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SNCF, Groupe ADP, La Poste : pourquoi Emmanuel Macron « va avoir les mains beaucoup moins libres » sur les nominations aux postes clefs

C’est l’autre effet de la présence de Michel Barnier à Matignon. Le pouvoir de nomination du chef de l’Etat sur les PDG des grandes entreprises publiques se trouve impacté. Difficile de tout décider seul, sans consulter son premier ministre LR. Et sur ces postes stratégiques, le Parlement dispose d’un pouvoir de blocage. Il compte aussi se faire entendre, à commencer par le Sénat…
François Vignal

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Depuis sa dissolution ratée, la perte de pouvoir d’Emmanuel Macron ne se limite pas à la politique menée, définie en grande partie par son premier ministre Michel Barnier. Son pouvoir de nomination s’en trouve aussi affaibli. Selon l’article 13 de la Constitution, le chef de l’Etat procède aux nominations aux « emplois civils et militaires de l’Etat ». Parmi ces postes, on trouve notamment les PDG des grandes entreprises publiques, ou encore les ambassadeurs.

Mais les supers pouvoirs du Président sont quelque peu mis à mal par la situation politique. S’il décidait seul, ou presque, il doit maintenant faire avec son premier ministre. Difficile de faire sans. D’autant que ces nominations élyséennes nécessitent une double signature, avec le contreseing du locataire de Matignon. Comme l’écrivait le Canard Enchaîné dans son édition du 9 octobre dernier, « le 30 septembre, lors d’un tête-à-tête, le premier ministre a prévenu le chef de l’Etat : « Un ministre doit pouvoir choisir ses directeurs d’administration. Sur certains autres postes, notamment les entreprises publiques, il faudra de la concertation » ». Un message on ne peut plus clair.

« C’est un jeu à trois : Président, premier ministre et Parlement »

« Il va avoir les mains beaucoup moins libres, par définition », confirme le constitutionnaliste Benjamin Morel. Le maître de conférences en droit public de l’université Paris Panthéon-Assas rappelle que « si lors des cohabitations, on a pu avoir des points de blocage sur certaines nominations. Certaines ne se sont pas faites car on avait des noms qui ne convenaient pas à l’un ou l’autre ». Si nous ne sommes pas en cohabitation, la « coexistence exigeante » entre les deux têtes de l’exécutif ne va pas forcément de soi.

D’autant que pour ne rien faciliter, Emmanuel Macron va devoir faire avec le Parlement également. « Il y a quand même une complication supplémentaire. Sur ces nominations article 13, on a le passage de la réforme constitutionnelle de 2008. Donc c’est un jeu à trois : Président, premier ministre et Parlement. Cela doit passer sous les fourches caudines des commissions parlementaires », rappelle Benjamin Morel. En effet, pour être validées, ces nominations ne doivent pas être rejetées par les 3/5 des votes contre cumulés des deux commissions permanentes concernées de l’Assemblée et du Sénat. Un seuil difficile à atteindre. Mais il l’a été, pour la première fois, en avril dernier. La nomination du maire LR de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, à la tête de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), voulue par Emmanuel Macron, a été rejetée par les députés et les sénateurs.

Série de nominations à venir

La dernière nomination, celle qui a permis la reconduction de Jean Castex à la tête de la RATP, n’a pas posé de problème. L’ancien premier ministre faisait l’unanimité. Mais une série de nominations est à venir : à la tête de la SNCF, où Jean-Pierre Farandou pourrait vouloir rempiler. Alors que l’exécutif lui avait dans un premier temps signifié l’arrêt de ses fonctions, après les JO, il resterait à la tête de la SNCF au moins jusqu’en mai, selon Le Figaro. Reste à voir maintenant s’il pourrait être prolongé à la tête du groupe.

La succession du Patron de Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), Augustin de Romanet, sera aussi au programme, tout comme celle de Philippe Wahl, qui dirigera jusqu’en juin 2025 le groupe La Poste, qui mêle l’activité classique de courrier mais aussi La Banque Postale, ou celle d’Eric Lombard, qui dirige la Caisse des dépôts et consignations. Sans oublier la présidence de l’Arcom, l’autorité régulatrice des médias, alors que les fonctions de son président, Roch-Olivier Maistre, prennent fin en janvier 2025. Ou encore la nomination de Pierre-Marie Abadie à la présidence de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), sur laquelle les sénateurs se prononcent ce mercredi. Autant de postes importants qui ne seront pas toujours des formalités.

« Le gouvernement doit pouvoir être associé, a minima, aux discussions sur ce type de poste »

Emmanuel Macron va donc devoir partager. C’est quoi déjà le numéro de Matignon ? « Ça semble évident qu’aujourd’hui, le gouvernement doit pouvoir être associé, a minima, aux discussions sur ce type de poste. Et au sein du Parlement, je crois qu’on y sera attentifs aussi, quand il s’agira de devoir ratifier des noms », prévient le sénateur LR Cédric Vial, un proche de Michel Barnier. « Aujourd’hui, le gouvernement gouverne, alors qu’avant, le président de la République avait peut-être tendance à penser que c’est lui qui gouvernait », ajoute le sénateur de la Savoie, terre d’élection de Michel Barnier. Il « trouve tout à fait normal, à titre personnel, que le gouvernement ait son mot dire pour la nomination de ces postes ».

Le Parlement va « se déterminer en fonction de la question qui est posée, pas de celui qui la pose », ajoute encore Cédric Vial, à savoir « est-ce que les personnalités qui sont désignées ont toute la compétence, la légitimité ». Mais s’ajoute « la manière dont la personnalité est choisie, en lien avec le gouvernement. Ça semble être un des critères », estime le sénateur LR.

« Avec l’archipélisation très forte de l’Assemblée, c’est le Sénat qui fait la différence », prévient Hervé Marseille

Dans ce jeu de billard à plusieurs bandes, le Parlement aura plus que jamais son mot à dire, et notamment la Haute assemblée, qui là encore, voit son poids renforcé en raison de la situation politique. « Jusqu’ici, ça posait moins de difficultés dans la mesure où il y avait une majorité à l’Assemblée. Mais comme il ne faut pas de rejet des 3/5 au global, et qu’il y a aujourd’hui une archipélisation très forte de l’Assemblée, c’est le Sénat qui fait la différence. Donc ça suppose qu’il y ait des discussions. Faudra quand même tenir compte de qui vote. Ce qui aurait dû être le cas depuis le début », avance Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat, qui ajoute :

 La moindre des choses, c’est de considérer le président du Sénat, les présidents de commissions concernés, pour vérifier si ça ne pose pas de difficulté. 

Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat.

Les présidents de commission comme Jean-François Longeot, à la tête de celle de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat. Elle sera amenée à voter sur le futur PDG de la SNCF. « Il faut que le Président propose et que le premier ministre donne son accord, ça c’est certain », commence le sénateur centriste du Doubs. Celui qui a rejoint le parti d’Edouard Philippe, Horizons, ajoute qu’« à partir du moment où vous n’avez pas la majorité, il faut bien écouter le chef du gouvernement, soit le Parlement. C’est sûr que vous ne décidez pas tout seul. C’est une évidence. Donc s’ils ne pensent pas pareil, il faut se mettre autour de la table. Ils y ont intérêt ».

Reste l’option du bras de fer ou de chifoumi, en dernier recours. Mais si les choses frottent quelque peu, « c’est normal, le calage est permanent. Dans n’importe quel organe, institution, chacun joue son rôle, chacun est à sa place et il y a forcément des sujets où c’est un peu plus complexe à organiser », minimise Cédric Vial.

« Renvois d’ascenseur »

Dans les faits, s’il devrait y avoir des cas où Emmanuel Macron et Michel Barnier arriveront sans mal « à se mettre d’accord, il y aura aussi des difficultés, des tensions », pense Benjamin Morel. D’autant que ces nominations à des postes clefs ne sont pas seulement guidées par la qualité du CV. C’est aussi un moyen de nommer des fidèles, de les remercier et de garder un pouvoir d’influence. « Ça peut être tout à fait le cas », confirme le professeur de droit, « par définition, vous avez des nominations qui soit portent sur la proximité idéologique – cela peut constituer des renvois d’ascenseur – soit sont juste liées à une forme de reconnaissance de compétence. Mais les plus importantes n’échappent pas à une forme d’intérêt politique », estime Benjamin Morel, qui relève aussi « les enjeux de stratégie économique » dans ces nominations, avec un effet sur le pilotage des entreprises.

Mais le professeur de droit note « un problème de ressource humaine. Car naguère, vous aviez un pool de hauts fonctionnaires de droite et un pool de hauts fonctionnaires de gauche. Et ça servait à peupler les cabinets et ces postes. Ils piochaient dedans. Maintenant, ce n’est plus vraiment le cas, il n’y a jamais eu de pool de hauts fonctionnaires macronistes, c’est l’un de leur problème ». Michel Barnier pourra toujours souffler quelques noms si l’Elysée est à court d’idée. Bon courage quand même pour trouver les moutons à cinq pattes.

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