Jeudi, alors que le chef de l’Etat était à Marseille avec son nouveau ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, un article publié dans l’Opinion a quelque peu détourné l’objet de la visite qui portait sur l’expérimentation de « l’école du futur ».
« L’école face à l’épidémie de tenues islamiques », titre le journal. L’article en question rapporte que des abayas pour les filles (robe traditionnelle noire) et kamis pour les garçons (tunique musulmane) « ont fait leur apparition ces derniers mois aux portes de plusieurs lycées ». « Du prosélytisme affirmé » que les renseignements territoriaux ont fait remonter au ministère de l’Intérieur. Le dossier « pourrait servir d’examen de passage au nouveau ministre », veut croire l’Opinion.
« La loi est très claire »
Mais c’est bien Emmanuel Macron et non Pap Ndiaye qui a réagi hier. « La loi est très claire : pour tous les élèves dans nos écoles, il n’y a pas de signes religieux, quels qu’ils soient », a rappelé le chef de l’Etat avant de préciser que son gouvernement était en « situation […] de mesurer […] ces informations ».
La loi en question est celle du 15 mars 2004. Le texte interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les écoles, collèges et lycées publics. Une circulaire précise par ailleurs que les signes visés sont « le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa, ou une croix de taille manifestement excessive ». Les signes religieux discrets demeurent toutefois autorisés.
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« Les enseignants nous disent que cette loi fait consensus et que les choses sont apaisées depuis son entrée en vigueur », rapporte Pierre Ouzoulias, vice-président communiste de la commission de la culture et de l’éducation en glissant une pique à l’exécutif au lendemain de sa présentation de « l’école du futur ». « On ne peut pas défendre une école laïque et Républicaine et par ailleurs organiser son démantèlement néolibéral ».
« Ses prises de position passées sèment le doute. Il doit le lever »
Au sein de la droite sénatoriale, le silence du locataire de la rue de Varenne inquiète. Sur Twitter, le patron des sénateurs LR appelle le ministre à s’exprimer sur « cette grave entorse à la laïcité ».
Contacté par publicsenat.fr, le sénateur de Vendée développe. « Nous ne sommes pas face à une mode vestimentaire mais face à la pression de l’islam politique. Il y a un doute sur l’orientation que Pap Ndiaye entend donner à son ministère. Par le passé, il s’est montré plus proche du modèle américain communautariste que du modèle français républicain ».
« Il faut qu’il ait un discours aussi ferme que son prédécesseur sur le respect de la laïcité. Ses prises de position passées sèment le doute. Il doit le lever », appuie le vice-président de la commission de la culture et de l’éducation, Max Brisson (LR).
Max Brisson demande au ministère de communiquer rapidement des chiffres « sur l’ampleur de ce phénomène qui même s’il est marginal, est inacceptable. L’école est le seul service public qui impose la neutralité religieuse aux usagers afin de protéger les enfants des querelles des hommes comme l’expliquait Jean Zay ».
« C’est une revendication islamiste et politique à laquelle il va falloir poser une limite »
Ce phénomène semble récent car l’année dernière lors de l’examen du projet de loi séparatisme, les vêtements des élèves n’avaient pas été au centre de l’attention de la Haute assemblée. « On s’était plutôt concentrés sur le port du voile des accompagnatrices scolaires. Nous avons eu le voile, le halal dans les cantines, le burkini et maintenant les vêtements, c’est une revendication religieuse, islamiste et politique à laquelle il va falloir poser une limite. Il va falloir que le ministre s’exprime. Nous avons besoin d’une colonne vertébrale, de l’expression d’une volonté politique afin de savoir si la définition de la loi donnée par le président de la République a été comprise de tous », la sénatrice LR, Jacqueline Eustache Brinio, rapporteure du projet de loi séparatisme.
935 atteintes à la laïcité relevées en 2019.
En février 2021, en préparation de l’examen du projet de loi séparatisme, le Sénat avait auditionné, Dominique Schnapper la présidente du conseil des Sages de la laïcité, une instance mise en place par Jean-Michel Blanquer, en charge d’apporter une réponse aux différentes atteintes à la laïcité relevées dans les établissements. La sociologue avait relativisé les données quantitatives des atteintes à la laïcité comptabilisées au sein de l’Education nationale. 935 avaient été relevées en 2019. « Comment sont faits ces chiffres ? Ils supposent que le professeur accepte de les signaler. Que son chef d’établissement accepte de les signaler à l’inspecteur. Que l’inspecteur accepte de les signaler au rectorat, qui lui, les signale au ministère de l’Education nationale […] Quand les professeurs sont découragés, ils ne signalent plus ».
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« Pap Ndiaye ne doit pas attendre la fin des législatives pour donner des consignes aux chefs d’établissement »
Bruno Retailleau dénonce « l’ambiguïté du macronisme » sur ces questions. « On l’a vu avec l’affaire du burkini à Grenoble. Gérald Darmanin a donné pour consigne au préfet de saisir le tribunal administratif qui a suspendu l’arrêté pris par le maire. Mais le même Gérald Darmanin s’est opposé à ce qu’on inscrive dans la loi l’interdiction du Burkini au motif qu’il fallait préserver la liberté des élus locaux. C’est quand même paradoxal ». Bruno Retailleau lie aussi le silence du ministre au contexte électoral. « Emmanuel Macron veut placer la France sous chloroforme. Ça marche par temps calme mais l’actualité a bousculé son agenda. La France a un gouvernement mais n’est pas gouvernée. Pap Ndiaye ne doit pas attendre la fin des législatives pour donner des consignes aux chefs d’établissement ».
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« On ne connaît pas la méthode appliquée dans cette enquête »
De l’autre côté de l’hémicycle, Pierre Ouzoulias est plus circonspect. « Ce qui m’embête c’est qu’on ne connaît pas la méthode appliquée dans cette enquête. Il y a un ou deux ans, lorsque Jean-Michel Blanquer a évoqué un problème de laïcité, une enquête de la Cnesco (le Centre national d’étude des systèmes scolaires) a montré par une méthode statistique rigoureuse qu’au contraire, la laïcité progressait dans les établissements scolaires », se souvient-il. L’élu des Hauts-de-Seine rejoint ses collègues de droite sur ce point. Le ministère va devoir s’exprimer rapidement sur ce phénomène réel ou supposé des tenues islamiques à l’école. Probablement lors de la première audition du ministre, Pap Ndiaye devant la commission de la culture et de l’Education de la chambre haute, prévue dans les prochaines semaines.
« Des auditions, nous en avons eu des dizaines ces dernières années. J’attends de Pap Ndiaye des actes : une ligne intransigeante face à la pression de l’islam politique. La lutte contre le terrorisme islamique ne se fait pas uniquement par les services de renseignements. Il faut aussi lutter contre le djihadisme d’atmosphère. Ne rien laisser passer car les djihadistes nous testent », insiste Bruno Retailleau.