Le sujet passe un peu inaperçu dans le contexte actuel et pourtant la question Corse pourrait bien s’inviter dans la campagne présidentielle.
L’étincelle, l’agression d’Yvan Colonna la semaine dernière par un codétenu a fait rejaillir dans les rues de l’île les revendications indépendantistes. Mercredi soir, la colère est montée d’un cran avec des départs de feu dans le palais de justice d’Ajaccio, et quatorze personnes ont été blessées dans des heurts entre manifestants et forces de l’ordre.
Le rapprochement des prisonniers corses, c’est politiquement compliqué à assumer »
Rappelons que le statut de « détenu particulièrement surveillé » (DPS) qui avait empêché Yvan Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Erignac en 1998, d’être « rapproché » en Corse, a été levé par Jean Castex mardi soir.
Le rapprochement des prisonniers corses est une revendication de longue date des nationalistes. Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, les deux autres membres du « commando Erignac » le réclament. « Mais ce serait faire une grosse concession aux nationalistes. C’est politiquement compliqué à assumer. On parle de deux personnes qui ont tué un préfet. De plus, la prison de Borgo ne dispose pas d’un niveau de sécurité suffisant pour les accueillir », souligne Benjamin Morel maître de conférences en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
D’autant qu’en 2019, à lors d’un grand débat national, le chef de l’Etat, en déplacement sur l’île, avait appelé « ceux qui défendent l’identité corse à faire « un travail mémoriel » et exprimer des « regrets » sur l’assassinat du préfet Claude Erignac.
« Autonomie de plein droit, juridiquement ça ne veut pas dire grand-chose »
La réponse aux revendications nationalistes pourrait-elle donc être institutionnelle ? Selon le Canard enchaîné, l’agression d’Ivan Colonna aurait eu pour effet de faire capoter un accord entre Emmanuel Macron et Gilles Simeoni, le président de la collectivité territoriale de Corse. En échange, du rapatriement des prisonniers corses à Borgo et « d’une autonomie de plein droit » du territoire insulaire, le leader nationaliste se serait engagé à soutenir le chef de l’Etat sortant, au moins au second tour de la présidentielle.
« Autonomie de plein droit, juridiquement ça ne veut pas dire grand-chose. On ne peut pas aller vers plus d’autonomie de la Corse sans réviser la Constitution. Mais il faut savoir de quoi, on parle. Si cela veut dire confier à la collectivité des compétences qui relèvent du législateur, vous brisez l’unité de la République et vous faites de la France un État fédéral. Il y a bien sûr l’exemple de la Nouvelle Calédonie et de la Polynésie qui ont leur monnaie, le franc pacifique, qui peuvent conclure des traités bilatéraux sans le droit de regard de Paris. Mais pour la Nouvelle Calédonie, il s’agit d’un statut transitoire qui rentre dans le cadre d’un processus de décolonisation », rappelle Benjamin Morel.
« Pour la plupart des gens qui ont voté nationaliste, il y a eu une désillusion »
« En Corse, l’indépendantisme attire plus que l’autonomie », rappelle Thierry Dominici, politologue spécialiste des mouvements nationalistes. « A la tête d’Assemblée de Corse jusqu’en 2021, Jean-Guy Talamoni n’a, en quelque sorte, pas pu libérer son parti Corsica Libera, en ne parlant que d’autonomie et plus d’indépendance. Pour la plupart des gens qui ont voté nationaliste, il y a eu une désillusion. La violence dans les rues est, pour certains, le seul moyen de se faire entendre. Pour sortir du conflit, le gouvernement doit rentrer dans une démarche de conciliation avec la collectivité et ne plus intervenir uniquement par l’intermédiaire de l’Etat déconcentré, c’est-à-dire le préfet. Cette façon de traiter le conflit donne le sentiment à la population d’être méprisée ».
Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, Marie-Antoinette Maupertuis (présidente de l’Assemblée de Corse dénonce également le « mépris des institutions de la Corse ». « Pourquoi, depuis des mois et des années, les gouvernements successifs ne donnent-ils pas de réponse aux demandes d’adaptation législative ou réglementaire, opportunité pourtant prévue par le statut particulier de la Corse, qui permettrait d’adapter les textes en vigueur aux contraintes géographiques, sociales et économiques de l’île et de construire ainsi une stratégie de développement durable et apaisé ? Le droit, là encore, n’est pas appliqué ».
La loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République du 7 août 2015 fait, en effet, de la Corse une collectivité à statut particulier.
Régions de France demande pour la Corse un statut « d’autonomie renforcée dans la République »
Il y a quelques semaines, l’association, Régions de France dont fait partie Gilles Simeoni présentait son livre blanc de la décentralisation au sein duquel, on retrouve la demande d’un « statut d’autonomie renforcée dans la République » de la Corse. Un statut qui serait « défini par une loi organique adoptée après avis de l’Assemblée de Corse ». Il prévoit « le transfert de compétences dans certaines matières avec pouvoir normatif de nature législative ou quasi législative au bénéfice de la Collectivité de Corse, les compétences régaliennes demeurant du ressort de l’État ». « Il s’agit de l’un des enjeux majeurs de la prochaine mandature présidentielle », avait affirmé le président autonomiste du conseil exécutif corse.
« Je ne vois pas vraiment ce qu’est un statut d’autonomie renforcée dans une République une et indivisible », s’interroge Françoise Gatel, présidente (centriste) de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. « Conformément au principe de différenciation auquel le Sénat est très attaché, des collectivités, en fonction de leur spécificité ou de leur position géographique, peuvent voir leurs compétences renforcées. La République une et indivisible ne veut pas dire uniformité des territoires. Mais attention aux mots que nous utilisons qui selon les partenaires n’ont pas le même sens », souligne-t-elle.
Benjamin Morel a lui une explication « politique » du choix de l’expression « autonomie renforcée ». « Carole Delga (présidente PS de la région Occitanie) a été élue à la tête de Régions de France grâce au vote de Gilles Simeoni et en échange d’un accord sur le statut de l’île », rappelle-t-il.
La question de la Corse dans la Constitution avait compliqué le début de quinquennat d’Emmanuel Macron. En 2018, un projet de révision constitutionnelle avait déçu le tandem à la tête de l’exécutif corse, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni. Il reconnaissait des « spécificités » à la Corse, tant insulaires et géographiques qu’économiques ou sociales. Il ouvrait la voie à des « dérogations » dans un cadre prévu par une future loi organique, tout en prenant soin de ne pas faire mention « autonomie ».