C’est en plein passage de relais sur le texte Agriculture et Alimentation entre les deux chambres que le Sénat a organisé ce mercredi une table ronde sur le thème des produits phytosanitaires. L’actualité est brûlante sur les herbicides et les pesticides, quelques jours après la controverse sur la sortie du glyphosate.
La question des mutations des pratiques agricoles et surtout de la réduction de la consommation des produits phytosanitaires ont été de très loin l’un des thèmes centraux. Avec une interrogation centrale : les solutions existent-elles ? L’enjeu est sanitaire et environnemental, mais aussi économique et technologique.
Concernant le glyphosate, l’un des herbicides les plus employés au monde, et dont l’utilisation s’est élevée à 9200 tonnes en France en 2016, le gouvernement s’est donné pour objectif une sortie en trois ans. Des alternatives existent. Des impasses aussi. Le PDG de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), explique que les « situations techniques d’impasse totale » représentent « 15% des volumes de glyphosate consommé ».
Philippe Mauguin insiste : « Il n’y aura pas une seule solution, il ne faut pas se bercer d’illusions ». « Le message de la recherche, c’est qu’il y a des alternatives qui sont mobilisables et qu’il faut combiner. Avec à chaque des approches différentes selon les territoires. »
« Le réveil est difficile aujourd’hui. L’histoire était écrite, cela fait cinq ans que l’on dit que ces produits sont condamnés, compte tenu de leur réminiscence et de leurs effets sur l’environnement », déclare Patrick Dehaumont, le directeur général de l'alimentation, au ministère de l'Agriculture.
Des « perspectives un tout petit peu optimistes »
Sur un champ beaucoup plus large, celui des produits phytopharmaceutiques, la France a réaffirmé le 25 avril dernier les ambitions du plan Ecophyto 2, lancé en 2015 : une réduction de 25% de leur consommation d’ici 2020, et de 50% à l’horizon 2025. Le premier plan du nom, lancé en 2008, visait le même objectif d’une réduction de moitié en dix ans. L’an dernier, l’Inra soulignait même que la consommation nationale de pesticides avait même connu de 2009 à 2013 une trajectoire inverse, avec une augmentation de 5%.
L’Inra partage néanmoins des « perspectives un tout petit peu optimistes » avec les résultats des fermes engagées dans le réseau Dephy. « Sur un petit millier de fermes françaises, des agriculteurs ont pu réduire de 30% par rapport à la référence moyenne les phytosanitaires sans perte de rentabilité ou de production », indique Philippe Mauguin, qui rappelle que 3000 fermes sont désormais dans cette voie. Mais changer d’échelle est un chantier colossal. « Il est assez facile de viser 5 à 10% de réduction en optimisant. 30%, c’est possible, la trajectoire nécessite plus d’accompagnement et de formation. Si on veut aller plus loin que 50% de réduction, on va vers une reconception des systèmes agricoles. C’est une innovation de rupture […] et cela ne va pas se faire en un claquement de doigts. »
« Aucune méthode n’assurera à elle seule une efficacité suffisante »
D’autres sénateurs, comme la socialiste Angèle Préville, interpellent les participants sur les conséquences néfastes sur la biodiversité. L’avenir des néonicotinoïdes, ces substances entrant dans la composition de plusieurs pesticides et accusé d’être responsables d’un effondrement des populations d’abeilles (lire à ce sujet notre chronique Check Point), est notamment mis sur la table. Jeudi 7 juin, les apiculteurs doivent se mobiliser, pour alerter la population sur le déclin de leurs ruches. « Il est probable que les produits phytosanitaires ont une responsabilité très importante. Peut-être aussi d’autres produits chimiques, les pesticides en général », admet Patrick Dehaumont.
Les représentants de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) ont partagé au cœur de la table ronde les conclusions d’un rapport remis le 30 mai. Ils ont notamment évalué l’impact d’une suppression des nécotinoïdes sur les activités agricoles. « Pour plus de 80% des usages, il existe des alternatives qui sont chimiques et non chimiques […] Aucune méthode n’assurera à elle seule une efficacité suffisante pour remplacer les nécotinoïdes. Une combinaison doit être envisagée dans une approche de lutte intégrée », explique Françoise Weber, directrice générale adjointe de l’agence :
« Aucune méthode n’assurera à elle seule une efficacité suffisante pour remplacer les nécotinoïdes », affirme Françoise Weber (Anses)
Parmi les alternatives à développer conjointement selon l’Inra : le biocontrôle, l’agronomie, ou encore la génétique.
« Il faut du temps malheureusement »
Didier Marteau, président de la Chambre d'agriculture de l'Aube, affirme que le mouvement est enclenché et que les pratiques évoluent progressivement. « Il faudra du temps malheureusement. Un tiers des agriculteurs sont déjà engagés. Un tiers regarde avec beaucoup d’attention et un tiers ne sont pas prêts à partir. » Le volontarisme français ne met pas tout le monde d’accord. La « distorsion de concurrence est en train de mettre l’agriculture en difficulté », s’inquiète l’exploitant.
« La rupture totale ? Pas quand on travaille avec le vivant et qu’on serait le seul pays à le faire. Parce que les conséquences seraient trop fortes », acquiesce le sénateur (LR) Benoît Huré, lui aussi agriculteur de profession.
Des partenaires dans la recherche à l’échelle internationale
Pour certains sénateurs, la clé de la réponse se trouve au niveau mondial, et la France ne pourra pas rester seule. Jérôme Bignon (Les Indépendants) suggère par exemple la naissance d’un Giec pour la problématique phytosanitaire, à l’instar du climat.
Les coopérations ont en tout cas débuté, comme l’affirme le patron de l’Inra. « On va signer, probablement à l’automne, une association Inra-Chine », précise Philippe Mauguin, qui s’intéresse notamment à des rizières sans pesticides. « Quand la Chine bouge, c’est important. » Des coopérations sont également en train de se nouer au niveau européen. « On est en train de négocier un programme franco-allemand que l’on pourrait présenter à l’Europe », ajoute-t-il.