Paris: French Government Weekly Cabinet Meeting
Crédit : J.E.E/SIPA

Suppression de postes de fonctionnaires : pas « arbitrée », l’idée fait pourtant son chemin au gouvernement

Les ministres de Bercy, Eric Lombard et Amélie de Montchalin, mettent sur la table leur volonté d’engager la « baisse du nombre de fonctionnaires ». « On ne confirme pas », tempère cependant l’entourage de Laurent Marcangeli, ministre de la Fonction publique. Au Sénat, le sujet fait débat. « C’est évident qu’il faut le faire », soutient le sénateur LR Claude Nougein, quand l’écologiste Thomas Dossus dénonce « la logique de l’austérité qui commence à s’installer ».
François Vignal

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A la recherche de 40 milliards d’euros d’économies pour le prochain budget, Bercy semble avoir mis sont dévolu sur les fonctionnaires. Le sujet est un peu l’arlésienne du débat public. Il refait surface, suite aux déclarations de deux ministres, et pas des moindres.

La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a d’abord mis le sujet sur la table. Evoquant les économies demandées aux ministères, elle affirme dans le Journal du dimanche que « le compte n’y est pas ». Interrogée sur la hausse du nombre de fonctionnaires ces dernières années, elle « confirme que nous voulons revoir cette tendance ». « Nous allons demander, ministère par ministère, à revoir les besoins de recrutement d’une part et les revalorisations salariales d’autre part », ajoute Amélie de Montchalin.

Le ministre de l’Economie, Eric Lombard, lui emboîte ensuite le pas dès le lendemain. Sur France Inter, il affirme vouloir engager la « baisse du nombre de fonctionnaires », mais sans donner de chiffres. Il n’en fallait pas moins pour susciter l’inquiétude des syndicats, qui dénoncent les propos des ministres.

« Rien n’est arbitré par le premier ministre à ce stade »

En réalité, la décision ne serait pas prise. « On ne confirme pas », nous affirme l’entourage de Laurent Marcangeli, ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification, ajoutant que « le premier ministre n’a pas confirmé cela. C’est lui qui a les clefs » et « les arbitrages seront rendus par le premier ministre ». En réalité, même du côté du cabinet d’Amélie de Montchalin, on soutient également aujourd’hui que « rien n’est arbitré par le premier ministre à ce stade ».

Ce ne serait qu’un ballon d’essai, un de plus ? La question se pose. D’autant que du côté de l’Hôtel de Rothelin-Charolais, où se situe le ministère de la Fonction publique, on n’était pas au courant, en amont, de la sortie de la ministre des Comptes publics… Difficile aussi pour Laurent Marcangelli, qui a engagé des discussions avec les syndicats sur la grille de rémunération des fonctionnaires, d’aller défendre en même temps moins de fonctionnaires. Au gouvernement, alors que l’enjeu de l’attractivité de la fonction publique se pose, on a aussi en tête la question des conditions de logement des fonctionnaires, sujet soulevé par les organisations syndicales. Dans les cabinets, on rappelle aussi que « si les dépenses de l’Etat doivent être régulées, le gros, ce sont les dépenses sociales. C’est 60 % des dépenses. Viennent ensuite les fonctionnaires ». Autrement dit, il n’y a pas de solution miracle à espérer de ce côté.

« A la fin, l’arbitrage ira dans le sens de moins de fonctionnaires »

Mais attention, « pas arbitré » ne veut pas dire enterré. « A la fin, l’arbitrage ira dans le sens de moins de fonctionnaires l’année prochaine, très probablement. Mais je ne vous donnerai pas de chiffre », confie une source gouvernementale, y voyant « un effet de long terme » sur les finances publiques.

Pour l’heure, chacun est dans son rôle et Amélie de Montchalin reçoit en ce moment chacun des ministres pour préparer le budget. « Tous les ans c’est pareil », le ministre des Comptes publics, « c’est Mr ou Mrs No », résume-t-on dans un ministère. Et dans ces tête-à-tête, « chacun défend sa paroisse », lance un conseiller. Mais un bâton de pèlerin et quelques prières ne seront peut-être pas suffisants pour éviter, dans certains ministères, quelques coupes…

« La baisse du nombre de fonctionnaires, de façon raisonnable et pas excessive »

En attendant de connaître les décisions, vers la mi-juillet, quand François Bayrou présentera les grandes lignes de son plan de 40 milliards d’euros d’économies, la question du nombre de fonctionnaires reste l’une des plus clivantes, dans le débat public.

Pour le sénateur LR Claude Nougein, rapporteur spécial de la commission des finances sur la fonction publique notamment, il n’y a pas de doute : il faut couper dans les effectifs. « J’ai toujours défendu la baisse du nombre de fonctionnaires, de façon raisonnable et pas excessive. J’appartiens à un parti, les LR, qui a toujours prôné cela », rappelle-t-il. Pour le sénateur de la Corrèze, s’il faut faire ces suppressions « avec parcimonie », « c’est surtout dans les agences et dans l’Etat central » qu’il faut réduire les effectifs. Mais il prévient : « L’effet sur les finances publiques est très lent. C’est quand même un paquebot qui doit s’arrêter. Mais il faut le faire petit à petit, il faut entamer le processus. Si on le fait dès cette année, il y aura un effet dans 10 ans. Mais c’est évident qu’il faut le faire », soutient Claude Nougein.

Collectivités : « Les intercommunalités ont été la source de l’exponentialité des effectifs »

Reste à définir le nombre. « En 2017, Emmanuel Macron avait dit qu’il allait supprimer 120.000 postes de fonctionnaires. François Fillon voulait en supprimer 500.000. Entre les deux, il y a de la marge. Moi, je soutenais alors Alain Juppé, qui disait 250.000 », rappelle le sénateur LR de la commission des finances, qui pointe l’augmentation, contrairement aux promesses de campagne du chef de l’Etat, du nombre de fonctionnaires depuis son élection : 178.000 de plus entre 2017 et 2022, pour atteindre environ 5,8 millions d’agents en 2023. Deux crises, l’une sociale, l’autre sanitaire, à savoir les gilets jaunes avec le besoin de services publics dans les territoires, puis le covid-19 et le manque de moyens pour l’hôpital, sont entre temps passés par là. Mais pour Claude Nougein, on n’y coupera pas :

 On est obligés de faire des économies, donc là où il y a de grosses masses financières : retraites, prestations sociales et fonctionnaires. 

Claude Nougein, sénateur LR, rapporteur spécial de la commission des finances sur la fonction publique.

Côté fonction publique territoriale, s’il veut préserver « les petites communes », le sénateur de la Corrèze pointe « la fusion des régions, qui n’a rien apporté sur la baisse du nombre de fonctionnaires » et « surtout les intercommunalités. Ça a été la source de l’exponentialisé des effectifs ». Côté fonction publique d’Etat, il écarte le ministère des Finances, qui a « déjà fait des efforts significatifs », « liés au prélèvement à la source et aux contrôles fiscaux ». Claude Nougein viserait plutôt « l’Education nationale » et l’hôpital, « sur le plan administratif ».

La majorité sénatoriale va faire de son côté ses propres propositions sur les économies à réaliser. Et si rien n’est encore tranché, le sénateur LR « proposera » pour sa part de réduire le nombre de fonctionnaires, « de façon mesurée ».

« On est dans une logique purement budgétaire »

A gauche, on dénonce sans surprise l’idée de trancher dans les effectifs. « Il n’y a jamais eu autant de besoins de services publics efficaces. Cette décision ira à contre-courant de ce qu’il se passe dans les territoires », dénonce le sénateur PS Thierry Cozic, chef de file des sénateurs socialistes pour le budget, qui explique qu’« en commission, on évoquait le problème de remplacement dans l’éducation, avec des professeurs remplaçants en nombre insuffisant… »

« On est dans une logique purement budgétaire. On est dans un moment où il faut trouver 40 milliards. On ne veut pas toucher aux recettes, donc on est en train de taper dans la dépense », dénonce le sénateur PS de la Sarthe, qui pointe la stratégie du « ballon d’essai » de la part du gouvernement, « il y a eu aussi la TVA sociale. On lance des appâts et on voit comment ça bouge ».

« Mythologie de l’administration pléthorique »

« On rentre dans le dur là », lance pour sa part Thomas Dossus, sénateur Les Ecologistes du Rhône, « c’est la logique de l’austérité qui commence à s’installer. Globalement, je ne suis pas sûr que les services publics soient dans un état qui permette la baisse du nombre de fonctionnaires ». Et d’ajouter : « Ces dernières années, à chaque fois qu’on a voulu baisser le nombre de fonctionnaires, dans l’éducation ou la santé, ça s’est avéré catastrophique ».

Thomas Dossus ne croit pas une seconde au discours du « faire aussi bien avec moins ». « C’est un discours qu’on entend depuis 40 ans et en réalité, nos services publics ne vont pas mieux. C’est basé sur une mythologie de l’administration pléthorique », dénonce l’écologiste.

« Intergroupe » rassemblant les trois groupes de gauche du Sénat sur le budget

Entre les annonces à venir du gouvernement et les propositions de la majorité sénatoriale, la gauche de la Haute assemblée entend aussi mettre ses idées sur la table. Un « intergroupe » devait se réunir ce mercredi soir, nous confie Thomas Dossus, soit une réunion rassemblant les membres du groupe PS, écologiste et communiste, dans l’optique de préparer des annonces communes sur le budget. « C’est la volonté de travailler ensemble depuis le budget précédent et de mieux faire travailler les groupes de gauche », explique le sénateur écologiste, qui prévient : « On va participer au débat ».

« La majorité sénatoriale cherche à court-circuiter le gouvernement sur le projet de loi de finances, avec un groupe de travail. La question, c’est comment nous, on est en capacité d’apporter d’autres propositions », ajoute Thierry Cozic. Travaux pratiques dès ce jeudi, avec l’examen de la proposition de loi sur la taxe Zucman, qui vise les ultra-riches, défendue par toute la gauche et même quelques centristes. Une mesure loin de la suppression de postes de fonctionnaires.

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