 par jour ! »
Shein habitué des controverses
Fondé en 2012, Shein a fait l’objet de nombreuses sanctions en Europe pour concurrence déloyale et non-respect des normes européennes. La France a notamment sanctionné la plateforme en juillet dernier d’une amende record de 40 millions d’euros pour publicité commerciale trompeuse.
Le géant est également en pleine polémique après l’ouverture de sa première boutique physique pérenne au sein du magasin parisien du BHV le 5 novembre. Une annonce provoquant le départ de plusieurs marques de l’enseigne parisienne telles que Dior, Guerlain et Sandro. Disneyland Paris y a même annulé un événement prévu pour les fêtes. « J’ai sous-estimé toute l’exposition politico-médiatique qu’il y avait à s’attaquer à ce monument de Paris », a reconnu Frédéric Merlin, propriétaire du BHV, à la suite d’une manifestation devant l’enseigne, d’une pétition de plus de 100 000 signataires et d’une Anne Hidalgo « profondément inquiète ».
Agir sur les taxes douanières
Les trois représentants constatent un « effondrement complet » de l’industrie du textile, qui peut se refléter par la fermeture de boutiques physiques en France. « Il faut créer de la richesse sur le territoire et produire en France pour contribuer au financement de notre modèle social », conseille Olivier Ducatillion. Pour ce faire, ils suggèrent d’augmenter « massivement » les taxes douanières européennes pour endiguer les mauvais comportements des plateformes. « Elles ont basé leur croissance ces dernières années en profitant de nos réglementations et de nos contrôles », déplore Yohann Petiot.
Pour redorer le fleuron français, Olivier Ducatillon croit en la méthode pédagogique auprès des consommateurs. Durant l’audition, la sénatrice Anne-Catherine Loisier (Union centriste) lui demande comment convaincre la jeune clientèle du choix de la tradition française et du matériau noble. « Le textile n’est pas une nostalgie, c’est une solution. Les Français doivent comprendre que quand on achète un t-shirt à deux euros, il y a un problème », lui répond-il. Selon Olivier Ducatillon, il existe toujours « un savoir-faire, mais il faut agir vite sinon il va disparaître ».
BHV et Shein auditionnés au Sénat
Les sénateurs se sont penchés sur la perte d’attractivité des centres-villes. « On y constate une fermeture massive des commerces au profit de l’ultra-fashion », déplore la sénatrice Amel Gacquerre (Union centriste). Pour Yohann Petiot, il faut repenser les centres-villes de manière « complémentaire » pour s’adresser « à toutes les générations ». Il recommande à la fois de nouveaux moyens de mobilité et une meilleure considération des clients automobilistes. Il rappelle que « 8 Français sur 10 ne vivent pas dans les centres-villes ».
Dans ce contexte, la commission des affaires économiques du Sénat a convié Frédéric Merlin et Quentin Ruffat, directeur des relations extérieures de Shein, à répondre aux questions des sénateurs le 10 décembre prochain. Il y a un mois, le groupe a de nouveau créé la polémique après avoir été signalé à la justice française pour commercialisation de poupées sexuelles à caractère pornographique et d’armes de catégorie A. La décision de justice doit être rendue le 19 décembre sur la demande du gouvernement de suspendre pendant trois mois la plateforme.