« Si l’IVG est noyée dans une révision constitutionnelle, son inscription dans la Constitution s’éloigne », constate Philippe Bas

« Si l’IVG est noyée dans une révision constitutionnelle, son inscription dans la Constitution s’éloigne », constate Philippe Bas

Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi visant à inscrire « la liberté » de mettre fin à sa grossesse dans la Constitution. Toutefois, la constitutionnalisation de l’IVG devrait faire partie d’une révision constitutionnelle globale ce qui hypothèque grandement ses chances d’adoption.
Simon Barbarit

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C’est un sentiment ambivalent qui émerge du côté de la gauche du Sénat au lendemain de l’annonce d’Emmanuel Macron. Mercredi, lors d’un hommage à Gisèle Halimi pour la journée internationale du droit des femmes, le chef de l’Etat a ouvert la porte à la constitutionnalisation de l’IVG. « Les avancées issues des débats parlementaires, à l’initiative de l’Assemblée nationale puis éclairées par le Sénat, permettront je le souhaite, d’inscrire dans notre texte fondamental cette liberté dans le cadre du projet de loi portant révision de notre Constitution qui sera préparé dans les prochains mois », a-t-il annoncé.

« Le Sénat a montré qu’il était prêt à faire entrer l’IVG dans la Constitution »

« Avant de parler d’ambivalence, il y a une grande satisfaction de voir que les militantes féministes, les parlementaires de gauche et Renaissance ont été entendus. Le Sénat y a contribué. En votant la proposition de loi, certes amendée, le Sénat a montré qu’il était prêt à faire entrer l’IVG dans la Constitution », salue la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol, ancienne ministre des droits des femmes.

En effet, le 1er février dernier, le Sénat a amendé un texte voté à l’Assemblée qui proposait d’inscrire un nouvel article 66-2 dans la Constitution, selon lequel « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». L’amendement porté par le sénateur LR, Philippe Bas, et voté grâce aux voix de la gauche, inscrit à l’article 34 de la Constitution, la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. ».

En choisissant le mot « liberté », Emmanuel Macron semble privilégier une rédaction telle qu’elle a été adoptée au Sénat. « Il y a une différence juridique. Un droit, ça nécessite que la puissance publique le garantisse. Un droit est opposé au reste de la société. La liberté, ça concerne chaque individu », estime la sénatrice écologiste Mélanie Vogel qui avait déposé une proposition de loi cet automne visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. L’élue écologiste regrette le manque d’ambition de la formulation privilégiée mais philosophe. « Il vaut mieux arracher une victoire qui n’est pas parfaite que s’enferrer dans une défaite ».

« Les mots, liberté ou droit, ont la même efficacité juridique. Par contre, on aimerait que la formulation : « la loi garantit », soit inscrite », considère pour sa part, Laurence Rossignol.

Pour Philippe Bas, le texte issu de l’Assemblée nationale entraînerait au contraire « un saut dans l’inconnu ». Interrogé par Public Sénat, le 2 février dernier au lendemain du vote du Sénat, l’élu de la Manche avait expliqué ne pas vouloir accepter « une sorte de droit absolu, indéfini, indéterminé qui ne postulerait pas l’existence de conditions et de limites ». « Toute liberté a ses conditions et ses limites, l’interruption volontaire de grossesse aussi, c’est ce qu’a voulu la loi Veil », rappelait-il.

« La rédaction que j’ai proposée garantit l’équilibre de la loi Veil entre la liberté de mettre fin à sa grossesse et la primauté de l’enfant à naître. La majorité sénatoriale à laquelle j’appartiens n’était pas demandeuse de l’intégration de l’IVG dans la Constitution. J’ai essayé de trouver une position constructive », rappelle-t-il ce jeudi. Mais le questeur du Sénat note surtout que l’annonce présidentielle a pour effet « d’interrompre un processus en cours ». « Par son annonce, le président de la République empêche le référendum. En tant que gaulliste, j’y étais prêt », assure-t-il.

Il est vrai qu’une révision constitutionnelle initiée par une proposition de loi (le Parlement) ne peut être approuvée que par un référendum. Depuis des mois, les parlementaires de gauche appelaient donc le gouvernement à reprendre la main en déposant un projet de loi, permettant ainsi de réviser la Constitution par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès, une fois le vote du texte par les deux chambres en termes identiques.

« On ne peut pas mélanger l’IVG avec des mesures d’organisation de nos institutions »

Mais avant de trancher ces débats juridiques et sémantiques au Parlement, encore faut-il qu’un nouveau texte soit présenté au Parlement. Certes, Emmanuel Macron a évoqué la rédaction d’un projet de loi de révision constitutionnelle « dans les prochains mois » mais l’Elysée a aussi confirmé que la constitutionnalisation de l’IVG « fera partie d’une révision constitutionnelle d’ensemble ».

« Ce n’est pas possible et ce n’est pas souhaitable. On ne peut pas mélanger l’IVG avec des mesures d’organisation de nos institutions. D’une part, la majorité trouvée sur l’IVG dans la Constitution serait fragilisée. Et on ne peut pas, non plus, instrumentaliser l’IVG pour faire passer d’autres réformes constitutionnelles », prévient Laurence Rossignol qui demande un texte unique.

C’est la raison pour laquelle, Mélanie Vogel indique à Public Sénat avoir envoyé un courrier au président de la République lui demandant « un projet de loi spécifique pour ne pas que le droit à l’IVG soit pris en otage ».

L’intégration de l’IVG dans une révision constitutionnelle globale pourrait effectivement se transformer en un enterrement de première classe. « C’est un attrape-nigaud. Il aurait suffi d’un vote de l’Assemblée nationale pour qu’un référendum soit rendu juridiquement obligatoire. Certes, aucun délai ne se serait imposé au chef de l’Etat mais il aurait été sur la défensive. Le vote du Sénat a bouleversé les calculs du Président de la République qui comptait sur nous pour prendre le mauvais rôle », observe un cadre de la majorité LR.

« Pourquoi réviser la constitution pour l’IVG et pas pour le reste ? »

D’autant que la droite du Sénat n’a pas été avare ces dernières années en propositions de loi constitutionnelle. Des propositions qu’elle pourrait vouloir intégrer dans un projet de révision globale comme l’a laissé entendre la sénatrice LR, Valérie Boyer dans la matinale de Public Sénat. « Pourquoi réviser la constitution pour l’IVG et pas pour le reste ? Les Républicains ont demandé une révision de la Constitution pour renforcer la laïcité. Pourquoi ne pas mettre ça aussi ? Ça va rouvrir un débat et ça peut fragiliser le vote ».

« Si l’IVG est noyée dans une révision constitutionnelle, son inscription dans la Constitution s’éloigne », constate Philippe Bas.

Car comme le rappelle le constitutionnaliste, Benjamin Morel, en 2008, alors que la droite contrôlait Sénat et Assemblée nationale, la révision large de la Constitution n’était passée « qu’à une voix près ». Lors du précédent quinquennat, Emmanuel Macron avait quant à lui échoué à mettre en œuvre la grande réforme des institutions pourtant prévue dans son programme.

 

 

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