De mémoire de fonctionnaires, on n’avait pas vu tel afflux depuis 20 ans pour un sommet européen. Des centaines de journalistes sont venus assister et couvrir à ce qui pourrait être un moment de bascule historique dans l’histoire européenne.
Jusqu’ici, les crises traversées par l’Union ont toujours conduit à plus d’intégration. Il n’est plus question de crise des réfugiés, mais bien d’une crise majeure qui illustre une fracture politique, fondée sur les valeurs historiques de l’Europe de solidarité, d’ouverture, de démocratie et de droits fondamentaux.
Les flux migratoires ont baissé de près de 80% par rapport à l’année dernière à la même époque. Pourtant, la ligne qui semble prévaloir aujourd’hui est bien celle de Viktor Orban, Premier Ministre nationaliste hongrois, connu pour avoir érigé des murs et barrières à sa frontière et largement réélu il y a quelques mois. Dès son arrivée au sommet européen, il a persisté, en anglais, avec un air martial : « Il faut restaurer la démocratie européenne. Nous allons faire ce que les gens veulent. Stop à l’invasion de migrants.»
Cette position gagne ostensiblement du terrain au sein des 28 : La Ligue d’extrême droite et son leader Matteo Salvini, désormais ministre de l’intérieur italien, ont fermé les ports aux bateaux des ONG qui viennent en aide aux migrants en Mer Méditerranée, laissant l’Union se déchirer pour ne pas accueillir ces quelques centaines d’exilés ; l’Autriche de Sébastian Kurz, dont la coalition comprend également des ministre d’extrême droite et qui prendra la présidence tournante de l’Union européenne le 1er juillet prochain, ou enfin, la CSU, alliée bavaroise historique de la CDU d’Angela Merkel, qui doit faire face a des élections à haut risque à l’automne et qui est talonnée par l’extrême droite d’Alternative Für Deutschland, sont bien déterminés à fixer une ligne dure sur ces questions d’accueil de migrants. Horst Seehofer, le ministre CSU allemand de l’intérieur a même fixé un ultimatum à la chancelière sur le règlement européen de cette question migratoire, à défaut, il fermera les frontières du pays, et emportera la fragile coalition au pouvoir à Berlin depuis quelques semaines à peine.
Des solutions dans l'impasse
Face à ces risques de fractures, Berlin, Paris, et Madrid proposent de disposer des « hotspots » aux frontières extérieures de l’Union, en Espagne, en Grèce, ou en Italie, ce que Rome refuse. Ces centres fermés prendraient en charge les migrants dans l’attente de la décision d’asile, avant une éventuelle expulsion qui pourraient être opérée par l’agence Frontex, dont les missions et les effectifs seraient élargis. L’objectif serait à terme d’installer ces centres également à l’étranger, en Tunisie, en Libye, ou en Afrique subsaharienne, afin d’éviter les départs, instruire les demandes d’asiles depuis l’étranger et assécher les filières de passeurs. La Tunisie a d’ores et déjà refusé ce dispositif, arguant d’une question légitime de souveraineté territoriale.
La réforme du règlement de Dublin, qui prévoit la responsabilité du premier pays d’arrivée de prendre en charge les demandes d’asiles, est aussi à l’ordre du jour et France et Italie ne désespèrent pas de réussir à engager une refonte avant la fin de l’année 2018. Un calendrier qui apparait peu vraisemblable eu égard au blocage complet des négociations sur ce règlement, et sur le principe de solidarité qui l’accompagne, refusé vigoureusement par les pays du groupe de Visegrad (République tchèque, Hongrie, Pologne, Slovaquie). Chaque pays menace de mettre en œuvre des solutions nationales… Quitte à fermer les frontières, à faire exploser Schengen, à fermer les ports durablement.
Faute d’une solution européenne concertée à l’issue de ce sommet à haut risque, cette crise politique risque bien d’aboutir à une dissolution, dès la semaine prochaine, de la coalition allemande, et à terme, à une lente désintégration de l’espace Schengen, symbole de l'union européenne, rongé par les nationalismes.