Suppression de la redevance télé : pourquoi le Conseil constitutionnel pourrait tiquer

Suppression de la redevance télé : pourquoi le Conseil constitutionnel pourrait tiquer

Un rapport de l’inspection générale des Finances et de l’inspection générale des Affaires culturelles rappelle qu’un financement autonome des médias va de pair avec une garantie d’indépendance. En proposant aux parlementaires d’examiner la suppression de la redevance télé, sans mécanisme de substitution pour l’audiovisuel public, hormis la promesse d’une compensation, l’exécutif pourrait se voir couper l’herbe sous le pied par le Conseil constitutionnel.
Romain David

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L’une des principales promesses de campagne d’Emmanuel Macron sur le point de buter contre le Conseil constitutionnel ? La suppression de la Contribution à l’audiovisuel public (CAP) pourrait être retoquée par les sages du Palais Royal, en charge de veiller à la conformité des lois avec la Constitution, alerte un rapport conduit par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des Affaires culturelles. En cause : une menace pour l’indépendance de l’audiovisuel public, qui risque de perdre sa principale source de subsides sans que le gouvernement ait, pour l’heure, proposé un autre mécanisme de financement. Par voie de conséquence, c’est la liberté de la presse, définie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui serait ainsi fragilisée. Explications.

La suppression de la redevance enclenchée pour protéger le pouvoir d’achat des Français

La CAP représente près de 90 % du financement de l’audiovisuel public. Payée par 23 millions de foyers fiscaux (138 euros pour les Français de métropole, 88 euros pour les Outre-mer), elle se chiffrait à 3,1 milliards d’euros en 2020, selon Bercy. Le 7 mars dernier, lors d’un déplacement à Poissy, dans les Yvelines, le candidat Macron s’est engagé à supprimer cet impôt. Une annonce qui s‘inscrit dans la foulée de la disparition de la taxe d’habitation, l’une des mesures phares de son premier quinquennat, notamment pour des raisons techniques, puisque le recouvrement de la CAP était adossé à la taxe d’habitation. Mais aussi pour faire face à l’évolution des pratiques, du fait de la diminution du taux d’équipement des Français depuis une quinzaine d’années. Le nombre de foyers déclarant ne pas détenir de poste de télévision est ainsi passé de 1,23 million en 2006 à 2,01 millions en 2020. « Toutefois, le nombre des foyers assujettis à la CAP n’a baissé pour la première fois qu’en 2020 avec 175 000 foyers assujettis en moins », relève le rapport publié mercredi 13 juillet.

La suppression de cet impôt figure en tête du projet de loi de finances rectificative pour 2022, qui fait partie du paquet législatif présenté le 7 juillet par l’exécutif en faveur du pouvoir d’achat des Français, actuellement en première lecture à l’Assemblée nationale. Pour l’heure, l’Etat ne propose aucune autre formule de financement, mais il a promis de compenser auprès des diffuseurs publics le manque à gagner de 3 milliards. La suppression « ira de pair avec une réforme de l’audiovisuel public, qui garantira son indépendance et des moyens durables », a assuré la Première ministre Élisabeth Borne lors de son discours de politique générale devant le Sénat.

La nécessité d’une garantie de financement

Mais quelle réforme ? Encore porte-parole de gouvernement, l’actuel ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, avait évoqué en mars dernier la possibilité d’« un budget voté pour cinq ans ». Or, c’est là que le bât blesse, car une ligne budgétaire, inscrite dans un projet de loi de finances, n’apporte pas de réelles garanties d’indépendance, et peut se voir soumises aux réajustements en tout genre, selon le contexte économique. « Si la Constitution n’impose pas un mode de financement en particulier de l’audiovisuel public, le risque existe que le Conseil constitutionnel censure le remplacement d’une ressource dédiée par un financement par le budget de l’État », souligne le rapport. « On compense durant la première année, la deuxième, la troisième… et puis la quatrième année, un nouveau gouvernement décide de baisser la compensation. L’expérience a tendance à montrer que sur le long terme, il s’agit souvent d’un marché de dupes », relève auprès de Public Sénat le constitutionnaliste Didier Maus.

L’audiovisuel public n’est pas mentionné dans la Constitution de la Ve République. Néanmoins, l’indépendance des médias a valeur constitutionnelle, dans la mesure où elle participe de la liberté défendue par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, à laquelle renvoient les premières lignes du préambule de la Constitution. « Juridiquement, le problème de la suppression de la redevance et le problème des ressources de l’audiovisuel public doivent être envisagés séparément », poursuit Didier Maus. « Le Conseil constitutionnel a toujours estimé que le gouvernement était libre de supprimer une taxe ou un impôt, ce qui est assez logique. Un système de prélèvement doit pouvoir évoluer. Néanmoins, et c’est là que la question devient complexe, certaines suppressions doivent être remplacées par une garantie de financement pérenne. Si la disparition de la redevance est déclarée anticonstitutionnelle, ce ne sera pas à cause de la suppression en tant que telle mais parce que l’Etat ne propose pas de mécanisme de substitution satisfaisant. »

Au début du mois de juin, les sénateurs LR Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, en charge d’une mission de contrôle sur les conséquences de la suppression de la redevance, estimaient déjà auprès du Public Sénat que le président de la République avait mis « la charrue avant les bœufs ». Ils considèrent néanmoins dans leur rapport « qu’une solution fiscale alternative apparaît aujourd’hui techniquement difficile à mettre en œuvre, voire coûteuse. »

» Lire notre article : Un rapport choc du Sénat préconise la fusion de France Télévisions et de Radio France

Plusieurs documents juridiques européens rappellent également la nécessité de garantir l’indépendance des médias. Parmi eux : le protocole d’Amsterdam de 1999, une communication de la Commission européenne datée de 2009, et diverses recommandations du Conseil de l’Europe. Par ailleurs, les interventions fréquentes des gouvernements hongrois, polonais et slovène sur les médias publics ont poussé Bruxelles à entamer une réflexion plus approfondie sur la mise en place d’un corpus législatif spécifiquement consacré à l’indépendance journalistique. Le « Medias Freedom Act » (Acte sur la liberté des médias) pourrait être adopté par la Commission européenne en fin d’année. « Les règles établiront un mécanisme visant à renforcer la transparence, l’indépendance et l’obligation de rendre compte pour les actions ayant une incidence sur les marchés des médias, la liberté et le pluralisme au sein de l’UE », lit-on sur le site de la Commission.

Les pistes de compensation

Le risque de censure de la suppression de la CAP par le Conseil constitutionnel pourrait donc être limité « en mettant en place certaines garanties propres à assurer aux entreprises audiovisuelles publiques un niveau de ressources et une prévisibilité suffisante pour l’exercice des missions de service public qui leur sont confiées », relève le rapport de l’Inspection générale des Finances et l’Inspection générale des Affaires culturelles. Ce document évoque notamment la piste d’une « commission technique indépendante », chargée de définir les moyens de l’audiovisuel public de façon pluriannuelle et de veiller à la bonne exécution des engagements budgétaires. Le rapport suggère également la mise en place d’un système transitoire, qui pourrait ménager les inquiétudes du Conseil constitutionnel, en réaffectant à l’audiovisuel public une part de la TVA ou de l’impôt sur le revenu. De leur côté, les députés socialistes ont déposé en fin de semaine dernière une proposition de loi pour « une contribution affectée et progressive en fonction du niveau de revenu des citoyens dont le montant et l’affectation seront contrôlés par un organisme indépendant ».

Interrogé par Public Sénat, Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris I, se veut plutôt sceptique sur une éventuelle censure. « Il y a ce que dit la Constitution, et puis il y a la réalité politique. Le Conseil constitutionnel n’est pas composé de juristes mais d’anciens hommes politiques, nommés pour certains par le pouvoir actuel. Je ne crois pas qu’ils s’opposeront au projet de l’exécutif. »

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