Taxe Zucman : après les députés, les sénateurs écologistes à l’offensive sur le projet d’impôt de 2 % sur la fortune des plus riches
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Taxe Zucman : après les députés, les sénateurs écologistes à l’offensive sur le projet d’impôt de 2 % sur la fortune des plus riches

La proposition de loi des députés écologistes, adoptée en février à l’Assemblée nationale, sera inscrite dans le prochain espace réservé de leurs homologues sénateurs. Inspiré des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, le texte instaure un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des « ultra-riches ». Ses chances d’adoption au Sénat sont très minces, mais ses partisans espèrent convaincre.
Guillaume Jacquot

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C’est le deuxième acte pour la proposition de « taxe Zucman » au Parlement. Après son adoption surprise à l’Assemblée nationale le 20 février (par 116 voix contre 39), la proposition de loi fiscale du groupe écologiste et sociale fait route vers le Sénat. Comme leurs collègues députés, les sénateurs écologistes vont utiliser leur prochaine niche parlementaire pour inscrire le texte à l’ordre du jour. Les débats auront donc lieu le 12 juin prochain, a annoncé le groupe écologiste, solidarité et territoires (GEST), ce jeudi.

Inspirée par les travaux de l’économiste Gabriel Zucman, la proposition de loi d’Éva Sas et de Clémentine Autain pose le principe d’un impôt plancher sur la fortune (IPF) équivalent à 2 % du patrimoine. Le texte vise les patrimoines de plus de 100 millions euros, soit jusqu’à 4 000 contribuables potentiellement, c’est-à-dire 0,01 %. Cette mesure pourrait générer entre 15 et 25 milliards de recettes supplémentaires dans le budget de l’État, selon les auteurs du texte.

Seraient redevables de cet IPF ceux qui ne s’acquittent pas déjà – à travers l’impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, et l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) – d’un montant d’impôt égal à 2 % de leur patrimoine.

Le texte est présenté comme une réponse aux mécanismes d’optimisation, qui diminuent le taux d’impôt effectif des foyers les plus fortunés. Selon une note de l’Institut des politiques publiques, celui payé les 0,1 % des foyers contribuables fortunés diminue plus le revenu est élevé dans cette catégorie, passant de 46 % à l’entrée de celle-ci à 26 % pour les 75 foyers les plus aisés.

« Notre objectif, c’est de mettre en lumière l’éléphant dans la pièce », déclare Thomas Dossus (écologiste)

« Cette situation n’est plus tenable ni entendable pour l’extrême majorité de nos compatriotes qui eux payent dûment leurs impôts », dénoncent les sénateurs écologistes, qui appellent le Sénat à adopter la proposition de loi. « Notre objectif, c’est de mettre en lumière l’éléphant dans la pièce. On peut au moins mener ce débat », résume Thomas Dossus, sénateur écologiste qui siège au sein de la commission des finances.

La perspective d’une hausse des dépenses militaires rend d’autant plus nécessaire cet impôt plancher, selon lui. « Ne serait-ce que pour augmenter l’effort de défense ou la transition écologique, il faut faire contribuer ceux qui payent le moins d’impôts en proportion », insiste le sénateur du Rhône.

La voie de passage au Sénat, dominé par une majorité de droite et du centre attachée à une certaine stabilité fiscale, est particulièrement étroite. À l’Assemblée nationale, la proposition de loi était passée à la faveur de l’abstention du Rassemblement national et d’une faible mobilisation des députés favorables au gouvernement. Le groupe LR avait appelé à voter contre, ce qui donne un indice assez élevé sur la position future de la droite sénatoriale. « Cette proposition de loi est en contradiction avec les intérêts du pays, qui sont d’améliorer sa compétitivité et son attractivité. La France a besoin de tout sauf d’un nouvel impôt », avait estimé le député LR d’Eure-et-Loir Thierry Liger.

« À l’Assemblée nationale, ce n’était pas gagné non plus, et il a fallu que la société civile s’en empare », rappelle toutefois Thomas Dossus, qui demeure convaincu que l’objectif d’une lutte contre l’optimisation fiscale peut réunir une majorité de voix. L’écologiste espère en particulier convaincre les sénateurs de l’Union centriste, qui ont souvent porté des propositions de justice fiscale ces dernières années. « On a vu que les centristes voulaient s’y attaquer parfois. On participe d’une forme d’évitement de l’impôt par les plus riches », considère Thomas Dossus.

« On ne peut pas voir l’ISF réinstauré d’une manière ou d’une autre », réagit Michel Canévet (Union centriste)

Pour que le texte soit adopté en première lecture, il faudrait que la centaine de sénateurs de gauche soit rejointe par 75 autres sénateurs pour aboutir à une majorité. La marche est très haute. « Il n’y a pas trop de suspense sur le sort qui devrait être réservé au texte », anticipe le sénateur (Union centriste) Michel Canévet. « Il faut un peu de stabilité fiscale. Ce texte vise de manière déguisée à réinstaurer un impôt sur la fortune, qui avait été supprimé en 2017 avec l’assentiment du Sénat. On ne peut pas voir réinstauré l’ISF, d’une manière ou d’une autre », ajoute le sénateur du Finistère.

Pour ce parlementaire vice-président de la délégation aux entreprises, le message serait négatif pour l’attractivité économique et la création d’entreprises. « En termes de patrimoine, il faut faire en sorte que l’outil de travail ne soit pas pénalisé », insiste-t-il. « Je ne pense pas qu’on amendera ce texte, je verrais plutôt un rejet direct », se projette-t-il.

« Le but n’est pas de créer de nouveaux impôts », déclarait cette semaine la ministre des Comptes publics

La gauche n’est pas la seule à demander une disposition combattant l’optimisation fiscale. Après avoir introduit une « contribution différentielle » sur les plus hauts revenus dans la loi de finances, le gouvernement prépare lui aussi depuis le début de l’année une taxe anti-optimisation fiscale.

Le principe serait celui d’un « impôt minimal différentiel », pour s’assurer que la somme des impôts payés soit au moins égale à 0,5 % du patrimoine, en excluant les biens professionnels (relire notre article).

À l’Assemblée nationale, le gouvernement a lui aussi affiché sa ferme opposition à la proposition de loi écologiste. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, avait estimé la disposition « confiscatoire et inefficace ». Elle « ferait immédiatement partir les milliers de foyers et avec eux les capitaux à l’étranger », a-t-elle estimé. Le texte des députés prévoit un mécanisme pour que les biens des 0,01 % les plus riches continuent d’être imposables pendant les cinq années suivant leur départ de France.

Cette semaine, en audition devant la commission des finances, la ministre a rappelé la boussole du gouvernement au sujet de la justice fiscale : « On veut s’assurer que les impôts qui existent, le prélèvement forfaitaire unique, l’impôt sur le revenu, l’IFI, soient bien payés par tous. Le but n’est pas de créer de nouveaux impôts, de créer une fiscalité sur le patrimoine qui tomberait du ciel. »

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