Alors que les cheminots poursuivent un vaste mouvement de grèves pour protester contre la réforme de la SNCF voulue par le président Emmanuel Macron, les évènements de novembre 1995 sont dans toutes les mémoires. Ce grand mouvement de contestation nationale des cheminots envers le plan du gouvernement Juppé sur la réforme des retraites et de la sécurité sociale, est-il comparable à la lutte que mènent les cheminots à l’heure actuelle ? Lorsque le président Emmanuel Macron dit qu’il ira jusqu’au bout de sa réforme, faut-il y voir une similitude avec les propos tenus par le premier ministre Alain Juppé. Pour Bernard Thibault, syndicaliste et ancien secrétaire général à la CGT de 1999 à 2013 et qui a participé aux négociations en 1995 avec gouvernement Juppé, il y a en effet des similitudes à relever sur les réactions du pouvoir, « Est-ce parce que le premier ministre a été élevé au "lait paternel" de Mr Juppé ? Mais on retrouve des similitudes dans la posture - NDDL : Entre Edouard Philippe, et Alain Juppé- : nous avons décidé, je suis droit dans mes bottes et nous irons jusqu'au bout (...) ». En revanche dans sa forme la grève perlée de 2018 est une forme nouvelle de mobilisation pour Danielle Tartakowsky, professeure d’histoire contemporaine à Paris 8, « on parle à tort de grèves perlées car cela renvoie à quelque chose de totalement différents (…) on est dans des préavis de grève sur une durée limitée, sous cette forme c’est une première ».
Ne pas chercher à reproduire, ni décembre 1995, ni Mai 1968
Dès mai 1968 la grève générale touche tous les secteurs de la société française avec 7 millions de grévistes. Le mouvement ouvrier entré tard dans le mouvement a pris le pas sur la révolte étudiante et la France est vite paralysée. Alors peut-on parler de continuité entre les évènements actuels et l’héritage porté par les luttes de mai 68 ? Pour Bernard Thibault, « il faut se garder de chercher à reproduire quelques évènements que ce soit (...) mais plutôt savoir tirer les enseignements des luttes syndicales sur la manière de conduire et gérer les luttes, sur ce qui a marché ou pas (…) chaque situation sociale et politique s’examine dans son contexte donné ». Pour autant ces luttes sociales n’arrivent pas ex nihilo et la convergence des luttes se réalise dans ce contexte, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui. Toujours selon Bernard Thibault « mai 68 n’est pas un horizon pour les syndicats, il faut avoir conscience que mai 68 ne déboule pas dans un ciel serein car la dizaine de millions de grévistes vient d’un long processus et de nombreuses luttes d’entreprises sur le pouvoir d’achat et les conditions de travail ou comment le pouvoir maîtrise les médias (…) cela donne lieu à un cocktail détonnant qu’on appelle mai 68 ».
1995, le gouvernement droit dans ses bottes
De 1995 Bernard Thibault se souvient de l’attitude distante du pouvoir: « La première semaine, le gouvernement martelait sa réforme et avait complètement minoré toutes les initiatives syndicales du mois précédent (…) il n’y a eu aucun contact pendant 9 jours et le premier contact a été établi à partir du premier sondage d’opinion où 60% des Français étaient favorables à la grève (…) c’est la deuxième semaine de grève où l’on a rencontré les conseillers et non les responsables politiques ». Une erreur qu’Emmanuel Macron semble ne pas vouloir réitérer, en appelant au dialogue constant avec les syndicats, même au plus fort de la mobilisation. En 1995 le gouvernement d'Alain Juppé, mène plusieurs réformes en même temps : les retraites, et le financement de la sécurité sociale. Deux réformes qui vont additionner les mécontents d'autant comme le précise Bernard Thibault « Jacques Chirac élu sur le thème de la fracture sociale met sur la table un projet qui s’attaque à la sécurité sociale, un des outils pour mettre fin à cette fracture ».
"Moi je vais vous dire que la grève est malade du trop peu de grèves"
Le droit de grève dans le monde
Un combat qui n'est pas mené est déjà perdu
Mais la grève est-elle encore le bon moyen de faire plier le pouvoir ? Pour Bernard Thibault, « Il n'y a que 90 pays dans le monde qui reconnaissent le droit de grève dans leur loi (...) on fait partie d'une exception. Moi je vais vous dire que la grève est malade du trop peu de grèves. On a 40 millions de personnes victimes d'esclavage, dans les processus de production internationaux, ce sont des gens privés de la moindre liberté d'expression et a fortiori de grève évidemment ». Pour l'ancien secrétaire général de la CGT, aujourd'hui la grève est devenue un moyen de défense plus que de conquêtes, mais reste au fondement de plus grandes lois sociales de notre République.