L’information, lorsqu’elle est tombée en plein milieu de l’été, n’a pas fait grand bruit. Elle est néanmoins révélatrice du « spleen » et du malaise qui traverse une grande partie des 500.000 conseillers municipaux. À un an et demi des prochaines municipales, les chiffres du répertoire national des élus révèlent que les démissions dans les conseils municipaux ont doublé par rapport à la précédente mandature. Une crise des vocations se profile-t-elle ?
Les raisons du ras-le-bol sont multiples. « Plus de responsabilités, plus de risques, moins de moyens, moins de considération », résume ce jeudi le sénateur centriste Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Son groupe de travail, lancé à l’hiver dernier, a présenté ce jeudi quelques remèdes pour améliorer les « conditions d’exercice » des mandats locaux. Sous le patronage de Gérard Larcher, qui veut se montrer en première ligne sur ce dossier.
Une logique « d’engagement citoyen » qui va perdurer
Après une vaste consultation, à laquelle ont répondu plus de 17.000 élus locaux, le Sénat présente une série de recommandations concrètes pour améliorer leur protection sociale, faciliter les sessions de formation des élus des plus petites communes (qui ne disposent pas de services dédiés), rendre plus fluide leur reconversion une fois le mandat achevé, ou encore apporter des réponses sur leur responsabilité pénale dans le cadre des décisions qu’ils prennent. Il n’est pas question de « privilèges », précise le sénateur socialiste Éric Kerrouche, qui défend plutôt un « vecteur » pour une « meilleure représentativité ». En clair : pour que la fonction d’élu puisse être compatible avec toutes les professions.
Si elle propose d’apporter de nouveaux outils aux élus locaux, la délégation sénatoriale précise qu’elle ne s’engage pas dans la voie d’une « professionnalisation » de l’élu, comme elle peut exister dans autres États européens. « Être élu, ce n’est pas un métier », insiste le sénateur (LR) Mathieu Darnaud. Bref, le modèle pour la majorité des élus français restera celui d’un « engagement citoyen ». Mais il ne faut pas « s’abriter derrière ce constat » pour balayer d’un revers de main « les difficultés du terrain », nuance le sénateur centriste Bernard Delcros.
Même s’ils refusent de faire de l’indemnité la question centrale de leur rapport, celle-ci reste néanmoins importante pour une catégorie d’élus de terrain, qui sont pour la grande majorité bénévoles. Les sénateurs conseillent notamment de revaloriser les indemnités, notamment pour les élus des communes rurales de moins de 1.000 habitants. Pour que les communes soient en mesure de réaliser ce geste, la délégation demande à l’État d’augmenter la dotation élu local à destination de ces territoires ruraux.
"C'est essentiellement dans la ruralité où les maires expriment un sentiment de découragement ", déclare Mathieu Darnaud
« C'est essentiellement dans la ruralité où les maires expriment un sentiment de découragement », déclare Mathieu Darnaud (images : Stéphane Hamalian)
Un « commencement de réponse » de la part du gouvernement
Le dialogue avec le gouvernement a en tout cas déjà débuté sur d’autres aspects. La délégation a d’ailleurs repoussé la présentation de ses propositions – prêtes depuis juillet – pour en réserver la primeur à l’exécutif. Sur le régime social, les sénateurs se montrent satisfaits. « La ministre Jacqueline Gourault s’est inscrite dans cette volonté de simplification et a annoncé la mise en œuvre de plusieurs augmentations qui étaient formulées par notre délégation », relaye le sénateur socialiste Marc Daunis. « On a un commencement de réponse. Cela marque une volonté de nous écouter. Ils nous ont donné des gages », salue de son côté le président Jean-Marie Bockel.
Statut de l'élu local : « des avancées » de la part du gouvernement, selon Jean-Marie Bockel
« Des avancées » de la part du gouvernement, selon Jean-Marie Bockel (images : Stéphane Hamalian)
En préparation de longue date, l’embryon de « statut de l’élu local » soumis ce jeudi par le Sénat, qui s’attaque à un serpent de mer, intervient dans un contexte particulier. Fin septembre, la grogne des collectivités territoriales a franchi un nouveau cap à Marseille (relire notre article). Contre le « mépris » du gouvernement, les trois grandes associations d’élus locaux ont décidé de faire front commun sous une bannière commune : « Territoires unis ». « Ce qui s’est passé à Marseille, il faut l’entendre », explique le président du Sénat, Gérard Larcher, bien décidé à jouer les Casques Bleus face à cette « réelle tension », selon ses mots.
Gérard Larcher veut « une séquence forte » dans les prochains mois en faveur des élus locaux
À l’heure où les assemblées locales se sentent abandonnées par l’État, le rapport de la délégation sénatoriale va-t-il servir à recoller les morceaux entre l’exécutif et les élus locaux ? « Cette rencontre cet après-midi, elle veut être une contribution à ce que le dialogue soit renoué », espère Gérard Larcher, qui voit là l’occasion d’ouvrir une nouvelle séquence. « Le temps est venu recréer des ponts entre les collectivités territoriales et l’exécutif », insiste-t-il.
L’enjeu du statut de l’élu local pourrait être l’un des points majeurs abordés lors de la future Conférence nationale des territoires (CNT), cette interface créée dans la foulée de la présidentielle, actuellement boycotté par les trois grandes associations d’élus locaux (Association des maires de France, Assemblée des départements de France, et Régions de France). Mais selon les sénateurs, elle devrait bien figurer à l’ordre du jour de la prochaine instance dialogue de la CNT, qui se réunira prochainement à Matignon.
Gérard Larcher, qui doit rencontrer Emmanuel Macron « dans les prochains jours » pour évoquer la refonte de la fiscalité locale, pourrait aussi profiter de cette occasion pour aborder les propositions du Sénat en faveur des élus locaux. « Je pense que nous devons avoir une séquence forte dans les mois qui viennent », déclare-t-il.
Élus locaux : "Le statut, c'est une reconnaissance, une forme de garantie", explique Gérard Larcher
Élus locaux : « Le statut, c'est une reconnaissance, une forme de garantie », explique Gérard Larcher (images : Stéphane Hamalian)
Pressés d’obtenir des résultats « concrets » comme ils le répètent à l’envi, les sénateurs n’attendront pas seulement des modifications réglementaires de la part de l’Élysée et de Matignon. Ils devraient se saisir rapidement des leviers à leur disposition. Un texte en préparation ? « Aujourd’hui, la priorité n’est pas d’avoir une proposition de loi sur ce sujet », balaye Jean-Marie Bockel.
Les Républicains Charles Guené et Mathieu Darnaud ne cachent pas en revanche leur intention d’agir par voie d'amendements au projet de loi de finances cet automne.