On dit qu’il y a des couples qui vivent dans le conflit, qui en devient presque un moteur, du moins un mode de fonctionnement. Les relations entre les LR et le bloc central en est peut-être l’exemple. Car les épisodes se suivent, et se ressemblent, dans la vie trépidante du socle commun. La coalition de circonstance formée par l’ex-majorité présidentielle (Renaissance, Modem, Horizons) et les LR, qui fait tant bien que mal office de majorité pour le gouvernement de François Bayrou, continue de vivre sous tension, au gré des couacs et psychodrames successifs.
Derniers en date : l’examen de la proposition de loi du sénateur LR Gremillet sur l’énergie, qui porte la relance du nucléaire, et l’échec de la CMP (commission mixte paritaire) sur le texte PLM (Paris Lyon Marseille). Sur le texte Gremillet, en séance, un amendement d’un député LR, instituant un moratoire sur toute nouvelle installation éolienne et photovoltaïque, a été adopté grâce aux voix du RN, profitant aussi d’une faible mobilisation des groupes macronistes et de la gauche.
Dans le groupe EPR (Ensemble pour la République, où siègent les élus Renaissance) de Gabriel Attal, c’est encore le coup de trop. « Le socle commun aujourd’hui est plutôt entre le RN et LR avec un trait d’union qui s’appelle l’UDR (le groupe d’Eric Ciotti, ndlr), plutôt qu’avec Ensemble pour la République. Il y a plus de choses qui nous séparent avec Les Républicains, que de choses qui nous rassemblent », lâche vendredi sur l’antenne de Public Sénat/LCP-AN, dans Parlement Hebdo, le député Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade.
« Quand Certains partenaires du socle commun viennent dans l’hémicycle, ce n’est pas pour être en renfort du socle, mais pour se mettre en renfort du RN et de l’UDR », dénonce Prisca Thevenot
Une autre députée du groupe, l’ex-porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, a aussi la dent dure contre ses « alliés » LR. « J’ai envie de rappeler simplement que s’il y a des centaines de milliers de Français qui, lors des dernières législatives, ont mis un bulletin pour LR, ce n’est pas pour que les députés aillent demain faire des alliances avec le RN. C’était pour voter pour une droite républicaine et pas soumise au RN », lâche ce mardi la députée des Hauts-de-Seine. Cette proche de Gabriel Attal continue : « Plus qu’un socle commun, nous avons un point commun, c’est de garantir la stabilité du pays et de garantir la durabilité du gouvernement. En dehors de ça, on va être très clairs : sur les enjeux européens, progressistes, pro-libéral pour l’économie, on est un peu seuls sur ces sujets-là, dans la majorité. On l’a vu lors du texte sur l’énergie, quand certains partenaires du socle commun viennent dans l’hémicycle, ce n’est pas pour être en renfort du socle, mais pour se mettre en renfort du RN et de l’UDR ».
Résultat, les groupes EPR, Modem et Horizons ont rejeté le texte, ce mardi, qu’ils jugent dénaturé. « Nous avons un problème : il y a des gens au sein des forces qui soutiennent le gouvernement qui donnent l’impression de ne pas prendre leur part de responsabilité. Le socle gouvernemental, c’est 200 voix mais quand 40 à 50 députés au sein de ce bloc votent contre vous et que le scrutin est perdu à quelques voix, cela démotive », a dénoncé dans Les Echos l’ancien ministre Marc Fesneau, président du groupe Modem de l’Assemblée.
« Les LR, c’est 50 nuances de droite »
Hors micro, certains se lâchent et ne cachent pas leur exaspération. « Les LR, c’est 50 nuances de droite », « il n’y a pas de colonne vertébrale », raille un parlementaire Renaissance, qui pointe une faible mobilisation en séance, notamment sur l’énergie, avec une certaine versatilité : « Ils ne sont jamais présents les LR. Et le matin, celle qui est là vote pour l’augmentation des capacités de production des énergies renouvelables. Et le soir, elle vote contre avec trois autres… »
Chez les macronistes, on aimerait voir les LR être un partenaire plus vertueux. « On ne peut pas être les seuls garde-fous quand on est entouré de folie parlementaire en permanence. La responsabilité se partage, et pas seulement pour avoir des postes », lâche-t-on…
Autre sujet de crispation : le texte PLM, censé réviser le mode de scrutin pour les municipales dans les trois grandes villes. Pour le Sénat, c’est un grand « non », alors que François Bayrou entend avancer sur cette proposition de loi d’origine Renaissance. Dans ces conditions, la CMP, ce mardi matin, a fait long feu : 15 minutes, échec compris (lire notre article pour plus de détails).
Texte énergies : « Les députés EPR auraient pu se mobiliser pour défendre le juste équilibre trouvé par la majorité sénatoriale »
« C’est évident qu’on a là quelques difficultés qui s’accumulent qui sont dues en partie à l’absence de projet de loi porté par le gouvernement. On mesure les difficultés de ce socle commun avec un gouvernement qui hésite beaucoup à porter des textes », réagit, à la sortie de la réunion de son groupe, ce mardi, le sénateur Max Brisson, porte-parole du groupe LR.
Mais il s’étonne des propos de Pieyre-Alexandre Anglade. « Plutôt que faire ce genre de déclaration à l’emporte-pièce, qui est facile, les députés EPR auraient pu se mobiliser pour défendre le juste équilibre trouvé par la majorité sénatoriale », pointe le sénateur des Pyrénées-Atlantiques. Car pour compliquer les choses, les sénateurs LR dénoncent aussi le moratoire, voulu par les députés LR… « Le moratoire était absurde, car il met en danger le texte », qui porte aussi la question du nucléaire, souligne Max Brisson. Dominique Estrosi Sassone, présidente LR de la commission des affaires économies du Sénat, également « contre le moratoire », regrette cependant le rejet de l’ensemble du texte. Car « si le texte avait été voté, au Sénat, nous aurions les moyens de faire bouger les choses », lors du retour du texte, souligne l’élue des Alpes-Maritimes.
« Est-il nécessaire de passer en force sur la proportionnelle ? Est-il urgent de passer en force sur PLM ? »
Reste que les sénateurs LR sont échaudés. « Que EPR soit en colère sur certains sujets, je veux bien. Mais est-il nécessaire de passer en force sur la proportionnelle ? Est-il urgent de passer en force sur PLM ? », demande Max Brisson. « Sur le texte PLM, on va avoir un passage en force à l’Assemblée », regrette aussi Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord, « mais avant de passer en force, on discute ». Il ajoute :
« Ça commence à faire beaucoup », mais « on peut avaler quelques couleuvres, bon an mal an »
Pour le socle commun, « c’est sûr que ça commence à faire beaucoup », constate Dominique Estrosi Sassone. Mais elle ne croit pas pour autant à une explosion en vol du socle. Du moins pas maintenant. « De là à ce que ça fasse tout dérailler maintenant, je ne suis pas sûre. La véritable heure de vérité, ce sera à l’automne, avec le budget », pense la présidente de la commission des affaires économiques, qui ajoute : « D’ici là, on peut avaler quelques couleuvres, bon an mal an. C’est l’esprit de responsabilité, j’espère, qui prévaudra ».
« Pour moi, c’est un épiphénomène. Et le gros des discussions sera sur le budget. Et on a dit qu’il ne faut pas d’impôts supplémentaires et l’Etat doit se serrer la ceinture avant de demander de l’argent aux Français ou de demander aux collectivités un nouvel effort », confirme Marc-Philippe Daubresse.
Chez Renaissance, on entend aussi faire redescendre la pression. « Le bloc central est en fait un bloc qui a vocation à créer la stabilité du pays. LR n’a pas intérêt à ce que cette démarche-là s’arrête, car c’est grâce à ça qu’ils sont aux responsabilités. Il ne faut pas qu’ils s’amusent à scier la branche sur laquelle ils sont assis. Il ne faut pas trop penser à 2027, qu’on ne réussira pas si on n’arrive pas à faire des choses pour le pays d’ici là », prévient Prisca Thévenot.
« Ils sont tenus les uns par les autres. Le coût du bordel est trop élevé pour tous »
A l’Elysée, pendant que les esprits s’échauffent au Parlement, on regarde ces événements avec une certaine distance. « La culture de compromis, ce n’est vraiment pas un long fleuve tranquille. C’est heurté. Mais je ne sais pas si c’est plus violent qu’il y a trois mois, au moment de l’acmé de la campagne LR avec Laurent Wauquiez qui se déchaînait pour se démarquer », tempère un proche d’Emmanuel Macron, qui pense qu’« il y a une lassitude des gens sur ces jeux politiciens. Beaucoup ont décroché sur ces sujets parlementaires ».
Et si la survie du gouvernement n’est pas certaine à moyen terme, il devrait dans l’immédiat passer l’été, du moins tenir encore et profiter d’une très relative stabilité. D’autant que le RN dit pour le moment ne pas vouloir voter la motion de censure que va déposer le groupe PS sur les retraites. « Ils sont tenus les uns par les autres. Le coût du bordel est trop élevé pour tous », pense cet habitué de l’Elysée. Jusqu’au moment où le bordel deviendra nécessaire, autrement dit, quand les présidentiables voudront vraiment reprendre leur liberté.