Taxe carbone, la fin du monde ou la fin du mois

Taxe carbone, la fin du monde ou la fin du mois

À l’automne 2017, les sénateurs avertissaient Gérald Darmanin : taxer le carburant au nom de l’écologie, sans se soucier du pouvoir d’achat, mènera les Français dans la rue. La révolte des gilets jaunes va leur donner raison. La hausse de la contribution “climat énergie” ou taxe carbone est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère. Entre urgence climatique et fins de mois difficiles, retour sur une taxe qui ne fait pas consensus.  
Public Sénat

Par Fabien Recker

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L’échange remonte au 24 novembre 2017. En plein examen du budget, les sénateurs prennent à partie le ministre des comptes publics : l'augmentation, plus forte que prévue, de la “contribution climat énergie” (ou taxe carbone), décidée par le gouvernement au nom de la transition énergétique, va pénaliser les ménages modestes. Sans qu’il apparaisse clairement aux yeux des Français à quoi sert l’argent de la taxe. “Ce qu’on craint, c’est qu’on donne le sentiment que la nouvelle vache à lait de l’état, c’est la tonne carbone”, s’inquiète le sénateur (RDSE) de Loire-Atlantique Ronan Dantec. Réponse ironique de Gérald Darmanin, qui ne croit ni à la prochaine “jacquerie” fiscale ni à l’avènement de nouveaux “bonnets rouges”... qui seront en fait des “gilets jaunes”.

 

Introduite en 2014, la taxe carbone s’applique aux énergies fossiles que nous consommons dans la vie quotidienne. Son principe : donner un prix au carbone, afin d’inciter ménages et entreprises à se tourner progressivement vers des énergies non-fossiles. En 2015, la loi de transition énergétique fixe une trajectoire pour l’augmentation du prix du carbone à horizon 2030. Les premières années, “les différents gouvernements surfent sur la baisse du prix du pétrole, qui rend indolore la taxe. Bercy empoche le jackpot, ça passe comme une lettre à la poste” explique l’économiste du climat Christian De Perthuis. Jusqu’en 2018. Tandis que sous l’impulsion de Nicolas Hulot, le gouvernement accélère la montée en régime de la taxation du carbone, le cours du pétrole repart à la hausse sur les marchés. L’effet sur le prix à la pompe est immédiat (+21% en un an pour le diesel). De quoi alimenter la grogne de la “France des ronds-points”.

 

Car la taxe carbone additionne les injustices : comme toutes les taxes, elle pèse plus en proportion sur les ménages pauvres que sur les ménages riches. S’appliquant aux carburants, elle frappe d’abord les Français dépendants de la voiture, ceux-là mêmes que le coût du logement a éloignés des centres-villes et des transports en commun, et poussé vers le périurbain et les zones rurales. Enfin, certains secteurs en sont exemptés, comme celui, très émetteur de CO2, du transport aérien. “Vous prenez votre voiture pour aller voir votre grand-mère à l’autre bout de la France, vous payez la taxe carbone. Tandis qu’un ménage aisé qui achète 4 billets d’avion et émet beaucoup plus de CO2 ne la paye pas”, résume Ronan Dantec.

 

Vécue en France comme le parfait exemple de l’écologie punitive, la taxe carbone reste pourtant un moyen efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme le montre le cas suédois. Le royaume scandinave taxe le CO2 à 120 euros/tonne, un record mondial. En une génération, les Suédois ont abandonné le fioul pour se chauffer, au profit du bois ou de la géothermie. Malgré ses hivers rigoureux, la Suède possède aujourd’hui le taux d’émission de CO2 par habitant le plus bas en Europe. Mais cela ne s’est pas fait sans contreparties, notamment une baisse de l’impôt sur le revenu. Surtout, “la mesure a été discutée pendant deux ans et a fait l’objet d’un large consensus au sein des différentes forces politiques et des syndicats en Suède”, souligne Christian De Perthuis.

 

Ce qui n’est pas le cas en France. Le Sénat a pourtant tenté de débattre dans le cadre du projet de loi de finances. Deux années de suite, les sénateurs ont ainsi voté, à l’unanimité, un amendement prévoyant qu’une fraction des recettes des taxes sur les carburants soit reversée aux collectivités locales. En particulier pour les aider à avancer sur un chantier majeur dans la lutte contre les émissions de CO2 : la rénovation thermique des bâtiments. L’habitat représente en effet plus de 40% de nos émissions de gaz à effet de serre. Il génère par ailleurs de nouvelles inégalités en matière de pouvoir d’achat, puisque les “passoires thermiques”, où le chauffage coûte cher, abritent le plus souvent des ménages modestes, donc plus vulnérables face à l’augmentation du prix de l’énergie. La demande du Sénat est cependant restée lettre morte. “Les bras m’en tombent”, affirme le sénateur (LR) de Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson. “Il y a suffisamment de sujets qui nous divisent. Pour une fois qu’on était sur une demande unanime, sur un sujet aussi important! ”

 

La taxe carbone française est désormais bloquée dans sa progression. Devant la levée de boucliers, le gouvernement a émis un moratoire sur la hausse programmée de la “contribution climat énergie”. Ronan Dantec sort la calculette :  “Tout cas parce que l’État n’a pas voulu mettre un ou deux milliards en redistribution, ce sont des dizaines de milliards d’euros qui vont manquer dans les prochaines années. Bravo Bercy, à la fin de l’histoire ça fait quand même un gros trou dans la caisse.” Trois ans après l’accord de Paris, tandis que la France peine à tenir ses engagements en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, s’agit-il d’une occasion manquée pour le climat ?

 

Taxe carbone, la fin du monde ou la fin du mois mardi 5 février à 23:00 sur Public Sénat

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