« Il n’est pas envisagé de nouvelles évolutions du dispositif ». C’était la réponse écrite en mai dernier de François Bayrou au sénateur centriste, Hervé Maurey l’alertant sur la hausse des crédits consacrés aux avantages dont bénéficient les anciens Premiers ministres.
« On avait raison trop tôt »
Cette question sensible a été relancée ce week-end par le Premier ministre. Sur X, Sébastien Lecornu qui a promis « une rupture » avec son prédécesseur, considère qu’« on ne peut pas demander aux Français des efforts si ceux qui sont à la tête de l’État n’en font pas […] « Nous allons supprimer les derniers avantages ‘’à vie’’ qui sont encore accordés à certains anciens membres du gouvernement », a-t-il annoncé.
« On avait raison trop tôt », constate ce lundi, la sénatrice centriste Nathalie Goulet, auteure en janvier dernier, d’un amendement en ce sens, lors de l’examen du budget 2025. « Il avait été adopté à l’unanimité des présents moins une voix », souligne-t-elle.
Il est vrai que l’hémicycle n’avait pas été particulièrement divisé sur cette mesure qui prévoyait de supprimer l’enveloppe destinée aux dépenses afférentes aux anciens présidents de la République et aux anciens Premiers ministres, soit 2,8 millions d’euros par an. « Dans l’ensemble, ils ne sont pas des grands nécessiteux de la République, ils ont tous un certain nombre de retraites et ont tous des postes de consultant. J’ai vérifié, personne n’est aux Restos du cœur », avait justifié la sénatrice de l’Orne. « Quand on demande aux Français de faire des efforts, ils ne comprendraient pas que l’État ne commence pas par lui-même et par éviter les dépenses superflues », avait appuyé son collègue, le sénateur Michel Canevet (Union centriste).
Pour rappel, la France compte 17 anciens Premiers ministres, et ces derniers peuvent bénéficier d’une voiture avec l’attribution d’un chauffeur et d’un secrétariat s’ils n’en disposent pas dans le cadre d’un mandat parlementaire, d’un mandat d’élu local ou d’une autre fonction publique. Un décret publié en 2019 limite à 10 ans ces avantages que les anciens chefs du gouvernement peuvent bénéficier plus tard jusqu’à leurs 67 ans. Michel Barnier ou François Bayrou ne pourront donc pas en bénéficier.
Le montant pouvant être annuellement dépensé n’est pas encadré. C’est ce qui avait conduit à l’interpellation écrite d’Hervé Maurey citée plus haut. En s’appuyant, sur un rapport de l’Assemblée nationale, l’élu relevait une hausse de11 % entre 2023 et 2022 des crédits qui avaient bénéficié à 12 anciens Premiers ministres, soit 1 423 907 euros. Dans le top trois des traitements les plus coûteux, Bernard Cazeneuve 201 387 euros, Dominique de Villepin (197.540 euros) et Jean-Pierre Raffarin (167.467 euros).
« Des gens ont dit à ma femme que j’allais conserver mon traitement à vie »
Ancien ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports pendant trois ans, l’actuel patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner reconnaît le sujet sensible et appelle à de la pédagogie. « Il y a quand même beaucoup de fantasmes autour de cette question. François Hollande avait diminué de 30 % les traitements des membres du gouvernement et du Président. Mais pour beaucoup de Français, c’est toujours trop. Quand j’étais au ministère, des gens ont dit à ma femme que j’allais conserver mon traitement à vie. Je n’ai conservé aucun avantage sauf une pension de retraite qui s’élève pour trois ans de cotisation à 120 euros par mois », explique-t-il.
« Il n’était pas question de rogner sur la sécurité »
En janvier, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola s’était opposé à l’amendement de Nathalie Goulet. « Dans un monde aussi dangereux que le nôtre, avec une délinquance de terrain ou avec des risques internationaux qui peuvent être d’agression, d’espionnage […] des anciennes personnalités qui ont occupé des fonctions très importantes dans la République » pouvaient « avoir un service de déplacement et surtout de protection », avait-il justifié oubliant un peu vite que la protection des anciens présidents de la République ou de Premiers ministres ne relève pas de la direction de l’action gouvernementale, la mission que le Sénat avait amendée, mais du service de la protection (SDLP), dépendant du ministère de l’Intérieur.
« Il n’était pas question de rogner sur la sécurité des anciens membres de l’exécutif », confirme, ce lundi, Nathalie Goulet avant d’ajouter : « Leur protection doit, toutefois, être évaluée au cas par cas. Je ne suis pas certaine, par exemple, que la protection d’Édith Cresson nécessite de nombreux gardes du corps. Et surtout, il n’y a aucune raison que le contribuable paye les 17 000 euros de loyers mensuels pour les bureaux de Nicolas Sarkozy rue de Miromesnil », souligne Nathalie Goulet.
Au sujet des moyens accordés aux anciens chefs de l’État, 1,32 million a été attribué à François Hollande et Nicolas Sarkozy en 2023. Outre un véhicule avec chauffeur, un ancien président de la République bénéficie d’un cabinet de sept membres et de deux agents de service. Cet effectif est ramené à trois membres et un agent de service, lorsqu’il a quitté l’Élysée depuis plus de cinq années. Il dispose enfin de locaux meublés et équipés, dont le loyer et les frais sont pris en charge par l’État, et de la prise en charge de leurs frais pour les activités liées à son ancienne fonction présidentielle.
« Je trouvais cette mesure démagogique »
Le sénateur (Les Indépendants) Jean-Pierre Grand est le seul élu présent en janvier dernier, à avoir voté contre cet amendement. « Je trouvais cette mesure démagogique. Elle ne changera rien au budget de la nation. Et les anciens Présidents de la république, ce n’est pas pareil que les anciens ministres, ils continuent de représenter la France », justifie-t-il. Le sénateur de l’Hérault ne serait en revanche pas opposé à la proposition de Sébastien Lecornu, « à condition qu’on ne touche pas à leurs conditions de sécurité. Il y a quand même des dingues en ce moment ».
« On ne peut pas envoyer à l’abattoir des anciens ministres qui auraient été impopulaires. Il ne faut pas hésiter à donner une protection aux anciens ministres qui se sentent menacés », appuie Patrick Kanner.
Quid des avantages des anciens Présidents ?
A noter que Sébastien Lecornu ne fait pas référence aux avantages des anciens présidents de la République dans sa proposition. « Je crois savoir que Nicolas Sarkozy n’avait pas apprécié cet amendement », souffle, à ce sujet, Nathalie Goulet.
La mesure n’avait pas été conservée en commission mixte paritaire cet hiver. Selon le Canard Enchaîné du 29 janvier, François Bayrou s’était opposé en personne à cette modification. « Il faut bien qu’il y ait dans l’Etat des choses stables […] Quand on occupe des postes à responsabilités dans des moments de crise, il y a forcément, pour le futur, des précautions à prendre », avait-il déclaré devant les députés MoDem, selon l’hebdomadaire.
A noter, enfin, que la proposition de Sébastien Lecornu n’est pas si inédite qu’elle pourrait paraître. Il y a un an, avant la chute de son gouvernement, Michel Barnier avait lui aussi indiqué qu’il comptait « demander un effort aux anciens ministres et anciens Premiers ministres ».