Le couperet attendu est tombé dimanche soir. L’Allemagne a annoncé restreindre les passages à sa frontière en provenance de France après avoir classé le département de Moselle en zone covid-19 à haut risque. La fermeture de la frontière comme avec la République tchèque et l’Autriche a été évitée, au profit d’un test PCR ou antigénique obligatoire datant de 48 heures et d’une déclaration électronique pour entrer sur le territoire allemand. Les transports collectifs transfrontaliers seront également « interrompus » mais il n’y aura pas de contrôles de douane permanents : les contrôles policiers seront aléatoires et à l’intérieur du territoire allemand dans la zone frontalière. La décision était redoutée depuis plusieurs semaines dans le département, compte tenu de la part importante de variant sud-africain (60 %) dans les contaminations.
Côté français, le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes Clément Beaune a dans la foulée « regretté » la décision allemande. « Elle implique un certain nombre de ralentissements, de difficultés aux frontières pour non pas des mouvements touristiques, mais de travail », a-t-il commenté sur France Inter, ajoutant que le pire scénario - la fermeture de la frontière - a « été évité ».
Invité de la matinale de Public Sénat, « Bonjour chez vous », le patron de LREM Stanislas Guérini, a lui aussi fait part de son agacement tout en défendant l’âpre négociation menée par la France. « La décision de l’Allemagne de tester les Français est difficile. On l’a regrettée. Mais la France s’est battue pour que les frontières ne soient pas véritablement fermées. C’est un sujet de bataille pour Clément Beaune. Les travailleurs frontaliers pourront continuer à aller travailler. Les conditions vont être compliquées mais ont été amoindries par rapport à ce qui était envisagé initialement : un test PCR toutes les 24 heures. La France s’est battue », s’est-il félicité.
« 100 000 tests par semaine »
Mais ce lundi matin, en Moselle et dans les communes les plus proches de la frontière, où l’on vit habituellement d’un côté comme de l’autre sans faire de distinction, les mines sont déconfites. « Il s’agit d’une décision rude et brutale de la part de l’Allemagne. C’est d’autant plus difficile à encaisser que le taux d’incidence en Moselle a reculé de 310 à 285 cas pour 100 000 personnes en une semaine et qu’un gros effort sur la vaccination a été fait avec l’injection de 30 000 doses de plus que ce qui était initialement prévu dans ce département », s’est indigné au Monde le président LR de la région Grand Est, Jean Rottner. Pour lui, les raisons relèvent plus de « considérations politiques que d’une logique sanitaire ». Il y a trois jours, la France a elle-même annoncé que les personnes venant d’Allemagne, pour d’autres raisons que professionnelles, devraient désormais être pourvues d’un test négatif datant de soixante-douze heures.
« Pourrais-je aller bosser ? Où me faire tester ?… » Autant de questions qui suscitent désormais l’inquiétude des premiers touchés par la décision de Berlin : les 16 000 travailleurs transfrontaliers. « Je ne sais pas si on est bien réaliste quand on leur dit ‘demandez à vos employeurs allemands de vous faire passer les tests’. En plus en Allemagne c’est payant (jusqu’à 70 euros). Et cela doit être fait hors de leurs heures de travail », soulève Jean-Marc Todeschini, sénateur socialiste de la Moselle, qui a discuté avec des travailleurs transfrontaliers. « Et puis on n’aura pas la capacité de faire ces tests tous les deux jours. Il est clair que les laboratoires seront saturés », estime l’ancien ministre. Son inquiétude est fondée. Dimanche soir, lors d’une réunion avec le préfet, l’Agence régionale de santé (ARS) a « mis en garde » sur les capacités de tests, précise Jean-Marc Todeschini. Se pose aussi la question des « élèves qui étudient en Allemagne », ajoute-t-il. Pour l’heure, les élèves scolarisés en Allemagne sont invités à se renseigner lundi dans leur établissement pour savoir comment y bénéficier de tests.
Sénatrice LR mosellane, Catherine Belrhiti témoigne d’une décision prise du jour au lendemain : « On ne sait pas du tout comment assumer. On a demandé que les tests se fassent dans les entreprises allemandes et que l’Allemagne paie. Mais le temps d’arriver dans les entreprises, on ne sait pas comment réagiront les policiers. »
Jean-Marie Mizzon compte à voix haute. Selon ses calculs, il faudrait « 100 000 tests par semaine » pour obéir à la décision allemande. « C’est une vraie déception. Je comprends que nos voisins ressentent le besoin de se protéger, mais de là à imposer à tout le monde un test antigénique… Ce sera très difficile de remplir de telles conditions, d’autant que les travailleurs transfrontaliers doivent rentrer chez eux avant 18 heures le soir. C’est nier la réalité du monde du travail », déplore le sénateur centriste mosellan.
Interrogé par Public Sénat, le maire LR de Metz François Grosdidier n’est pas moins critique : « La décision paraît intenable sur le terrain. On a 100 000 frontaliers en Moselle, dont 16 000 en direction du Land de la Sarre. Cela veut dire qu’il faudrait faire 48 000 tests avant ou après le travail. Je ne vois pas comment ça peut fonctionner avec un test toutes les 48 heures en possession de chacun des frontaliers ». L’ancien sénateur tance une décision éloignée des réalités locales. « Pour nous, les frontières sont abolies depuis longtemps. Nous sommes des métropoles à cheval sur la frontière. Cette réalité est vécue au quotidien par 100 000 Mosellans », rappelle-t-il.
François Grosdidier : "Pour nous les frontières sont abolies depuis longtemps"
« On est regardés comme des virus sur pattes »
Trimballés de « visio en visio », de Clément Beaune au préfet, Jean-Marc Todeschini et Jean-Marie Mizzon constatent un même axe : Berlin est à la manœuvre. « Les Landers ont perdu la main », regrette Jean-Marc Todeschini. « Les Landers n’auraient sans doute pas pris une telle décision totale. Ils auraient sans doute eu plus de souplesse. C’est brutal », fustige Jean-Marie Mizzon. « Ils nous ont classés en zone à haut risque parce que la circulation des variants est très importante. Mais je m’interroge sur les chiffres des tests allemands. Ils font très peu de tests », suppute Jean-Marc Todeschini, exaspéré par ces « pseudo-concertations ». Catherine Belrhiti abonde : « On fait 4 fois plus de tests qu’en Sarre. Les Allemands n’ont pas du tout la même façon de tester ». Et regrette qu’au sein même de l’UE, « on n’arrive pas à s’entendre sur une méthode commune ». « On nous présente aujourd’hui que les tests sauvent la fermeture des frontières mais on n’en sait pas plus sur l’application concrète de la décision », s’agace Todeschini. Finalement, pour l’un, « le pire n’a pas été évité », quand pour l’autre, « on est très proche du pire ».
Reste que la situation est tout de même un peu meilleure qu’au printemps 2020. L’Allemagne avait alors fermé sa frontière, émaillée de quelques points de passage. « Les frontaliers faisaient souvent 100 kilomètres en plus. C’était une vision que les Français ne veulent plus avoir. Là c’est déjà mieux. Ça rappelait les temps obscurs », se remémore le socialiste. « C’était la catastrophe », renchérit Jean-Marie Mizzon, qui observe qu’avec la crise sanitaire, l’amitié franco allemande « en prend un coup ». De l’autre côté de la frontière, « on est un peu regardés comme des virus sur pattes », souffle-t-il.
Une nouvelle réunion entre les élus et le préfet est organisée ce lundi soir. Mais Catherine Belrhiti se fait pessimiste. « Les Allemands se braquent sur le pourcentage de cas de variant sud-africain en Moselle. Mais il est impossible de le faire baisser. Sincèrement, je trouve que la situation est totalement bloquée. »