Sport : « Trop peu et trop tard », les sénateurs très critiques après les annonces d’Emmanuel Macron
Alors que le président de la République rencontrait ce mardi les acteurs du sport amateur et professionnel - dont Bernard Laporte et Tony Parker - pour évoquer leurs difficultés face à la pandémie, les sénateurs critiquent l’absence d’une véritable politique publique dans ce domaine.
Par Chloé Rouveyrolles
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« On a écouté les sportifs bien trop tard, et il y a vraiment eu un manque d’anticipation », résume Marie Mercier, sénatrice de la Saône-et-Loire (LR). Comme elle, de nombreux élus du palais du Luxembourg estiment que le gouvernement s’empare aujourd’hui à la hâte du monde du sport après l’avoir négligé.
Depuis le début de la crise sanitaire, les sportifs serrent les dents tant leur pratique, amateure ou professionnelle, pâtit des restrictions. Malgré le très visible essor de la course en ville ou le développement des cours de sport en ligne, le secteur a pris des coups : des matchs à huis clos aux fermetures de salles, en passant par l’annulation ou le report d’évènements sportifs.
Au Sénat, le diagnostic est partagé à droite comme à gauche : « Catastrophe », « grande souffrance », « gros dégâts », « inquiétant » sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent. Le secteur sportif perd ses revenus, principalement ceux liés à la billetterie, l’achat de licences, ou les droits de retransmission à la télévision.
Membre du parti présidentiel, Didier Rambaud, sénateur de l’Isère (RDPI), tempère les critiques. « Il n’est jamais trop tard pour se saisir d’un sujet qui concerne tant de Français », commence-t-il, « le monde sportif compte des univers très différents, qui appellent donc des réponses très différentes et cela demande du temps ».
Ce vice-président de la mission d’information sur les fédérations sportives appelle à la prudence : « Il y a des baisses de licences (environ 20 % selon le CNOSF, ndlr) mais on ne sait pas encore quel sera l’effet global de cette crise qui continue à évoluer. »
Pour répondre à ces inquiétudes, le président de la République échangeait avec les responsables du monde sportif par visioconférence ce mardi, en présence de plusieurs ministres dont Jean Castex et Roxana Mărăcineanu.
A l’issue de ce rendez-vous, Emmanuel Macron a fait plusieurs annonces : la reprise possible en décembre des activités sportives des clubs de jeunes, avec des « protocoles renforcés, en particulier pour les sports en salle » ; et un « pass sport » pour aider les jeunes à pratiquer une activité sportive, d’un coût total de 100 millions d’euros.
Le Président a également confirmé le feu vert de la Commission européenne pour un fonds de compensation de la billetterie du sport professionnel de 107 millions d’euros. Les acteurs du sport ont aussi vu un souhait de longue date exaucé avec la constitution d’un groupe de travail sur le dispositif du droit à l’image.
L’Elysée a aussi précisé que le retour des spectateurs dans les stades n’interviendrait pas avant début 2021.
Trop peu et trop tard
« Comment peut-on se satisfaire d’annonces dont une partie a déjà acté et inscrite dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale et de finances rectificative pour 2020, et dont l’autre partie n’est à ce jour pas financée ? » s’interroge d’emblée Michel Savin, sénateur de l’Isère (LR) et président du groupe d’études « Pratiques sportives et grands événements sportifs ». Et d’ajouter, « les acteurs du secteur, ne demandent plus des discours mais des actes » .
Jean-Raymond Hugonet, sénateur de l’Essonne, juge quant à lui que ces mesures sont tout bonnement une « opération de communication » et « un cautère sur une jambe de bois. »
De son côté, Stéphane Piednoir, sénateur du Maine-et-Loire (LR), exprime de nombreuses « craintes » quant à la réalisation de ces promesses, et rappelle que les clubs, aussi déterminés qu’ils puissent être à reprendre une activité, doivent anticiper les protocoles à mettre en place et ont à cet égard besoin d’un calendrier précis : « Il ne faudra pas donner le signal à l’avant-veille d’un championnat, il faut être plus concret. »
« Rien n’est prévu dans le budget 2021 »
Le financement de ces mesures cristallise aussi de nombreux reproches, en particulier sur le « pass sport » dont les critères d’attribution aux familles pour payer l’adhésion à un club ou acheter des équipements n’ont pas encore été définis, même si l’Elysée a annoncé un lancement en 2021.
Dans le plan de relance, une enveloppe spécifique de 122 millions d’euros sur deux ans est allouée aux sports. Plusieurs sénateurs pointent que ce chiffre leur semble dérisoire comparé aux 2 milliards alloués à la culture.
Comme plusieurs autres de ses confrères, Annick Billon, sénatrice de la Vendée (UC), rappelle que « les collectivités ne pourront pas maintenir le sport sous perfusion avec des subventions. »
« Rien n’est prévu dans le budget 2021 pour financer ces mesures », insiste l’élu de la Creuse, Jean-Jacques Lozach (PS). Or s’il incombait effectivement aux collectivités de prendre en charge le financement des activités sportives, ce serait une épée de Damoclès dommageable à leur développement », juge celui qui a présidé une mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives ayant rendu ses conclusions en septembre.
Quand les équipes de Roxana Mărăcineanu calculent que le sport aurait reçu depuis le début de la crise 4 milliards d’euros d’aides (chômage partiel, fonds de solidarité, etc.), il demande « une évaluation de ces chiffres » qui, d’après lui, ont principalement bénéficié aux clubs professionnels : « Comptez ce que coûte le chômage partiel pour Neymar ». Jean-Jacques Lozach est certain que « des clubs de proximité sont passés sous les radars et vont disparaître ».
Quand on leur demande leurs suggestions, les sénateurs ne manquent pas de propositions. Christine Lavarde et Jean-Raymond Hugonet jugent que des protocoles peuvent être inventés pour retrouver une activité dans les stades et y respecter les mesures de distanciation.
L’ancien ministre des Sports, le socialiste Patrick Kanner recommande entre autres mesures des « moyens pour les contrats aidés » qui permettent de maintenir en poste des encadrants de clubs sportifs.
Le sport comme « dernière roue du carrosse »
Derrière ces récriminations, il y a pour beaucoup l’idée d’un « mépris » à l’égard du domaine sportif, ce qu’avait regretté au palais du Luxembourg, Denis Masseglia, le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) lors d’une audition le 4 novembre.
« Où est la ministre ? », demandent plusieurs sénateurs. « Les changements de périmètre de ce ministère rendent les analyses comparatives très difficiles, et cette instabilité nuit énormément à une politique publique du sport », résume Jean-Jacques Lozach.
« En toile de fond, il y a ces combats d’arrière-garde que sont les salaires de joueurs les plus célèbres », estime le sénateur Jean-Raymond Hugonet, qui déplore qu’en France, le sport soit « la dernière roue du carrosse » et « le parent pauvre aussi bien en termes de budget que de stratégie. »
« On va être confronté à des questions d’acceptabilité sociale sur les dépenses publiques », semble lui répondre sa collègue des Hauts-de-Seine, Christine Lavarde. « Quand des gens qui sont en difficulté verront que la communauté d’agglomération continue de payer pour un club sportif professionnel, alors qu’il n’y a même pas le côté festif d’assister aux rencontres, ils pourront être agacés, et c’est pourquoi il faut saisir cette occasion pour réformer le financement public et privé du sport pro et amateur. »
« Il n’y aura pas de nouvelle taxe, mais il faut réfléchir à une participation possible au fait de vivre dans la ville ou le village », avance la ministre Catherine Vautrin, qui ouvre la réflexion avec les élus. Au Sénat, le président de la délégation aux collectivités, Bernard Delcros, évoque une « réforme de la taxe foncière », quand le vice-président de l’AMF, Philippe Laurent, défend une contribution qui « tient compte très largement du revenu ». Le débat est loin d’être clôt.
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