Télétravail : le Sénat se penche sur cette « révolution culturelle »

Télétravail : le Sénat se penche sur cette « révolution culturelle »

La délégation sénatoriale à la prospective publie ce jeudi un rapport sur la « révolution du travail à distance » imposée par la crise sanitaire. Si le rapport pointe de futures pistes d’encadrement des risques soulevés par le télétravail, il montre également comment celui-ci peut être une opportunité pour les salariés, mais aussi pour l’aménagement du territoire.
Louis Mollier-Sabet

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C’est un exercice un peu particulier auquel s’est pliée la délégation sénatoriale à la prospective, comme l’ont répété à plusieurs reprises Cécile Cukierman, Céline Boulay-Espéronnier et Stéphane Sautarel, durant leur présentation d’un rapport sénatorial sur le télétravail. « Le but était de se projeter, d’essayer de voir jusqu’où pouvaient aller certaines incidences sur plusieurs années pour repenser cet enjeu », explique ainsi Cécile Cukierman, l’une des rapporteurs. L’heure des évolutions législatives pour encadrer cette « révolution culturelle imposée » viendra, mais « on ne légifère pas dans l’urgence » d’une telle crise, affirme la sénatrice communiste de la Loire. « Nous sommes à la prospective, mais nous ne lisons pas dans les marcs de café, ironise-t-elle, on est sur des tendances, nous verrons comment elles vont se stabiliser. »

Entre 30 et 50 % des actifs concernés par le télétravail en 2050

La première tendance à étudier, c’est tout simplement celle de la plus ou moins grande généralisation du télétravail en France. L’économiste Gilbert Cette l’avait affirmé pendant les auditions menées par la délégation sénatoriale à la prospective, « on ne reviendra pas au monde d’avant » sur le télétravail. Si le rapport rappelle bien que, par définition, le télétravail ne peut être généralisé à l’ensemble des actifs et qu’il concerne « essentiellement les cadres », la « révolution » est massive dans un pays qui « n’était pas en pointe sur ces questions » avant la crise sanitaire. Les sénateurs estiment que de 7 % de télétravailleurs réguliers ou occasionnels, on devrait passer à entre 30 et 50 % des actifs concernés par le télétravail en 2050, d’un jour par semaine travaillé à distance au télétravail complet.

» Lire aussi : Télétravail : « On ne reviendra pas au monde d’avant » estime l’économiste Gilbert Cette

Les sénateurs disent comprendre « l’appétence de plus en plus de salariés » pour le télétravail, qui y voient une « opportunité de quitter les grandes agglomérations pour avoir une meilleure qualité de vie tout en continuant à exercer leur travail » d’après Céline Boulay-Espéronnier. La sénatrice LR de Paris cite aussi la réduction des coûts et du temps de transport, ainsi qu’un potentiel meilleur équilibre entre vie personnelle et vie privée. Mais le revers de la médaille, ce sont de nouveaux risques psychosociaux, comme l’isolement, la perte de motivation, ou la déshumanisation des relations de travail. Le télétravail peut ainsi brouiller la frontière entre vie personnelle et professionnelle. C’est pourquoi, d’après Cécile Cukierman, « certains salariés sont très demandeurs et d’autres au contraire très récalcitrants », notamment en fonction des conditions matérielles dans lesquelles ce télétravail est exercé. Difficile de tirer des conclusions définitives d’après les deux rapporteures, qui expliquent que si les employeurs doivent prendre en charge les conditions matérielles d’exercice du télétravail, cela dépend aussi « du rapport au travail de chacun. »

« Cette révolution culturelle ne doit pas être que métropolitaine »

Difficile aussi pour cette raison de fixer une réglementation nationale du télétravail. L’enjeu d’organisation est donc principalement interne aux entreprises et pose de vraies questions de management, comme l’explique la sénatrice Boulay-Espéronnier : « En présentiel, un manager peut voir des problèmes d’organisation. La relation avec les salariés peut se dégrader en télétravail total. » Ainsi le rapport plaide pour une négociation interne à l’entreprise de l’organisation du télétravail, autant pour l’adapter aux envies des salariés que pour s’assurer de son efficacité économique. « Les gains de productivité sont intimement liés à l’organisation du télétravail et au volontariat des salariés », précise Céline Boulay-Espéronnier.

Toutefois, la délégation sénatoriale à la prospective n’entend pas non plus laisser le télétravail se développer de façon totalement anarchique. Cécile Cukierman plaide notamment pour que « les élus locaux se saisissent du télétravail en tant qu’aménageur du territoire » pour que « cette révolution culturelle ne soit pas que métropolitaine. » Le rapport essaye de considérer cette « révolution » du télétravail comme une « opportunité de relocalisation et d’aménagement du territoire », notamment pour les « villes moyennes dotées d’un bon niveau de services et disposant d’infrastructures de transports bien connectées. » Ainsi, les sénateurs appellent à réfléchir à des politiques d’incitations fiscales pour que des entreprises installent des tiers lieux de télétravail dans certains endroits plus périphériques. D’après Cécile Cukierman, c’est une solution qui pourrait être amenée à se développer avec l’explosion des prix de l’immobilier dans les grandes métropoles : « Un tiers lieu dans une ville moyenne est beaucoup plus rentable que quelques m² à la Défense », résume la sénatrice communiste.

On le voit, du désir de télétravail de certains salariés « émergent d’autres réflexions », concernant notre modèle économique et d’aménagement du territoire notamment, dont le législateur devrait se saisir « dans les prochaines années. »

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