On pourrait presque appeler cela du spam. Le secrétaire d'État chargé du Numérique, Cédric O, pensait probablement être interrogé par les sénateurs sur la stratégie du gouvernement dans l’émergence de « champions » nationaux ou dans la lutte contre « l'illectronisme » et les fractures numériques. Lors de son audition, ce 22 janvier, devant la commission des Affaires économiques du Sénat, une large partie des parlementaires l’a interrogé sur le gel provisoire de la taxe sur les activités numériques – plus communément connue sous le nom de taxe GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple), quatre figures de proue du secteur à qui Bercy reproche de ne pas contribuer à leur juste part au niveau de l'impôt. Emmanuel Macron en avait fait une promesse.
Faute d’accord international, la France a décidé de prendre les devants (relire notre article) et d’instaurer unilatéralement au 1er janvier 2019 une taxe sur les grandes entreprises du secteur à hauteur de 3 % de leur chiffre d’affaires. En riposte, les États-Unis ont menacé de relever sensiblement les frais de douane sur l’équivalent de 2,4 milliards de dollars de produits français entrant sur leur sol. Hier, la France s’est dite prête à suspendre le prélèvement de la taxe GAFA en 2020.
Bruno Le Maire, « vous savez, le gars qui dit retenez-moi, retenez-moi ! »
« C’est retenez-moi ou je fais un malheur, et à la fin il n’y a plus rien » : Bourquin ironise sur Le Maire
Les sénateurs se sont étonnés de cette inflexion diplomatique, tranchant avec la détermination qui caractérisait les discours du ministre de l’Économie Bruno Le Maire dans ce dossier. « J’avais compris qu’on était le fer de lance », a pointé du doigt la présidente de commission, Sophie Primas (LR). « J’ai l’impression que c’est retenez-moi ou je fais un malheur, et à la fin il n’y a plus rien », a ironisé le socialiste Martial Bourquin. « Vous savez le gars qui dit retenez-moi, retenez-moi ! » « Est-ce une fake news ou la réalité d’un renoncement de monsieur Le Maire », a renchéri le sénateur LR Laurent Duplomb.
Cédric O a parlé d’une mesure pour témoigner « la bonne volonté » de la France. « Ce qui a été annoncé, c’est que l’acompte, qui doit arriver en avril 2020, ne serait pas versé par les GAFA, dans l’attente de voir si nous arrivons à trouver une solution à l’OCDE d’ici la fin de l’année. » L’idée du gouvernement est donc de prolonger les négociations et de laisser une chance à l’émergence d’un compromis. Washington n’a accepté de relancer ces pourparlers au sein de l’organisation international qu'il y a un an seulement, après des années de blocage.
Cédric O l’assure : « On prendra tout en fin d’année 2020 s’il le faut »
Mais ce moratoire ne remet pas en cause le versement de la taxe, selon le secrétaire d’État. « On prendra tout en fin d’année 2020 s’il le faut, mais on ne prendra pas l’acompte […] C’est juste une question d’acompte ! » La réponse n’a pas convaincu Martial Bourquin. « Ça ressemble un peu à un déballonnage ! »
Dans ce « tango », Cédric O a considéré qu’il était préférable de ne pas arrêter la danse « tout de suite », et de faire un pas vers les États-Unis. Une façon d’éviter des « invectives » ou des « mesures de rétorsion » immédiates.
Même au sein de l’Union européenne, la France n’a pas que des alliés, certains États comme l’Irlande ou la Finlande s’y opposant catégoriquement. Si l’Italie ou l’Autriche expriment la volonté d’imiter la France, une solution européenne resterait néanmoins très insatisfaisante. « Le mieux, ça reste que l’on trouve une solution au niveau de l’OCDE », a insisté Cédric O, affirmant qu’il « y a des choses sur la table ». Dans l’attente, « la taxe française s’appliquera », selon lui. En 2019, celle-ci a bien été « recouvrée ».
« On a été un peu surpris de cette annonce [...] après des mois et des mois d'un volontarisme extrêmement affiché de la part de Bruno Le Maire »
Interrogée sur notre antenne après l’audition, la présidente de la commission des Affaires économiques, Sophie Primas, a affirmé les sénateurs étaient « un petit peu surpris de cette annonce » hier dans la presse, « après des mois d’un volontarisme extrêmement affiché de la part de Bruno Le Maire ». Sa commission sera « vigilante » sur le recouvrement de la taxe.
Suspension de la taxe Gafa : les sénateurs « un petit peu surpris de cette annonce » (Sophie Primas)