Marine Le Pen a fait de l’abandon de l’euro comme monnaie unique l’un des piliers de son programme depuis plusieurs années. Mais ce choix économique qui divise les Français, comme le montrent plusieurs enquêtes d’opinion, pourrait donc s’avérer risqué électoralement. En 2012, deux mois avant le premier tour, elle avait souhaité rassurer en conditionnant la sortie de l’euro à une validation par référendum .
Cinq plus tard, le projet d’un retour au franc, parallèle à une transformation de l’euro en monnaie commune de type ECU, reste toujours aussi sensible. Les multiples variations sur le calendrier ces derniers jours en attestent. Le programme, qui a rétrogradé l’importance réservée à ce point, est également révélateur.
Marine Le Pen veut attendre les Allemands et les Italiens
La promesse de la tenue d’un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne « dans les six mois » suivant l’élection de Marine Le Pen a été maintes fois répétée dans la campagne du premier tour. Lors de son grand meeting à Lyon, le 5 février dernier, la candidate du Front national avait déclaré qu’elle « s’engagerait immédiatement » avec les partenaires européens dans une « renégociation » des traités afin d’aboutir, en six mois, à un « compromis » et au retour de « quatre souverainetés » : monétaire, économique, législative et territoriale.
Le 26 mars, la négociation sur l’euro est d’abord repoussée de quatre mois. Dans un entretien au Parisien, Marine Le Pen relègue la monnaie unique à « l’ultime étape » du calendrier des négociations. « Je veux attendre le résultat des élections en Allemagne [le 24 septembre 2017, NDLR] avant de renégocier », affirme-t-elle.
Nouvel ajustement d’agenda le 4 avril sur notre antenne. « Il est évident que pour pouvoir négocier sur le retour à une monnaie nationale, il faut attendre les échéances allemande et italienne pour savoir avec quelle majorité on va négocier ». Le verdict des urnes italiennes repousse l’échéance à février 2018, au plus tôt.
« Il apparaît prudent d’engager ces négociations à partir de janvier 2018 »
Nicolas Bay, secrétaire général du Front national
Bay : « Il apparaît prudent d’engager ces négociations à partir de janvier 2018 »
Le FN refuse toute sortie brutale de l’euro
Samedi, sa nièce Marion Maréchal Le Pen a certes confirmé l’horizon 2018 comme le début des négociations. Elle l’a en revanche désavouée sur le délai de six mois. « Je pense que cette position, même sur le plan des traités stricto sensu et du droit, n’apparaissait pas tout à fait réalisable […] Ce sera un long processus, un processus mûri », a-t-elle indiqué, évoquant un débat de « plusieurs mois ou peut-être plusieurs années ».
Réfutant tout « désaccord » dans son équipe, Marine Le Pen a reconnu lundi 1er mai sur France 2 que la négociation prendrait « peut-être huit mois, ou dix mois ». « Marion fait référence à la négociation si jamais les Français décident de sortir de l’Union européenne. Il y a deux ans : c’est la situation dans laquelle se retrouvent les Britanniques », précise Marine Le Pen.
« Il n’y a pas d’urgence à sortir de l’euro comme monnaie unique »
En réalité, le Front national cherche à insister dans sa campagne sur le scénario d’une sortie ordonnée et concertée de la monnaie unique. Interrogé par Public Sénat, Bernard Monot, qui pilote le programme économique de Marine Le Pen, avance l’idée d’une négociation de six mois, « à quelques mois près », en indiquant que « tout se fera dans le consensus et la tranquillité ». « Il n’y a pas d’urgence à sortir de l’euro monnaie unique de manière brutale », résume-t-il.
Sortie de l'euro : "L'idée générale, c'est de négocier en moyenne six mois", explique Bernard Monot
Images : Quentin Calmet
Depuis la conclusion de l’accord, Nicolas Dupont-Aignan considère qu’il est à l’origine de ce calendrier assoupli sur la question de l’euro. « Je pense avoir convaincu Marine Le Pen qu'il fallait prendre le temps de la négociation [...] Nous laisserons un peu de temps au temps pour le faire avec sérieux », affirme-t-il ce lundi au micro de BFMTV.
La sortie de l’euro, « pas un préalable »
Qualifiée pour le second tour, le Front national a fait le choix de ne pas faire mention sur sa profession de foi de sa volonté de sortir de l’euro, une proposition qui aurait pu être repoussante pour certains électeurs. « Il faut bien le dire, cette mesure est peut-être la plus connue », s’est défendue Marine Le Pen sur France 2. La version 2012 du texte envoyé aux électeurs avait la même sémantique.
Autre évolution dans cette campagne : la sortie de la monnaie unique n’est pas présentée comme la clé de voûte du programme économique du Front national. Le texte de trois pages conclu entre Marine Le Pen et le président de Debout la France Nicolas Dupont-Aignan indique même que « la transition de la monnaie unique à la monnaie commune européenne n'est pas un préalable à toute politique économique ».
L’équipe en charge du programme réfute tout ajustement. « C’est tout à fait cohérent par rapport à ce que nous avons dit depuis 2008. On peut faire d’autres choses en dehors de l’euro, il y a beaucoup d’autres propositions, ne serait-ce que soutenir les entreprises hexagonales, baisser l’impôt sur les sociétés immédiatement », défend le stratège économique de Marine Le Pen, Bernard Monot :
Bernard Monot : "On peut faire d'autres choses en dehors de l'euro"
Images : Quentin Calmet
La sortie de l’euro n’est pas non plus une priorité pour Jérôme Rivière. « Cela répond aussi à la nécessité de ne pas tout faire en même temps. Cette souveraineté monétaire est un objectif pour la fin du quinquennat plus qu’un objectif pour les premiers jours du quinquennat », indiquait le 1er mai sur RFI le conseiller défense de Marine Le Pen.
Florian Philippot, l’un des ardents défenseurs d’une sortie de l’euro au sein du FN (il avait jugé ce point du projet « indispensable » en 2016), rappelait ce dimanche sur France 3 réfute tout amendement au programme mais plaide pour la « précision ». Pendant « ces six mois » de négociation, indique-t-il, le gouvernement pourra « faire des choses en matière économique » : suppression de la loi travail, revalorisation du minimum vieillesse ou « patriotisme économique ».
Florian Philippot, sur la sortie de l'euro : "Le projet, il est clair"
Images : France 3
« Dans ces conditions-là, 70% de mon programme ne pourrait pas être mis en œuvre »
Marine Le Pen a pourtant attaché une grande importance à la souveraineté monétaire dans la défense de son programme. Durant le débat du 20 mars entre les 11 candidats, on se souvient que la candidate frontiste avait dégainé derrière son pupitre un graphique sous-entendant un le lien entre un décrochage de la production industrielle française comparée aux voisins européens et l’adoption de l’euro.
Une semaine plus tard, elle confiait dans une interview sur Europe 1 que « 70% de son programme ne pourrait pas être mis en œuvre » si le non devait l’emporter dans son référendum sur l’appartenance à l’Union européenne et à la zone euro.
L'entrepreneur Mikael Sala, l’un des autres architectes du projet économique de Marine Le Pen, jugeait lui en mai 2016 que l’euro était « incompatible » avec le « contrat social ». Le président du collectif « Croissance Bleu Marine » estimait aussi que « le redressement des entreprises françaises » passait « nécessairement par la souveraineté monétaire retrouvée ».
Un an après le séminaire d’Étiolles où la question de la sortie de l’euro avait agité ses cadres, le Front national semble toujours hésiter sur la stratégie à adopter vis-à-vis de la monnaie unique, dans une optique de conquête de nouveaux électeurs.