La Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), qui verse les pensions du régime général à près de 16 millions de retraités, se tient prête en cas de suspension de la réforme des retraites l’an prochain, dans ses termes actuels. Inscrite par lettre rectificative dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale par le gouvernement, elle est actuellement examinée à l’Assemblée nationale. La disposition stoppe la montée en charge de l’âge légal de départ pour les générations 1964 et 1965, ainsi que la hausse de la durée de cotisation (réforme Touraine). Les Français nés en 1964 pourront partir dès 62 ans et 9 mois, autrement dit en octobre 2026, au lieu de janvier 2027, si le Parlement l’accepte.
Lors d’une audition en commission des affaires sociales ce 29 octobre, la sénatrice Pascale Gruny (LR) a cherché à savoir si la Cnav était prête sur le plan informatique, pour tenir compte du potentiel changement à venir qui concernera des centaines de milliers de salariés. Renaud Villard, le directeur national de la Caisse, s’est voulu rassurant sur le sujet, à condition que l’article inséré par le gouvernement en reste à cette version. Tout sera recalculé dans les temps, et le système informatique suivra.
« Des dossiers qu’on serait obligés brutalement de bloquer, voire de reprendre »
« Dans l’état actuel du texte tel qu’il vous est présenté, une entrée en vigueur au 1ᵉʳ septembre 2026 nous met en zone de confort et donc il n’y aura pas de risque de bouchons. On est dans le délai de confort puisqu’il me faut cinq mois. » Selon le directeur national, la Cnav repose sur 400 systèmes d’information et il est nécessaire de procéder à de longs tests, pour vérifier si les nouveaux paramètres fonctionnent correctement. « Derrière, on va servir une rente viagère pendant 25 ans », rappelle-t-il.
Les choses pourraient nettement se corser si des amendements décidaient par exemple d’inclure les personnes du régime des carrières longues, non concernées par la suspension proposée par le gouvernement. Pour ces publics, une suspension de la réforme Borne aboutirait à des départs anticipés bien avant l’automne. « S’il devait y avoir une entrée en vigueur au 1ᵉʳ janvier, là, pour le coup, très concrètement on ne saurait pas faire », a mis en garde le haut-fonctionnaire. La crainte serait des recalculs de dernière minute, avec un « bouchon de 30 000 à 40 000 dossiers par mois », menaçant le versement des pensions pour ces retraités pendant plusieurs mois.
« Ce sont des dossiers qu’on serait obligés brutalement de bloquer, voire de reprendre, en disant ‘désolé on faisait notifier une retraite mais on s’est trompés, on n’avait pas les bonnes conditions’, Et là, pour le coup, on crée un bouchon », a développé le directeur.
Interrogé sur le nombre de Français concernés par la suspension de la réforme des retraites, Renaud Villard a souligné qu’il était « très sensible aux hypothèses de comportement ». Dans l’hypothèse où tout le monde ferait le choix de profiter d’un départ avancé de trois mois, « pas moins de 400 000 assurés seraient concernés », selon lui. Le cas est très théorique. Car l’hypothèse centrale de la Cnav est qu’un salarié sur deux anticipera son départ, et l’autre moitié décidera de rester sur le calendrier prévu par la réforme de 2023. « On rentre dans une zone inédite en termes comportementaux. On chiffre plus facilement les augmentations d’âge légal, qu’on connaît mieux, que les baisses d’âge légal, d’où une forme d’incertitude », selon le directeur général. La dernière fois que la France a amélioré l’âge de départ à la retraite remonte à 1982.
Un coût « d’un peu moins de deux milliards d’euros en année pleine »
Si le coût pour 2026 est marginal à l’échelle des finances publiques, l’addition devrait peser plus lourd pour 2027. La mécanique est simple : moins de cotisations retraite qui rentreront dans le régime, et davantage de prestations versées par la Caisse. Selon Renaud Villard, le coût de la suspension pour la seule branche vieillesse de la Sécurité sociale devrait représenter « 1,8 ou 1,9 milliard d’euros » en 2027, si les personnes éligibles au régime des carrières longues sont incluses dans les dispositions. L’étude d’impact, jointe au projet de loi, évoque un coût de 1,5 milliard d’euros.
Pointant une « évolution plus dynamique des dépenses que celle des recettes », le président de la Cnav Éric Blachon a prévenu que le déficit de la branche vieillesse pourrait se creuser jusqu’à 8,1 milliards d’euros en 2029, « en raison de la dégradation du ratio » entre actifs et pensionnés. « Dans ces projections, la dégradation devrait initialement être partiellement contenue par la montée en charge de la réforme des retraites de 2023 . Les récentes annonces, concernant sa suspension, nous invitent donc à reconsidérer avec prudence la trajectoire du déficit, qui pourrait être plus marquée encore », a-t-il averti.
Renaud Villard a d’ailleurs insisté sur le fait que le nombre d’actifs par rapport à celui des retraités, allait « doucement mais sûrement descendre en 40 ans, de 1,5 [actif pour un retraité], ce qui n’est déjà pas très fameux pour un régime de répartition, à 1 ».
Le gel des pensions de retraite va représenter une économie de 2,6 milliards d’euros
Les sénateurs ont également interrogé la direction de la Cnav sur les effets financiers d’une absence de revalorisation des retraites en 2026, comme le prévoit pour le moment le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. « On serait à 2,6 milliards d’euros de rendement », a précisé Renaud Villard.
Pour l’année 2027, le gouvernement propose de raboter davantage la revalorisation des pensions, pour financer la suspension de la réforme de 2023. Selon le directeur de la Cnav, la branche vieillesse devrait économiser environ 2,4 milliards d’euros. Les revalorisations des années 2024 et 2025, marquées par une préservation intégrale du pouvoir d’achat des retraités, ont occasionné 12 milliards d’euros supplémentaires de dépenses pour le régime général.