« On est sur une ligne de crête ». L’annonce par le premier ministre de la suspension de la réforme des retraites jusqu’à janvier 2028, concession donnée aux socialistes pour qu’ils ne censurent pas, a mis quelque peu en émoi députés et sénateurs Renaissance. Et pour cause : à l’époque mère de toutes les batailles, la réforme de 2023 est la seule grande réforme structurelle portée par Emmanuel Macron et adoptée dans la douleur.
Alors qu’un amendement du gouvernement sera déposé dans le budget de la Sécu pour porter cette suspension, le chef de l’Etat a reçu en personne jeudi soir une quinzaine de députés du groupe EPR (Renaissance), présidé par Gabriel Attal. Mais le patron de Renaissance, en total froid avec Emmanuel Macron, était à Strasbourg. Pas de chance.
Le Président, censé prendre du champ pour laisser la main au Parlement, comme Sébastien Lecornu s’y est engagé, a pourtant trouvé le temps pour écouter quelques députés triés sur le volet, faire passer des messages… et la pommade.
Devant les députés Renaissance, « Emmanuel Macron continue d’assumer la dissolution »
Emmanuel Macron a pu « dire la façon dont il voyait les choses. C’était le point fort de la réunion, de dire que maintenant, c’est à Sébastien Lecornu et à Gabriel Attal de trouver les voies de passage et de rendre un peu de liberté au Parlement sur les bougés. L’esprit, partagé par le groupe, c’est qu’on comprend qu’il y a besoin de bougés, mais on ne veut pas faire n’importe quoi », nous résume la députée Marie Lebec, présente hier soir à l’Elysée. « Le Président l’a exprimé : « Je n’ai pas à vous dire ce que vous avez à faire ». Il a remis le singe sur l’épaule du premier ministre et du président du parti, ce qui est normal », confirme un autre député Renaissance, qui était parmi les convives.
Selon le même, Emmanuel Macron a de nouveau agité la menace d’une dissolution, sans la défendre : « Il s’agit d’éviter qu’on revienne à une situation où il sera conduit à prononcer une dissolution, qu’il ne souhaite pas. Il a dit qu’il fallait absolument éviter ça à tout prix ». Le chef de l’Etat a au passage assumé à nouveau sa décision de juin 2024, qui a plongé le pays dans la crise. « Il a rappelé la genèse : pas de majorité en 2022, il a proposé une coalition, qui a été refusée. Et cela a abouti à la nécessité de redonner de l’oxygène au débat et donc à la dissolution de 2024, qu’il continue d’assumer », selon un participant, qui ajoute : « Le Président souhaite que la stabilité, le compromis et la responsabilité soient le triptyque de la fin du quinquennat ».
« Il faut aider le gouvernement à faire ce deal »
Reste que le sujet divise le groupe. Selon un député Renaissance présent, qui résume la ligne de fracture, « il y a deux écoles dans le groupe Ensemble pour la République. Ceux qui considèrent que de toute façon, l’amendement sera voté donc on peut très bien s’abstenir de le faire et voter contre. Ainsi on réaffirme notre soutien à une réforme qu’on a portée. Et puis l’autre école, qui est de dire qu’il y a un deal qui est fait, c’est un amendement du gouvernement, qu’on souhaite que le gouvernement puisse trouver une issue favorable et que cela puisse être respecté. Donc qu’il faut aider le gouvernement à faire ce deal ».
« C’est vrai que quelques-uns ont exprimé leur opposition à voter cet amendement, en disant que le groupe ne le votera pas. Encore faut-il qu’on ait une position de groupe. Gabriel Attal aura ce travail difficile à faire. Et selon la position, on verra si elle peut être suivie, ou si on s’en affranchit », remarque un député EPR prêt à voter l’amendement de suspension. Il n’exclut pas « un vote au sein du groupe pour trancher. Ça peut être utile de se compter ». Le même ajoute une autre option : « La liberté de vote ».
Un rapport de force où on retrouve, comme souvent chez Renaissance, les appartenances passées. « Ceux qui viennent de la gauche ont tendance à dire qu’il faut respecter l’accord, et les autres qui viennent de la droite moins », décrypte un député de l’aile gauche. « Oui, on retrouve cette ligne de fracture. Mais on vit comme ça depuis huit ans et on trouve un chemin. On dit toujours qu’on va exploser, et au final, tout le monde avance », minimise Marie Lebec, qui vient de la droite.
« On votera contre le gel de la réforme des retraites. C’est une position de groupe. La position est claire », soutient Sylvain Maillard
Mais selon le député de Paris, Sylvain Maillard, qui était présent hier soir, le choix est fait. « Il n’y a aucun malaise. On votera contre le gel de la réforme des retraites. C’est une position de groupe. La position est claire », assure l’ancien président du groupe Renaissance, pour qui « c’est aux oppositions de trouver une majorité ».
« Pour nous, c’est évidemment une concession énorme. Le premier ministre revient sur une réforme qu’on a votée. On en prend acte. On soutient la démarche de tendre la main, de trouver un accord, mais ça nous coûte cher », soutient le responsable de la fédération Renaissance de la capitale. S’il ne « faut pas déstabiliser le premier ministre dans son ouverture », Sylvain Maillard rappelle qu’« on a porté cette réforme hyperimpopulaire, des mecs ont été caillassés… »
« C’est la responsabilité des oppositions d’assumer cette suspension », soutient Marie Lebec
Marie Lebec est un peu moins affirmative, quant à la position du groupe, tout en confirmant la tendance. « Hier à la réunion, tout le monde a eu en tête qu’il fallait avancer et entrer dans le débat budgétaire. Depuis que Bayrou a demandé le vote de confiance, on a vécu deux mois compliqués. C’était très pénible comme séquence, c’était long. On a besoin que les sujets avancent », cadre d’abord l’ancienne ministre des Relations avec le Parlement.
« Ce qui se dit dans le groupe, et qui a été remonté hier au Président, même s’il y a encore un peu de débat, et c’est ce qu’a dit Gabriel assez justement, c’est qu’il y a les oppositions qui demandent la suspension. Elles sont assez nombreuses pour l’obtenir. Il n’y a pas besoin qu’on vienne en renfort de leur vote », soutient Marie Lebec. Alors que « beaucoup disent qu’ils ne se voient pas se dédire », elle insiste : « Le débat ne porte plus sur vote favorable ou vote contre. Il y a encore un peu de discussion, mais je pense qu’il y a une majorité de parlementaires qui estiment que c’est une demande des oppositions. C’est leur responsabilité d’assumer cette suspension ». Une réunion de groupe en visio, dimanche soir, puis la traditionnelle réunion du mardi matin, devrait permettre de parfaitement caler la position des députés EPR.
« La raison va l’emporter sur l’amertume », pense François Patriat
Si les députés Renaissance semblent prendre le chemin d’un vote contre l’amendement, au Sénat, la ligne pourrait diverger. Deux assemblées, deux ambiances. « La raison va l’emporter sur l’amertume. Parce qu’effectivement, tous les sénateurs qui ont participé aux 97 heures de débats sur les retraites trouvent difficile d’accepter une suspension. C’est le premier sentiment. Moi-même, sur le coup, ça m’a interrogé », avoue le président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat, François Patriat, qui s’emploie aujourd’hui à « persuader (ses) amis ».
Car « après, en y réfléchissant, il faut regarder les événements depuis », continue le sénateur de Côte-d’Or, qui note que la tension « est retombée », « on va discuter du budget » et « depuis hier, les taux d’intérêt ont rebaissé et la bourse est remontée. Les faits donnent raison au Président et au premier ministre », soutient ce fidèle soutien d’Emmanuel Macron, qui l’a suivi dès le début. Conclusion provisoire de François Patriat : « Je pense que le groupe soutient la démarche. Il y aura peut-être un ou deux qui voteront contre ».
« Chez Horizons, il n’y a pas de débat. On est tous hostiles à la suspension de la réforme des retraites »
Dans cette (ex ?) famille du bloc central, un parti ne fait aucun doute sur l’issue de son vote : ce sont les parlementaires Horizons, le parti d’Edouard Philippe, qui n’en finit plus de prendre ses distances avec le chef de l’Etat. L’ancien premier ministre, qui appelle à la démission d’Emmanuel Macron, a redit jeudi son souhait d’une présidentielle anticipé, estimant qu’il ne « devait rien » au Président. Des sorties jugées « très violentes », au sein du groupe EPR, où l’un de ses membres « ne comprend pas du tout la stratégie », y voyant « une faute électorale ».
Pour les fidèles d’Edouard Philippe, tenant de la retraite à 67 ans, suspendre est une hérésie. « Chez Horizons, il n’y a pas de débat. On est tous hostiles à la suspension de la réforme des retraites. On a la conviction que ce n’est pas la bonne idée. On est unanime. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendant l’a dit, on votera contre », prévient Emmanuel Capus, sénateur Horizons du Maine-et-Loire.
La suspension de la réforme des retraites « sera rejetée par la majorité sénatoriale »
Selon ce soutien d’Edouard Philippe, la Haute assemblée jettera un sort à l’amendement sur la suspension. « Je pense qu’on n’aura pas de difficulté à se mettre d’accord avec les groupes LR et Union centriste, pour rejeter les dispositifs qui ne nous paraissent pas aller dans le bon sens, dont la suspension de la réforme des retraites, évidemment. A mon avis, ce sera rejeté par la majorité sénatoriale », soutient Emmanuel Capus.
La question de « comment gérer la suite des débats à l’Assemblée, mais aussi au Sénat », a justement été évoquée jeudi soir à l’Elysée. « Les sénateurs, qui parlent souvent de leur rôle d’apaisement, ne pourront pas ignorer que le texte de l’Assemblée est un texte de compromis, qui vise à faire bouger les lignes », espère Marie Lebec. Encore faut-il qu’il soit adopté. Et là aussi, avec « le budget Frankenstein » qui risque de sortir de l’Assemblée, ce n’est pas gagné…