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Suspension de la réforme des retraites : une annonce « irresponsable » et « incompréhensible » pour les sénateurs LR

Alors que Sébastien Lecornu a sans doute sauvé son gouvernement cette semaine en annonçant la suspension de la réforme des retraites, les sénateurs LR qui ont fait de cette question un marqueur, ne comptent pas renier leurs convictions quitte à mettre à mal l’unité de leur parti.
Simon Barbarit

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C’est un lendemain qui déchante pour les sénateurs LR. En deux jours, ils ont assisté au départ de Beauvau de leur « champion » Bruno Retailleau et risquent de perdre la face sur l’un de leur marqueur : la réforme des retraites adoptée en 2023 par le Sénat où la droite et majoritaire.

Devant les députés, le Premier ministre Sébastien Lecornu a probablement sauvé son gouvernement ce mardi en annonçant la suspension de la réforme des retraites, condition exigée par les socialistes ne pas voter la censure, et repousser ainsi la dissolution. « Aucun relèvement de l’âge n’interviendra à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028, comme l’avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d’assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028 », a précisé le Premier ministre.

Dans un communiqué, le patron de LR Bruno Retailleau fustige une décision « incompréhensible dans un pays écrasé par 3 400 milliards de dettes » et dénonce « un cartel de démagogues composé de la gauche et du RN ».

La réforme Borne « correspond pleinement aux convictions » de la droite sénatoriale

Quelques heures plus tôt, lors de la réunion de groupe hebdomadaire, les sénateurs pressentaient cette annonce. « La réforme des retraites, c’est un marqueur si nous cédons là-dessus. Nous cédons sur la cohérence de nos convictions. Les électeurs de droite nous dirons : qu’avez-vous fait de nos principes ? Je m’appuie sur ce que dit Bruno Retailleau. Ordre dans la rue, ordre dans nos comptes, ordre dans nos repères », exposait l’un des porte-parole du groupe, Max Brisson. L’élu des Pyrénées-Atlantiques rappelle que la réforme Borne « correspond pleinement aux convictions » de la droite sénatoriale, qui, il y a quelques années votaient même le report de l’âge légal de départ à 65 ans. « Mais nous avons aussi la préoccupation de ne pas creuser davantage ce qui pourrait être un fossé entre sénateurs et députés. C’est pour ça que nous devons trouver une voie de passage qui préserve la cohérence de notre formation sur le plan parlementaire tout en ne bradant pas nos convictions », ajoute-t-il.

En effet, comme il y a deux ans, sénateurs et députés de droite ne sont pas tous sur la même ligne lorsqu’il s’agit de réformer les retraites. En 2023, 19 députés de droite avaient voté la motion de censure du gouvernement Borne, après le recours au 49.3 dégainée par la Première ministre pour passer sa réforme en force.

« On est à 5 mois des municipales, on ne va pas commencer à s’écharper »

Allant à rebours de la ligne du patron de LR, certains députés sont prêts à voter, aujourd’hui, cette suspension au nom de la stabilité. « On aimerait bien qu’il y ait l’unité avec les députés mais il faut les comprendre. Ils ont peur. Ça ne permet pas d’avoir le recul nécessaire », explique avec indulgence la sénatrice Pascale Gruny qui met néanmoins en garde ses collègues de l’Assemblée qui pourraient repartir en campagne en cas de dissolution et législatives anticipées. « Ce n’est pas le soutien à des propositions éloignées de nos convictions qui vont les aider. J’ai fait la campagne de Julien Dive en 2024 (député de l’Aisne NDLR). Je ne pourrais pas la refaire si on n’est pas sur la même position sur la question des retraites. Et personne sur le terrain ne parlait de cette réforme avant que le PS et les médias s’en emparent. Ils ont réussi ça », reconnaît-elle.

Ce matin, le sénateur des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi, soutenu par le président du Sénat, Gérard Larcher a invité ses collègues  à trouver « des voies de passage dans les relations entre députés et sénateurs de droite ». « Indépendamment de cette question des retraites, nous sommes assez alignés sur le régalien, l’immigration, l’identité, les sujets fiscaux on est à 5 mois des municipales, on ne va pas commencer à s’écharper. Il faut dédramatiser les relations entre les deux chambres. À l’intérieur de chaque parti il y a des différences ».

La suspension de la réforme des retraites annoncée par le Premier ministre éloigne le risque de censure de son gouvernement puisqu’elle était demandée par les socialistes, dont le soutien est clé alors que le RN et LFI notamment ont déjà fait part de leur intention de censurer le gouvernement. « Sébastien Lecornu est devenu le nouvel Henri Queuille de la Ve République. Il s’est dit que moins il en disait et mieux ça passait », observe Roger Karoutchi. « Il a quand même dit qu’il voulait un régime à l’équilibre tout en expliquant que la suspension allait coûter 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027 mais sans parler des mesures d’économies », ironise-t-il.

« On ne peut pas se renier par rapport à ce que nous avons voté il y a deux ans »

« Cette annonce qui va aggraver le déficit budgétaire me semble complètement irresponsable. Elle est à rebours de la réalité économique et démographique, de notre pays qui s’impose à nous tous, même si ion a toujours dit que la réforme des retraites était largement perfectible. On ne peut pas se renier par rapport à ce que nous avons voté il y a deux ans. Pendant des jours, des nuits, nous avons tenté d’améliorer cette réforme qui correspond à notre ADN », tacle Dominique Estrosi Sassone, la présidente de la commission des affaires économiques.

« Le risque c’est la surenchère de la gauche »

Le vice-président LR de la commission des finances, Stéphane Sautarel fait lui partie des rares au sein de la droite sénatoriale à ne pas avoir voté la réforme des retraites. Il retient la proposition du Premier ministre d’organiser « dans les prochaines semaines » une « conférence sur les retraites et le travail en accord avec les partenaires sociaux ». « Je me satisfais que le débat puisse être rouvert. Je n’ai pas voté cette réforme, car elle était inaboutie. Autant il était utile de voter une réforme de retraites, mais pas celle-ci. La mesure d’âge a entraîné une quantité de mesures dérogatoires et donc n’apportait pas d’économies suffisantes. Le deuxième sujet c’est l’urgence à introduire une part de capitalisation collective, parce que la démographie condamne notre régime par réparation ».

Pour les sénateurs LR, Sébastien Lecornu ne s’est offert qu’un sursis. « Le risque c’est la surenchère de la gauche qui ayant obtenu cette victoire en demandera d’autres sur le budget notamment de nouvelles mesures fiscales. Il ne faut pas que le coût de la stabilité soit supérieur à celle d’une dissolution chiffrée à 10 milliards », met en garde Stéphane Sautarel.

« Sans une discussion budgétaire qui n’est plus sous la menace d’un 49.3, c’est la porte ouverte à tout », s’inquiète également Dominique Estrosi Sassone qui sait que sans le recours à cet article de la Constitution, le dernier mot sera du côté de l’Assemblée nationale et le Sénat pèsera moins que les années précédentes.

Le risque pour les sénateurs LR c’est aussi de perdre la face dans l’hémicycle. Il y a deux ans, c’est avec l’appui des centristes avec qui ils forment la majorité, que la réforme avait été adoptée par la chambre haute. Les élus LR veulent croire que la position de leur partenaire n’a pas changé.

Interrogée par Public Sénat, la rapporteure centriste du budget de la Sécurité sociale, Élisabeth Doineau considère pourtant que la suspension de la réforme des retraites « coûtera toujours moins cher qu’une nouvelle crise budgétaire ». « Personnellement, alors que je me suis battue pour cette réforme et pour la nécessité de conserver un système solidaire, je préfère ce qu’a proposé Sébastien Lecornu aujourd’hui à une nouvelle censure », confie-t-elle.

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